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populations du Sud, du Djerid, du Nefzaoua, les habitants de la montagne de Bekour.

En effet, tous ces pays envoyèrent leurs guerriers; on rassembla quatre mille chevaux et six mille fantassins. Pendant dix jours on s'organisa; le onzième on se mit en marche vers l'endroit dit El-Medjaz, que l'on nomme également Serat (1). Tous les contingents que nous venons d'énumérer marchaient à la suite de leur chef maudit.

Cependant le ministre du souverain de Tunis écrivit au Chabbi une missive conçue en ces termes: « O Chabbi! nous sommes en route pour aller te combattre; nous emmenons avec nous quatre mille cavaliers et six mille fantassins, afin de nous emparer de ce que vous possédez, avilir vos arrogantes personnes, vous évincer du territoire que vous occupez, et donner enfin votre chair en pature aux chacals. >

Ce ministre était l'ami du Chabbi, et s'il lui écrivait ainsi, c'était pour lui éviter d'être surpris et d'éprouver un désastre.

Dès que la lettre parvint au Chabbi, il dit à ses gens: Le souverain de Tunis marche contre nous; que proposez vous de faire?

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Il conviendrait de le combattre loin d'ici, c'est-à-dire avant qu'il ne pénètre sur notre territoire. Celui qui venait d'émettre cet avis était issu des Himyarites. Tous les auditeurs se rangèrent à son avis, en assurant que c'était le meilleur parti à prendre.

(1) Le Medjaz, ou gué de l'Oued-Serat, affluent du Mellag, est situé sur la frontière tunisienne, non loin de notre zemala de spahis du Meridj. Il s'y est livré de fréquents combats entre les Algériens et les Tunisiens.

Alors Chabbi et tous les siens se mirent en mouvement, et ils franchirent les limites de l'Ifrikïa. Ils arrivérent à un endroit où le même Himyarite leur dit de s'arrêter. Cet endroit, ajouta-t-il, est vaste et découvert, c'est ce qu'il nous faut pour faire manœuvrer la cavalerie. Tous les Chabbia lui dirent: C'est toi qui nous donnes les meilleurs avis; c'est donc toi qui vas diriger nos actions.

Il y avait trois jours qu'ils se trouvaient en ce lieu, quand l'armée tunisienne se montra et vint dresser ses tentes devant eux. Cette première journée se passa sans qu'on en vint aux mains. Le lendemain matin, les Tunisiens déployèrent leurs étendards et montèrent à cheval. Dès que le Chabbi les vit dans cette disposition, il monta également à cheval et fit déployer ses enseignes.

Le premier qui s'avança dans l'arène était Saïd, des Oulad-Said, troupe auxiliaire du prince tunisien. C'était un cavalier renommé par son courage el sa vigueur dans les combats. R'enam-ben-Mender, des Hanencha, alla au-devant de lui; il était monté sur une jument blanche, et son costume était couvert d'or; il tenait en main un cimeterre de trempe recherchée.

Quand le premier le vit approcher, il lui dit: Qui es tu donc toi?

- Je suis des Beni-Hannach!

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Je veux te tuer, avec l'aide de Dieu très-haul.

Eh bien, je suis, moi, le premier cavalier de l'Ifrikïa.

En long et en large dans cette région on connaît ma valeur.

O gens injustes! pourquoi venez-vous dans notre pays? dit le Hannachi.

C'est vous, au contraire, qui vous êtes emparés des biens de l'émir, et qui avez encore l'audace de lui adresser des paroles injurieuses.

De quel émir parlez-vous donc? Nous n'en reconnaissons point; il existe un émir en Ifrikïa; mais nous lui sommes préférables par notre origine religieuse; car nous sommes issus des Oulad-Abd-Allah-ben-Mçaoud, porte étendard du Prophète, que le salut soît sur lui (1).

En effet, vous ne reconnaissez d'autre émir que l'émir des bœufs, dit R'enam. Nous ne tenons aucun compte de vos discours, et le dernier des nôtres vaut mieux que vous tous réunis. Quant à toi, tu n'es qu'un Bédouin, un buveur de lait de vache; tu n'as d'autre lit que des bottes d'halfa, d'autre coussin qu'une branche de genévrier: donc, tais-toi, chien sans maître!

