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rain de Tunis, leur confia plus tard la garde de Cafça pour la protéger contre les incursions des maraudeurs. Cette charge leurs procurait, sur les droits de commerce de la ville, un revenu de cinq cents dinars, de 96 kefiz d'orge, et 100 kefiz de blé. La garde placée autour de Cafça était forte de quatre cents chevaux.

Les Troud-Klab étant venus dévaster l'Ifrikïa, ainsi que nous l'avons dit plus haut, le souverain de Tunis dut les en expulser. Quelques-uns d'entre eux, cependant, se maintinrent dans le pays, et vinrent un jour razier les bœufs et les moutons des habitants de Cafça.

Aussitôt ceux-ci donnèrent avis de cette agression aux Beni-Mezerouh, qui, ayant réuni leurs meilleurs cavaliers, se mirent à la poursuite des ravisseurs. Les Troud venaient de camper avec leurs familles à Ber-Madjena, non loin de Zouarin. En voyant avancer les Beni-Mezerouh, ils montèrent à cheval au nombre de mille cavaliers. Le premier d'entre'eux qui se présenta dans l'arène fut Nacerben-Ahmed. Amran-el-Kebir-el-Mezerouhi alla à sa rencontre, le tua et s'empara de son cheval et de ses armes. Il attendit ensuite qu'un nouveau combattant s'avançât. Salem-Ben-Bakir-Troudi prit la place du premier; mais lui aussi roula sanglant dans la poussière à la première passe. Personne ne pouvait résister à la vigueur de ce cavalier des Beni-Mezerouh. Les Troud, voyant que sept de leurs compagnons gisaient déjà sur le sol, se mirent à pousser de hauts cris, et à appeler El-'Ambri: «< Accours ô El-'Ambri, disaient-ils; ces mangeurs de figues de Barbarie vont bientôt nous exterminer! » El-Ambri s'avança, le cimeterre à la main: c'était un cavalier puissant et de haute taille.

O gens de désordre, lui dit le mezerouhi en l'abordant; ô gens sans religion, vous venez porter le trouble jusqu'ici. Vous êtes sur notre territoire; sortez-en, chiens que vous êtes, car autrement nous vous exterminerons jusqu'au dernier !

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Sois donc moins prodigue d'injures, ô mangeur de figues de Barbarie, répondit El-'Ambri; à toi! Et, aussitôt, les deux guerriers se ruèrent l'un contre l'autre comme deux chameaux en fureur, deux lions affamés, ou deux montagnes lancées l'une contre l'autre par un bouleversement terrestre. Le combat dura depuis le lever de l'aurore jusqu'à l'heure de la prière de l'acer (3 heures du soir.)

Le cheval de Amran-Mezerouhi était épuisé de fatigue: Attendez, dit-il, que j'en prenne un autre. Cette suspension d'armes fut acceptée; mais au moment où, ayant mis pied à terre, il renvoyait son cheval, El-'Ambri s'élança au galop sur Amran, et d'un violent coup de cimeterre le fendit en deux traitreusement.

Les Beni-Mezerouh, voyant leur champion abattu, se débandèrent et prirent la fuite. Les Troud, marchant sur leur traces, entrèrent en même temps qu'eux dans leurs bourgades, tuèrent quatre cents hommes, s'emparèrent d'un butin immense en effets et en troupeaux, et abandonnèrent les femmes dans la montagne où elles s'étaient réfugiées. Poussant plus loin leurs ravages, ils pénétrèrent dans la ville de Cafça, qu'ils pillèrent. Ils enlevèrent en même temps la caisse qui contenait le trésor de l'état.

Le souverain de Tunis apprenant tous ces désastres, écrivit au chef des Chabbia pour lui prescrire de marcher contre les Troud.

Le Chabbi lui répondit: Loin de t'obéir, je déclare devant Dieu que si les chrétiens te faisaient la guerre, j'irais me mettre de leur côté pour te combattre aussi. »

Le prince tunisien fut très irrité de cette réponse insolente; mais il dut attendre trois ans avant de pouvoir s'en venger en se portant sur le Chabbi. Quand ce moment arriva, il expédia deux mille cavaliers qui se dirigèrent vers l'endroit nommé 'Aïn-Chabrou (1), où se trouvaient les campements des Chabbia. Pendant leur marche, ils rencontrèrent un chasseur de la tribu des Hanencha, et le questionnèrent sur la position occupée par le Chabbi. Il leur répondit: Le Chabbi était à 'Aïn-Chabrou; mais je crois qu'il s'est dirigé depuis vers l'Oued-Roumel (2). Si vous le désirez, j'irai à la découverte, et, je le jure par vos têtes, je vous rapporterai des renseignements précis sur la position qu'il occupe et sur les gens qui sont autour de lui.

