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er-Rachid, l'avait envoyé pour lui témoigner son amitié et lui remettre en cadeau un flacon contenant du musc. Idris accepta le flacon; mais dès qu'il l'eut porté au nez, il tomba mort, empoisonné. Cependant la veuve d'Idris était enceinte de six mois; elle accoucha d'un fils, auquel elle donna le même nom que son père: on l'appela Idris le jeune. Cet enfant grandit, et, à l'âge de douze ans, il avait déjà une instruction très developpée; il se fit remarquer par une sagesse et une raison bien supérieure à son âge. Protégé par les Berbères, il devint souverain de Fez. Sa mère le maria à la fille de Soleïman; mais il mourut comme son père en mangeant une grappe de raisin empoisonnée.

Ils laissa douze enfants mâles qui étaient:

Ahmed, Mohammed, Abd-Allah, Amran, Aïça, Daoud, Yahia, Brahim, Hamza, Koutir, Ali et Amer.

Mohammed, le cadet, succéda à son père; mais craignant des discussions dans sa propre famille, il partagea son royaume avec ses frères.

Il donna Badės à Amer, Tanger à Amran, et ainsi de suite, de manière que tous furent satisfaits du gouvernement qui leur échut en partage (1).

Mais le maudit Ben-Afia leva l'étendard de la révolte, réunit sous ses ordres un corps d'armée de quatrevingt mille hommes de cavalerie, poursuivit tous les Chorfa et les massacra partout où il les rencontra. Il en tua trois cents dans une seule journée et, en résumé, fit disparaître tous les chérifs qui habitaient le Moghreb.

(1) Voir, sur l'origine et la chute de la dynastie des Idricides, Ibn-Khaldoun, traduction de M. de Slane, 2e vol., page 559.

Appprenant que deux jeunes chérifs, orphelins, vivaient dans le Zab, au village de Ben-Tious, chez le nommé Salem, Ben-Afia se porta immédiatement sur ce point. Il bloqua ce village pendant sept jours, ne cessant de demander qu'on lui livrat les deux enfants pour les mettre à mort. La population de Ben-Tious conseillait à Salem de les donner, pour abréger les calamités du blocus. Salem avait deux fils, également en bas âge; du consentement de sa femme, il les remit entre les mains de Ben-Afia; de sorte, qu'en faisant le sacrifice de ses propres enfants, il sauva la vie à ces deux survivants de la lignée du prophète Mahomet. Les jeunes chérifs se nommaient Brahim et Smaïl; ils allèrent se réfugier dans le Mezab, pour éviter les poursuites acharnées de BenAfia. Ils y achetèrent des propriétés, et ne tardèrent pas à être considérés comme originaires de ce pays. Ayant appris que deux autres descendants du prophète, nommés Megueddem et Ali, s'étaient, de leur côté, réfugiés à Nefta, les deux orphelins abandonnèrent le Mezab, où ils s'étaient d'abord fixés, et allèrent les rejoindre à Nefta, où ils vécurent en paix pendant douze ans. C'est là que vint les retrouver Aïça, frère puiné de Brahim et de Smaïl, venant des montagnes des Oulad-Naïl.

Ben-Afia avait précédemment massacré le chérif Aïça, qui était marié chez les Oulad-Naïl; sa femme, nommée Zahira, était en ce moment enceinte; elle alla faire ses couches à Lar'ouat, chez sa mère, Reguia-bent-el-Arbi, el donna le jour à un fils qui reçut le nom d'Aïça, que portait son malheureux père.

Quand le jeune Aïça fut devenu grand, il interrogea sa mère sur ce qu'était son père. Garde-toi bien, mon en

fant, lui dit-elle, de t'enorgueillir de ta noble origine, car tu serais en butte aux poursuites des ennemis de ta famille, qui habitent non loin de nous.

Tu as deux frères aînés, Brahim et Smaïl, qui vivent dans l'obscurité, à Nefta.

Aïça, alors âgé de douze ans, alla trouver ses frères à Nefta et s'établit auprès d'eux. Au bout de quelques années, il apprit que sa mère, étant sur le point de mourir, réclamait sa présence.

Aïça se mit immédiatement en route, emmenant sa femme et ses enfants; mais en arrivant à Laghouat, il trouva les gens de la ville revenant des funérailles de sa mère à cette vue, il versa beaucoup de larmes.

