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En rentrant chez elles, les jeunes filles racontèrent ce qui s'était passé.

Tous les prétendants à la main de Djazia prirent leurs armes et allèrent se placer en embuscade auprès de l'arbre où devait avoir lieu le rendez-vous.

Le lendemain reparut Khalifa; il était vêtu d'un costume évalué mille dinars; il montait un cheval blanc comme le lait, sa main tenait un cimeterre semblable à ceux que portent les gardes des sultans, sa cuirasse daoudia valait cent dinars.

Il s'approcha de l'arbre et ne tarda pas à voir arriver Djazia, vêtue avec luxe et repandant autour d'elle un parfum plus suave et plus pénétrant que le musc. Sa figure était aussi resplendissante que la lune dans son plein.

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Salut sur toi, ô beau guerrier! Sois le bien-venu au rendez-vous, dit-elle; maintenant, descends de cheval.

- Je ne descendrai point, car tu connais la maxime des hommes prudents: Le dos du cheval est un trésor inappréciable qu'il ne faut jamais abandonner. » Si ce n'était pour le plaisir de revoir une femme telle que toi, qui m'a ébloui par ses charmes, certes, je ne serais point venu à ce rendez-vous, parce qu'ici les ennemis sont nombreux: c'est pour cela que je reste à cheval.

Mais, ô beau jeune homme, répondit-elle, personne n'a connaissance de notre rendez-vous: sois sans crainte. Du reste, suis ton inspiration.

A peine venait-elle d'achever ces paroles, que des cavaliers se montrèrent de tous côtés; ils étaient une centaine au moins, armés de sabres et de lances.

Il n'y a de force et de puissance qu'en Dieu, m'éEt, là-dessus, je me portai au galop à la rencontre de mes agresseurs.

criais-je !

Pendant ce temps, Djazia, spectatrice du combat, me disait «Tous ceux qui l'attaquent sont les amoureux que j'ai repoussés: jaloux et furieux de la préférence marquée que j'ai pour toi, ils veulent te disputer ma main; mais n'oublie pas que la vie de l'homme dépend de Dieu et qu'elle a un terme fixé par ses décrets. Celui qui vient à toi, vêtu de rouge, est mon cousin; il m'a demandée en mariage en offrant pour dot mille dinars. C'est, d'entre les nôtres, le guerrier le plus redoutable. Si tu parviens à le tuer ou seulement à le blesser, il sera déconsidéré comme un seau de puits qui n'a plus de corde. »

Le cœur enflammé d'ardeur, je fondis sur mon adversaire; ma lance en arrêt lui traversa la poitrine et sortit derrière le dos. A peine était-il terrassé, que ses compagnons vinrent, l'un après l'autre, me presser vivement à leur tour. J'en tuai sept. S'apercevant qu'ils ne pouvaient rien contre moi en m'attaquant individuellement, ils m'assaillirent tous à la fois, mais j'en abattis encore douze. Alors Djazia, montant le cheval d'un ennemi tué, se mit à mes côtés et m'aida à me défendre jusqu'à l'heure de l'acer (3 à 4 heures du soir). Nos ennemis prirent la fuite éperdus et, en les poursuivant, je pourfendis encore un des derniers.

Je retournai chez les miens, tandis que Djazia rentrait sous la tente de son père. De tous côtés on se demandait: Quel est donc le combat qui a eu lieu? Un tel est blessé et tel autre est mort? Mais les cavaliers hilaliens survivants se gardaient bien de raconter leur défaite honteuse.

C'est au point que l'on ne sut ce qui s'était passé que par le récit des bergers spectateurs de la lutte.

Le lendemain, les Beni-Hilal étaient à cheval et venaient en troupe nous attaquer à l'improviste. Nous les repoussames dans un combat qui eut pour théâtre le lieu nommé El-Ber'al, non loin de Barka, et nous les poursuivîmes jusqu'à l'endroit où vous nous voyez en ce moment (1).

Quand l'homme qui me racontait l'histoire de Khalifaez-Zenati et d'El-Djazia cut fini de parler, je lui demandai qui il était.

Je suis des Beni-Tareg, me répondit-il. J'ai eu des relations avec les Zenata, et je les ai suivis comme faisant partie de leur nation.

(1) Ibn-Khaldoun donne de très longs détails sur les amours d'ElDjazia l'Hilalienne. Voir à la page 41 du 1er volume de la traduction de M. le baron de Slane.

Une édition autographiée des aventures d'El-Djazia avec Khalifa-Zenati et l'émir Diab a été publiée en arabe à Alexandrie; ce roman est fort répandu dans la province de Constantine.

