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de l'autre. Bedra était le nom de la première de ces femmes; elle était fille de Moulaï-Saïd (ou Yazid), chérif du R'arb que Ben-'Afia avait mis à mort (1). La seconde, nommée Bedrïa, était issue de Felias, seigneur de Meknas (Mequinez).

Mais, dis-je au vieillard, je voudrais bien connaître la signification des noms de Touggourt et de Temacin ? Ce sont des noms appartenant à des langues étrangères; j'ignore donc leur signification.

Continuez votre récit, lui dis-je alors.

Le pélerin ayant installé ses femmes et ses esclaves à Touggourt et à Temacin, vécut paisiblement jusqu'à l'année 735 (1334-35 de J.-C.). Alors survint une sécheresse excessive dans la contrée, au point que les habitants, ne pouvant plus nourrir leurs familles, se virent dans la nécessité de vendre comme esclaves leurs fils et leurs filles. Le pélerin leurs acheta quinze cents enfants.

Mais la misère devenant encore plus grande, les maris durent vendre leurs femmes. Cette calamité suspendit pendant quelque temps la reproduction de l'espèce humaine. Il leur acheta aussi leurs chevaux, leurs ustensiles, leurs jardins Les gens d'El-Oued ne possédant plus que leurs corps et la disette continuant, ils finirent par se vendre eux-mêmes.

Quand le pélerin se trouva propriétaire de tout ce qui existait autour de lui, il dit à ses esclaves: Faites vos préparatifs, je vais entreprendre un long voyage: nous partirons demain, et je vous emmène tous avec moi.

(1) Voir Ibn-Khaldoun au sujet des guerres de Ben-'Afia contre les chérifs Idricites.

Cette nouvelle fut accueillie avec résignation, et aucun ne chercha à se soustraire à l'autorité de son nouveau maître.

Le lendemain, cependant, le pélerin au lieu de se mettre en roule, réunit tout son monde et annonça qu'avant de partir, il fallait qu'on lui construisit une mosquée. Chacun se mit à l'œuvre, et une magnifique mosquée s'éleva en effet; il attribua des revenus considérables à son entretien, et y plaça des lecteurs du livre sacré (le (Koran).

Lorsque tout fut terminé, le pélerin convoqua ses esclaves à une grande réunion; puis, arrivant au milieu d'eux, il proclama à haute voix :

« Je témoigne devant Dieu et devant les anges que, par amour pour eux, je vous rends à tous la liberté !

Les esclaves acceptèrent leur affranchissement avec une joie extrême; mais pour exprimer leur reconnaissance au généreux pélerin, ils lui déclarèrent qu'ils resteraient toujours ses serviteurs dévoués, et firent la promesse d'être fidèles à lui et à sa religion.

Depuis cette époque, en effet, les habitants de cette contrée ont suivi cette voie religieuse et sont restés sous la dépendance de la famille du pélerin des BeniMerin.

Savez-vous quelque chose sur Feliach-el-Djebli (1)? Non, je n'ai rien à vous dire sur ce point; mais à R'orfa existait une population qui labourait des terres arrosées par les eaux courantes de la rivière. Cette popu

(1) Feliach, oasis et village situés à 2 kil., à l'est de Biskra, dont ils ne sont séparés que par la rivière. Sa population est d'environ 350 habit.

lation passait l'été à R'orfa et l'hiver à Nazïa; mais les Troud vinrent nous envahir, au nombre de quinze cents cavaliers. Ces chiens de Troud dévastèrent R'orfa, arrachèrent nos arbres et incendièrent nos cultures.

Pourquoi, lui dis-je, qualifiez-vous les Troud de l'épithète de chien ?

Ah! me répondit-il, les chiens leur sont bien préférables, en effet; car le chien s'habitue à une nourriture. qui lui suffit, mais les Troud sont insatiables.

Il me semble que vous avez une haine profonde contre les Troud?

Comment veux-tu qu'il en soit autrement. Est-ce que l'amant peut oublier celle qu'il aime ? Celui qui n'a pas de haine ne saurait avoir d'affection!

Pourquoi, alors, épousez-vous les filles des Troud et leur donnez-vous vos filles en mariage? — Il faut oublier les inimitiés du passé.