Le chasseur Hannachi partit en effet et rejoignit le Chabbi, auquel il dit:

Alerte! Voici venir deux mille cavaliers qui marchent sur mes traces pour t'attaquer !

Le Chabbi, sans perdre de temps, fit charger sur le dos des chameaux tout ce qu'il avait, et ordonna à ses serviteurs de gagner la montagne au plus tôt.

A peine cette opération était-elle terminée, que les

(1) 'Aïn-Chabrou, fontaine située sur la route de Constantine à Tebessa, à 20 kilomètres environ au nord de cette dernière ville,

(2) Oued-Roumel, l'ancien Ampsaga, qui coule au pied de Constantine. Il existe un autre Oued-Roumel non loin du Kef; mais la tradition locale semble indiquer qu'il s'agit de la rivière de Constantine, auprès de laquelle les Chabbia campaient habituellement.

cavaliers d'Ifrikïa, massés comme un seul homme, firent leur apparition.

Le Chabbi ayant rassemblé ses guerriers, se porta à leur rencontre; hommes et chevaux se heurtèrent vigoureusement les uns contre les autres. Le combat durait depuis quatre heures environ, quand les gens d'Ifrikïa se mirent à fuir en désordre. Le Chabbi les poursuivit, leur tua cent cinquante cavaliers, dont il prit les chevaux et les cuirasses. Il les pourchassa ainsi jusqu'à Badja, et ce n'est que des environs de cette ville qu'il se mit en retraite pour retourner à son campement de l'OuedRoumel.

Les cavaliers d'lfrikïa rentrèrent à Tunis. Le prince tunisien, au désespoir, déchira ses vêtements et jeta de la terre sur sa tête en s'écriant: Comment! vous vous êtes laissés battre par ces buveurs de lait de chamelle !

- C'est Dieu qui l'a voulu ainsi, lui dit-on pour toute réponse. Mais il n'en conserva pas moins rancune au Chabbi. En effet, ayant appris qu'une caravane des Chabbia se dirigeait vers les ksour d'Ifrikïa afin d'y chercher des grains, il expédia sur leurs traces, pour les enlever, un millier de ses cavaliers. Ceux-ci les atteignirent à l'endroit nommé Abida, près du Kef (1), et s'emparèrent de quatre cents chameaux avec leurs charges. Les conducteurs de la caravane, dépouillés, allèrent porter à Chabbi la nouvelle de leur malheur.

Le Chabbi écrivit au souverain de Tunis une lettre conçue en ces termes:

(1) Le Kef, l'ancienne Sicca Veneria, sur le territoire tunisien, presque à hauteur de notre ville de Souq-Ahras.

« Rendez immédiatement et en totalité ce que vous avez pris à mes gens; si vous ne vous exécutez pas, j'irai vous trouver avec mes cavaliers et mes fantassins. >>

<< Fais ce que tu voudras, répondit-on de Tunis; nous ne sommes point de ceux qui ont peur. »

Le Chabbi, furieux de cette solution négative, écrivit alors au chef des Hanencha, aux Beni-Moumen, aux Feradja, aux Beni-Salah-Harar (1), aux Beni-Aouassi et à leurs voisins, aux Beni-Seliman et aux Saâdia. La totalité des contingents réunis éleva leurs forces à l'effectif de quinze cents cavaliers, avec lesquels le Chabbi entra en Ifrikia. Toutes les populations épouvantées prenaient la fuite à son approche. Le Chabbi surprit les troupeaux de chameaux de l'émir de Tunis, à l'endroit nommé Selouguïa, et s'en empara: il y avait six cents chamelles sans compter les chameaux.

Après avoir effectué celte capture, le Chabbi retourna à son campement de l'Oued-Roumel.

Mais le prince tunisien, en apprenant la perte qu'il venait d'éprouver, se mordit les doigts de colère. Voyons, dit-il, il n'y a donc personne parmi vous, qui soit capable de nous conseiller sur le parti à prendre?

Vous avez des chevaux et des hommes à votre disposition; ordonnez, seigneur, on obéira!..

Nos propres forces sont insuffisantes, dit le prince. Il faut convoquer les gens d'Ifrikïa, de Gabès, les

(1) La famille des Harar est celle qui a eu longtemps la suprématie sur tout le territoire de la frontière tunisienne, dans le pays des Hanencha. Elle compte, parmi ses membres illustres, les Khaled, Nacer, Soultan Bou-Aziz et Brahim. Cette famille a été supplantée vers 1830, par suite d'intrigues, par celle des Resgui, qui est encore à la tête de la tribu.

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