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population ignorante, quitta la famille d'El-Heuch et alla se présenter au village de R'enam, habité également par des gens sans religion.

Leur ayant dit qu'il venait les convertir à la religion de l'islam, leur chef s'avança brusquement vers lui: « Va-t'en, lui cria-t-il, si tu ne préfères que nous fassions couler ton sang. D

Comment te nommes-tu, toi qui est le chef de cette population?

Je me nomme « R'enam-ben-Moubarek-ben-Farah (1). O Dieu ! dit le marabout, ne l'enrichis point, ne le bénis pas et ne lui donne pas la joie.

Le saint homme resta une heure sur son cheval et commençait à être tourmenté par le besoin de manger. Il se dirigea vers un puits pour y faire ses ablutions et ses prières. Khalifa, fils d'El-Heuch, alla le rejoindre avec des dattes, du pain dans un mouchoir et une jatte de bouillon.

Que Dieu te le rende lui dit-il!» Et après qu'il se fut rassasié de nourriture, il partit pour Tarʼzout. Il n'y a pas de vallée plus agréable à habiter que celle-là. Sidi Mçaoud envoya chercher El-Heuch.

<< Fixe ta résidence dans cette vallée, lui dit-il; d'autres dont tu seras le chef viendront te trouver. »

<< Mais comment puis-je venir dans ce quartier isolé, où l'on ne voit ni homme ni bestiaux. »

«Viens t'y installer, te dis-je, allumes-y ton foyer (kanoun). La fumée attirera des hommes et des femmes qui deviendront tes voisins. D

(1) Ces trois noms arabes signifient : l'enrichi fils du béni fils du joyeux.

Safouan ajoute Le marabout continua sa marche jusqu'au village de Djelâma, dont la population était autrefois chrétienne; c'est un fait attesté par des gens bien informés (1). Il y trouva une réunion de quarante individus entièrement nus, et qui se livraient sans pudeur au jeu du mouton. Pendant trois heures, sidi Mçaoud tenta de vains efforts pour se faire écouter, aucun ne tenait compte de ses paroles; c'était au printemps, et l'ardeur du soleil ne tarda pas à le fatiguer.

« J'étais au milieu d'eux, dit sidi Mçaoud, attendant impatiemment que quelqu'un m'offrit l'hospitalité. »

<Enfin deux individus, Mahboub et Amran, originaires de Tarʼzout, qui étaient allés en pélerinage auprès du cheïkh vénérable, sidi Abbas-el-R'erib, vinrent prendre mon cheval par la bride et me menèrent dans une chaumière où ils avaient coutume de lire le Koran en secret, de peur d'être vus par la population impie de Djelâma. Ces deux bons musulmans me donnèrent l'hospitalité, restèrent constamment près de moi pour me tenir compagnie, et le soir encore me firent coucher chez eux. Le lendemain, mes hôtes reçurent la visite du cheïkh sidi Abbas, qui, selon son habitude, venait dans leur chaumière

(1) Ibn-Khaldoun dit à ce sujet :

Depuis le Moghreb jusqu'à Alexandrie, et depuis la Méditerranée jusqu'au pays des noirs, toute cette région a été habitée par la race berbère, et cela, depuis une époque dont on ne connaît ni les évènements antérieurs ni même le commencement. La religion de ce peuple, comme celle de toutes les nations étrangères de l'Orient et de l'Occident, était le paganisme. Il arriva cependant, de temps à autres, que les Berbères professaient la religion des vainqueurs (le judaïsme et le christianisme). Voir Ibn-Khaldoun, t. I, page 206 et suivantes.

leur lire en cachette quelques passages du Koran. Quand il me vit, il m'embrassa avec effusion et me demanda ce que je venais faire dans cette contrée inhospitalière.

« Le grand saint sidi Arafa (1), lui dis-je, m'a apparu en songe et m'a prescrit de me rendre ici pour diriger ces populations païennes dans la voie de Dieu.

< O Mçaoud! me dit sidi Abbas, j'ai déjà épuisé tous mes efforts dans ce but louable; ils ont été impuissants! « Il faut cependant que j'accomplisse ma mission, répliquai-je; demain j'irai les haranguer à mon tour. >>

Ainsi qu'il l'avait annoncé, sidi Mçaoud parla aux gens de Djelâma; mais au lieu d'écouter la parole sacrée de cet apôtre de l'islam, ils le rouèrent de coups et ils ne dut son salut qu'à une fuite précipitée. Il se réfugia à El-Ledja, où on l'invita à s'arrêter. Sidi Mçaoud consentit, en effet, à se fixer sur ce point avec onze individus qu'il avait convertis à la religion musulmane. D'autres familles se joignirent à eux, et créèrent une bourgade qui prit le nom de Kanoun-nar-Hamia (2).