C'est impossible, répliqua-t-il; ils ont tué mon fils Amran et je ne leur pardonnerai jamais. Ils avaient quinze cents chevaux, et nous n'en avions que quatre cents pour résister à leur envahissement. Notre nation se composait de vingt-cinq fractions; mais aucune de ces fractions ne vint en aide à sa voisine. Nous possédions aussi cinq ksour nommés: El-Medina, Ksar-el-Maouï, Ksar-el-Bahour, Ksar Fellat et Oum-el-'Az.

Oum-el-'Az tirait son nom d'une femme chrétienne qui vint s'y établir après avoir fui devant l'invasion des troupes d'Okba en Afrique.

Le premier qui s'établit au village de Sebti était un homme des Touareg; il était originaire du Soudan, et, après avoir racheté sa liberté, il vint s'installer au milieu

de ces sables; les palmiers qui s'y trouvent avaient été plantés par Amar-el-Bar'dadi.

Les gens du village de Sebti, hommes et femmes, ont l'infâme habitude de se réunir et de se mêler pendant l'obscurité de la nuit, pour se livrer à d'abominables obscénités. Cet usage existe chez les Klab ennemis de Dieu, qui mériteraient d'être détruits. Ils sont les descendants de sept familles venues du Yemen; à l'époque de la lutte d'Ali contre Moaouïa; d'une autre famille originaire de l'Irak, du ksar Moussa-ben-Amran; d'une autre aussi, venue de Syrie, et enfin d'une dernière venue de Jérusalem, d'où elle fut chassée par les Juifs après le meurtre de leur Rabbin Roubil-el-Ihoudi. Il n'y a aucun lien d'amitié entre eux et nous.

De quel pays êtes vous, dis-je au vieillard?

Je suis de Ledja, village habité par les 'Adouan-Rahmani. Les Lakhdar sont des 'Adouan-Selami. Les 'Adouan se composaient de vingt-cinq fractions réunies en : Oulad-Abd-er-Rahman, Oulad-Saïb, Oulad-Sari, OuladHamed et Oulad-Mahboub.

Après que le vieillard m'eut raconté tout ce qui précède, je lui dis: Je vous ai longtemps retenu à causer; venez chez moi prendre quelque nourriture; je m'acquiterai envers vous du devoir de l'hospitalité.

Non, me répondit-il; je n'ai plus faim, car j'ai pu exhaler tout le fiel que j'avais dans mon cœur, et cela me tient lieu de boire et de manger.

Quand retournerez- vous dans votre pays?

Je suis venu chercher une charge de jeunes palmiers que j'ai l'intention de replanter chez moi.

Ne s'élève-t-il pas quelquefois des discussions entre yous et les Troud?

Non, par la raison que nous sommes doués de plus de bon sens qu'eux.

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Y a-t-il un sultan à qui vous payiez la capitation (djazia)?

La capitation n'est exigée que des juifs; quant à nous, nous sommes établis sur un terrain qui était jadis dépourvu d'habitants. Nous nous trouvons au centre de trois contrées le Zab, qui nous fournit des grains, le Djerid, d'où nous viennent les dattes, et l'Oued-Rir', d'où nous tirons la laine que nos femmes tissent pour nous vêtir.

- Tenez, dis-je au vieillard, voilà sept dinars; achetezmoi une pièce d'étoffe de votre pays.

Pourriez-vous me donner quelques renseignements sur les Chorfa?

Les Chorfa sont de la postérité de Hoceïn, lequel était fils de Fat'ma, fille du prophète Mahomet, que le salut soit sur lui. Leur descendant Idris ayant pris la fuite, passa de l'Orient en Occident et arriva à Tlemsen. Il alla ensuite à ksar Farâoun, gouverné par Abd-el-Medjid-ezZahari, qui lui donna sa fille en mariage. Cette femme, d'une grande beauté, était en outre douée d'une intelligence supérieure, au point que son mari n'agissait jamais sans la consulter. Mais bientôt Idris mourut dans les circonstances que voici: Soleïman-ben-Djebir (1) se présenta à Idris, lui annonçant que son maître, Haroun

(1) Dans Ibn-Khaldoun, il est nommé Soliman-ben-Horeïz; El-Kaïrouani le désigne sous le nom de Soleiman-Chemma.

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