Pendant l'expédition faite aux Babors, en 1865, les Kabiles m'ont montré un endroit qu'ils nomment Gueber-Djazia. Ils ne s'y trouve aucune construction; l'emplacement qui porte ce nom n'est autre qu'une vaste clairière, entourée de cèdres et de pins, située sur la croupe orientale du Djebel-Babor.

Une légende conservée dans le pays rapporte que Djazia l'Hilalienne, après avoir été l'amante de Khalifa le Zénatien, devint ensuite son ennemie acharnée. Battus dans les plaines, Khalifa et ses frères les Zénatiens se réfugièrent dans les bois qui couronnent le sommet du Babor. Là fut enterré Khalifa, mort des suites d'une blessure. Djazia, apprenant sa mort, jura qu'elle irait faire uriner sa chamelle sur la tombe de son ennemi. Malgré la résistance des Zénatiens, Djazia gravit les hauteurs du Babor et tint son serment; mais elle mourut elle-même subitement, et ses compagnons l'enterrèrent auprès de Khalifa.

Cette légende, dont je ne dis ici que quelques mots, trouvera sa place dans un autre travail sur la Kabilie orientale.

D'après le roman arabe publié à Alexandrie, Khalifa Zenati aurait été tué en Ifrikïa et non au Babor, dans un combat singulier qu'il soutint contre l'émir Diab.

Si tu suivais mes conseils, lui dis-je, tu abandonnerais ces gens là; tu me suivrais auprès du cheïkh El-Bekri, qui nous accordera sa bénédiction et nous placera au rang des gens de bien. N'oublie pas que la mort peut nous surprendre d'un moment à l'autre.

Ce que tu me conseille est juste, me dit-il; mais nous serons infailliblement tués par ceux qui nous entourent s'ils nous voient nous éloigner.

Si tu as la ferme volonté d'aller en pélerinage auprès du cheïkh El-Bekri, tu n'as plus rien à craindre.

Par Dieu, la foi est dans mon cœur, me répondit-il, rien ne me retient plus.

Nous nous mimes en route et nous arrivâmes à Samarkand (1) où le cheïkh El-Bekri était allé rendre visite au cheïkh Daoud. Le cheïkh ayant répondu à nos salutations, me demanda ce qu'était mon compagnon de route.

C'est un Targui dont la nation est actuellement en guerre avec une autre peuplade. -Nous passâmes sept jours chez le marabout, qui ne cessait de nous adresser des recommandations. « Pour devenir un homme vertueux, nous disait-il, il faut peu manger, peu boire, peu dormir, peu se reposer. »

Au moment de notre départ, nous priâmes le marabout de nous fournir quelques provisions de route.

Gens de peu de foi, nous dit-il, c'est inutile; mangez devant moi avant de partir, ce repas vous suffira.

A peine étions-nous en route, que mon compagnon me demanda à quelle distance nous nous trouvions du Caire.

(1) Samarkand ville de Tartarie.

A un mois et demi de marche, lui dis-je. ·
Quand y arriverons nous ajouta-t-il?

Nous l'avons déjà dépassé; nous voici maintenant à Tripoli. Tripoli est même derrière nous; nous avançons vers Touzer.

Je crois, me dit mon compagnon, que tu te moques de moi.

Du tout; c'est grâce à la protection du cheïkh ElBekri que notre marche est si rapide et que nous ne ressentons aucune fatigue.

Nous étions partis de Samarkand dans la matinée, et nous faisions notre prière du dohor (de midi à 1 heure) à Touzer.

A ce moment, je dis au Targui: Je crois que tu n'a pas encore confiance dans les vertus surnaturelles du cheïkh El-Bekri.

Au contraire, j'ai maintenant en lui la foi la plus entière.

Arriverons-nous aujourd'hui à Nefta?

Nous irons même jusqu'au Souf, lui dis-je.

A l'heure de l'acer, (3 heures), en effet, nous faisions. notre prière à El-Ledja, derrière Si-Mohammed-benAmor-el-Tifetzani, imam de cette ville.

On nous demanda pour quel motif nous ne nous étions pas montrés depuis trois jours. C'était le temps. qui s'était écoulé pendant notre pélerinage auprès du cheïkh.

Quand le vieillard eut achevé son récit, je lui demandai comment il s'appelait:

Je me nomme 'Azaz-ben-Salem-ben-Maouïa-ben-Mou

barek-ben-Amar-ben-Khalifa-el-'Adouani.

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