Le marabout s'étant bien assuré de la sincère conversion de cette population, résolut d'aller plus loin faire de nouveaux prosélytes. Avant son départ, il reçut la visite de sidi Ahmed-ben-Aziz, qui venait lui demander à être instruit dans la religion musulmane: il lui laissa Bellil, l'un de ses meilleurs disciples. Les gens d'El-Ledja, de leur côté, lui dirent: « Si vous vous séparez de nous, les Oulad-Yakoub nous maltraiteront, pilleront nos biens.

(1) Sidi 'Arafa, de Kaïrouan, marabout qui descendait de sidi Mamoum, lequel descendait lui-même des Châbbini, vivait en 932 de l'hégire. (2) Cette bourgade est devenue plus tard la ville de Kouïnine.

Les Oulad-Ogab, les descendants de Yazid-ben-Moaouïa et les Beni-Ali lui firent la même objection.

Soyez sans inquiétude, répondit le marabout; j'amènerai au milieu de vous une partie de la population des Oulad-ben-el-Ahmer, originaire de la Syrie. Ils vous protégeront contre vos ennemis. ›

En effet, il expédia immédiatement un homme d'ElLedja, nommé Douï, lequel leur amena cent quarante Oulad-ben-el-Ahmer, qui s'installèrent auprès d'eux et les firent respecter de leurs voisins, en été comme en hiver.

De ce point, sidi Mçaoud se rendit chez les beni-Fendben-Braham.

Saïd-el-Fassi, d'après Nacer-el-Mçâad, lequel le tient de Bellil dont la sincérité est proverbiale, raconte ce qui suit :

Nous allâmes ensuite à Haci-Khalifa-ez-Zenati, où nous passâmes la nuit.

Le lendemain, nous nous arrêtions au Keber-Ouïch-elKhamsi, puis à Zerrig, et enfin nous arrivàmes au village de Ferkan-el-Ihoudi (1), près duquel est une zaouïa. Sidi Mçaoud, invité à s'y arrêter refusa; sidi Ali son fils lui demanda la cause de ce refus: Ces gens là, lui réponditil, sont des païens de la pire espèce; non seulement ils mangent pendant le mois de ramad'an, mais encore ils se tiennent constamment nus; ils jouent le jeu de

(1) Ferkan est une oasis située non loin de celle de Negrin, à 300 kilomètres S. E. de Constantine. Près de là se trouvent les ruines d'un ancien poste romain que les Arabes nomment Besseriani. Ferkan, ainsi que Negrin, appartiennent en quelque sorte à la grande tribu des Nememcha.

mouton dans cet état de nudité, et, de plus, ils ont l'impudeur de se raser réciproquement le poil des parties génitales.

<< Envoyez moi donc parmi eux pour les convertir, répliqua sidi Ali. ›

O mon fils! le moment n'est pas propice pour accomplir cette mission, il faut attendre la saison d'été ou d'automne pour les trouver tous réunis ; tandis qu'en hiver et au printemps ils se dispersent avec leurs troupeaux dans différentes directions, à la recherche de pâturages.

Au bout de quelque temps, sidi Ali s'adressant à son père lui dit :

J'ai eu un songe fort extraordinaire ; j'ai rêvé que je me trouvais avec mon esclave Nacer dans un désert de sable. J'étais assis, et tout à coup une nuée d'oiseaux s'est mise à voltiger autour de moi. M'étant approché, ces oiseaux se sont effarouchés et envolés vers le ciel; puis ils sont redescendus, et je les ai tous attrapés, sans exception, les uns après les autres. »

Le marabout sidi Mçaoud lui répondit: O mon fils! Dieu est celui qui connaît le mieux l'avenir; mais ce que tu as vu en songe n'est autre que la destinée du pays du Souf, dont la population embrassera en totalité la religion de l'islam par ton intervention. >>

Sidi Ali ayant résolu dès lors de se rendre au Souf pour y faire de la propagande religieuse, se mit en route avec Bellil, dont le véritable nom était Sâad-elKebir-ben-Amer-ben-Nacer-el-Adouani, natif de Ledja.

Au moment de se séparer, sidi Ali dit à son père: Tu seras toujours mon protecteur, et au moment du danger

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