:

Aïça habita Lar'ouat jusqu'à sa mort; son tombeau est bien connu de tous. Au moment de rendre l'âme à Dieu, il réunit ses enfants et leur dit : « Rejoignez vos oncles qui résident à Nefta; mais, je vous conseille de ne jamais aller habiter l'Occident (Maroc actuel) (1). »

Quand le vieillard m'eût raconté l'histoire des Chorfa, je lui demandai s'il connaissait les causes de la guerre qui avait éclaté entre les Zenata et les Beni-Hilal.

Écoute, ô mon fils; étant un jour assis dans ma cellule, une inspiration du ciel me conseilla d'aller en Syrie faire une visite au cheïkh El-Bekri; je pris donc mon hâton et me mis aussitôt en route. Arrivé à un endroit nommé Bou-Kerhan, près de Tripoli, je rencontrai un groupe de cavaliers. Dès qu'ils m'aperçurent, ils arrivèrent sur moi au galop de leurs chevaux ; mais

(1) Nous avons trouvé la même légende dans nos recherches sur l'origine religieuse de la famille des Oulad-Mokran, seigneurs de la Medjana.

quelques-uns d'entre eux s'écrièrent «Ne faites aucun mal à cet étranger, c'est un marabout; il porte sur lui les signes de sa sainteté. » Je ne voyais rien en moi, cependant, qui révélât ma qualité de marabout.

Les cavaliers me retinrent parmi eux; j'en voyais à chaque instant arriver d'autres de directions différentes, au point, que j'en comptai plus d'un millier. Puis vinrent encore des esclaves, des nègres et des femmes qui les suivaient. Ils me donnèrent l'hospitalité; mais je ne touchai à aucun de leurs mets, parce que mes hôtes étaient Bédouins et que leur nourriture n'était pas exempte de choses défendues par la religion.

Le lendemain matin, je mangeai un peu de mes provisions de route. A ce même moment, sortirent de nombreux cavaliers du village de Zaouïa, situé dans la province de Tripoli.

Dès que les Zenata les aperçurent, ils coururent sur

eux.

J'interrogeai alors sur ce que je voyais ceux d'entre les Zenata qui me parurent les plus sensés, et je leur demandai ce qu'étaient ces cavaliers.

Ces cavaliers, me dirent-ils, sont les Beni-Hilal, nos ennemis. Nous sommes, nous, de la nation des Zenata. Pourquoi donc vous faites-vous ainsi la guerre; existe-t-il un motif de haine entre vous ?

O cheïkh! ce sont eux qui nous font la guerre sans raison.

C'est impossible, répliquai-je; il doit y avoir une cause dont je serais curieux de connaître les détails. Alors un vieillard me raconta ce qui suit :

Djazia, l'Hilalienne, était une femme d'une extrême

beauté; le riche, comme le pauvre, l'avait demandée en mariage; mais elle désespérait tous ses adorateurs en repoussant leur amour. Chez nous, les Zenata, il y avait également un jeune guerrier du nom de Khalifa-benAmara. Il était beau et d'un brillant courage; il avait le talent de s'exprimer avec élégance et possédait, en outre, le don de la poésie.

Khalifa, le Zénatien, étant un jour à la recherche de chamelles qu'une tempête de sable avait séparées du troupeau, fit la rencontre de Djazia, accompagnée de vingt belles jeunes filles de sa tribu. Khalifa nous ra

conta son aventure en ces termes :

Je m'approchai de ce groupe de femmes.

En m'apercevant, elles me dirent :

Où vas-tu, ô cavalier?

Je suis à la recherche de chamelles égarées. Jusqu'à ce jour, celles qui marchent sur quatre jambes causaient tous mes soucis; mais, à l'avenir, mon âme sera bien autrement inquiète en songeant à celles qui marchent sur deux jambes seulement (1)!

Tu ne mérites pas de posséder celles-ci, puisque tu ne sais pas retrouver celles qui en ont quatre ! dit Djazia. Rien ne m'est impossible avec l'aide de Dieu! Ne sais-tu pas, ô belle fille, que je suis Khalifa le Zénatíen, dont la réputation de bravoure est répandue dans toute la contrée.

-Ah! c'est toi Khalifa! Eh bien ! je désire te revoir; retourne maintenant sur tes pas, mais reviens demain; tu me retrouveras ici, près de cet arbre. »

(1) Compliment trivial peut-être pour des Européens, mais qui peut donner une idée de l'esprit poétique des Arabes de nos tribus sahariennes.

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