En entendant ces paroles, la figure du Hannachi changea de couleur, la colère enflamma son cerveau. Les deux cavaliers s'élancèrent l'un contre l'autre; leurs cimeterres s'entrechoquèrent; mais le Hannachi tomba dans la poussière, l'épaule coupée en deux. Aussitôt tous les guerriers des tribus alliées s'avancèrent de part et d'autre, chevaux contre chevaux, hommes contre hommes, et combattirent depuis le matin jusqu'à midi. Ils se séparèrent alors, laissant les morts sans les relever. Le lendemain, la lutte recommença depuis le lever de l'au

(1) Nons avons déjà dit que la population des Hanencha était d'origine Haouaride. La tribu arabe des Soleïm vint se mêler à elle, et les chefs féodaux du pays faisaient remonter leur généalogie aux compagnons du prophète Mahomet.

rore jusqu'à trois heures du soir. Ils se séparérent encore une fois.

Le prince d'Ifrikïa envoya le cheïkh Doufan et le cheïkh Salah-Zer'loum pour faire suspendre les hostilités et employer cette journée à donner la sépulture aux guerriers abattus de part et d'autre.

La proposition fut acceptée.

Les gens d'Ifrikia avaient perdu cent cinquante cavaliers et cent chevaux.

Du côté des Chabbia, il était mort cent soixante cavaliers et cent chevaux.

Parmi ceux d'Ifrikïa, vingt-cinq personnes de la cour du prince avaient succombé, tels que: Zâlan, Saâd-elBlat, Amran-es-Sacy, et autres de la même noblesse.

Le lendemain encore, le souverain tunisien fit annoncer qu'il y aurait armistice pour laisser reposer les blessés. Mais Chabbi se dit: Quelle est donc la raison qui peut ainsi arrêter ce maudit? C'est une ruse de sa part, et il doit attendre les nouveaux renforts qu'il a sans doute appelés!

En effet, le chef tunisien avait écrit aux Oulad-Mezerouh d'accourir à son aide. Mais ceux-ci lui répondirent: Les Troud nous ont massacrés. et il ne nous reste plus que quarante hommes valides.

Il fit appel alors aux gens de Nefta et de Touzer. Mais å Aïn-el-Ahmri se trouvaient quelques Troud; l'un d'eux surprit l'émissaire tunisien, nommé El-Hadam, et le tua. Son tombeau est encore bien connu de nos jours.

De son côté, le Chabbi écrivit aux Troud, et ceux-ci lui amenèrent un renfort de cinq cents cavaliers qui le rejoignirent à 'Abida, en Ifrikïa. Dès qu'ils furent arrivés,

le Chabbi dit qu'il fallait attaquer de nouveau l'ennemi; mais ses gens lui répondirent: Il convient que nous consultions d'abord notre conseiller l'himyarite, qui nous dira si nous devons ou non combattre.

On fit appeler l'himyarite, et son avis fut qu'il fallait combattre. Aussitôt les tambours retentirent, les trompettes sonnèrent, les chevaux s'élancèrent en avant, renversèrent par leur choc les troupes d'Ifrikïa, et les Chabbia pourchassèrent l'ennemi jusqu'à Selouguïa, en lui tuant encore cent quatre cavaliers et soixante chevaux.

Le Chabbi perdit douze cavaliers, dont trois des Hanencha, trois du Zab: El-Megdad, Salem-el-Bahari et Ketir-ben-Amer, deux des Guerfa, un des Chabbia, et le cousin d'El-Bekri.

Les troupes victorieuses poussèrent jusqu'à Badja, faisant manger à leurs chevaux les cultures vertes des populations.

Les Troud Klab étaient les gens les plus redoutables à la guerre; pour les attirer à lui, le Chabbi leur avait dit: « Je suis des vôtres et vous êtes des miens, par le sang, par la chair et par les os, jusqu'à la fin des siècles. >

Cependant Mourad, souverain de Tunis, écrivit à Sefakės, à Soussa, à Gabès, à Tripoli: « Accourez avec vos cavaliers le plus rapidement possible; les Troud Klab dévastent le pays; ils n'ont aucun sentiment honnête dans leur cœur; ne les laissons pas nous envahir. Je suis le souverain d'Ifrikïa, et j'ai besoin de tous mes vassaux pour les repousser. »

Le Seigneur de Tripoli lui répondit: « Vous avez affaire à des gens qui ont quitté le riche pays de l'Yemen pour

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