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auxquelles le marabout se bornait à répondre : Mon maître, c'est Dieu, et son prophète Mahomet, qu'il soit béni !

Un nommé Rekit s'écria: Vous voyez bien que cet homme n'est autre qu'un mendiant, qui, n'ayant rien à manger dans sa tente, ne vient chez nous que pour avoir des vivres.

Non, nous ne te donnerons rien, éloigne toi, vilaine figure !

Le marabout se mit à rire; le serviteur qui l'accompagnait lui dit : « Demande donc à Dieu qu'il les anéantisse sur l'heure ! D

- Prends patience, car celui qui m'a inspiré de venir au milieu de ce peuple est seul véridique et sincère. »

Pendant cinq heures, le marabout resta à cheval, exposé aux sarcasmes de ceux qui l'entouraient. Enfin un nommé El-Heuch-ben-Amar-ben-Seliman l'emmena chez lui et lui donna l'hospitalité.

En entrant chez son hôte, le marabout lui demanda: Qui es-tu donc, toi qui as de meilleurs sentiments que tes compatriotes?

Je suis un pauvre homme dont l'existence a été un enchainement d'évènements extraordinaires qu'il serait trop long de vous raconter.

Parle, je t'écoute ?

Il existe dans le pays du Nefzaoua une ville nommée Telmim-el-Kebri, dont le chef était Brahim-ben-Kanaân el-Kerbi; j'étais son ministre. Un jour, mon maître m'envoya pour traiter ses affaires auprès de l'émir SaïdChérif, souverain de Tunis. Dans l'entrevue que j'eus.

avec ce prince, je lui dis que la population du Nefzaoua n'était point satisfaite de l'administration de son chef Brahim, et que s'il voulait bien me choisir pour le remplacer, ma nomination serait accueillie avec reconnais

sance.

Le prince me répondit: Retourne parmi les tiens ; disleur de m'écrire à ce sujet et rapporte moi leur lettre. Je désire même que tu me présente quelques notables du pays, devant lesquels je t'investirai du pouvoir.

Quand je rentrai dans mon pays, Brahim-ben-Kanâan avait déjà été averti des démarches que j'avais faites pour le supplanter; il m'envoya chercher aussitôt mon arrivée.

Sois le bien venu, dit-il en me revoyant, ô toi qui causes la joie de mon âme et de mes yeux; hate toi de me rendre compte de ta mission auprès du souverain hafsite.

Le prince, lui répondis-je, m'a fait à cause de vous l'accueil le plus flatteur, et m'a recommandé de toujours vous servir avec fidélité.

Il m'a, en outre, remis pour vous un caftan d'honneur estimé douze mille dinars, comme marque du renouvellement de votre investiture.

Envoie immédiatement quelqu'un pour me l'apporter. O! non, mon maître; il est préférable que j'aille le chercher moi-même, puisqu'il est déposé dans ma maison.

Eh bien! pars et reviens promptement. En même temps, Brahim se tourna vers son chambellan Harat, et lui dit, en clignant de l'œil : Surveille-le, de peur qu'il ne s'échappe.

Dès que je fus rentré dans ma maison, je fis charger tous mes effets sur quatorze chameaux, et j'ordonnai à mes enfants de se diriger promptement vers le Souf.

Mes fils partirent sur l'heure ; ils étaient à cheval au nombre de six El-Fekit, Saâd, Mordjan, Khalifa, Djaber et Sofian.

Je ne me dissimulais pas que l'intention de Brahimben-Kanaân était de se débarrasser de moi. Il fallait donc que j'emploie la ruse pour me soustraire à l'œil vigilant de son chambellan. Celui-ci était resté à l'une des portes de mon habitation pendant que je faisais rassembler mes effets. Dès que mes fils eurent reçu mes dernières instructions et que je les vis s'éloigner dans la direction du Souf, j'allai chercher Harat à la porte où il m'attendait toujours, et je le conduisis dans un jardin situé au milieu de mon habitation. Là, existait un puits profond dont j'avais eu soin de dissimuler l'orifice en y étendant un tapis; j'y amenai Harat et l'engageai à s'y asseoir en lui disant : Nous allons faire ensemble une légère collation, puis nous retournerons auprès de notre maitre.

Harat s'avança en effet sans méfiance; mais à peine mettait-il les pieds sur le tapis, qu'il roulait au fond du puits.

N'étant plus géné par cet homme, je montai aussitôt à cheval pour rejoindre mes enfants dont je suivis les

traces.

Cependant, Brahim impatienté de nos lenteurs, ordonna à son esclave El-Aced d'aller voir quelle pouvait en être la cause. Celui-ci ne trouvant personne dans l'habitation, entra dans le jardin et entendit les cris que Harat poussait du fond du puits; il l'aida à en sortir, et ils allèrent ensemble raconter à Brahim ce qui était advenu.

Brahim, furieux, expédia à nos trousses quatre cents cavaliers pour nous ramener morts ou vifs.

De mon côté, ayant rejoint mes fils, nous arrivâmes dans une bourgade nommée 'Aouïna, dépendant de Talmin, dont les habitants étaient partis pour les pâturages depuis le printemps. Ma caravane, qui se composait de mes enfants et de douze femmes, se reposa dans ce village abandonné.

Pendant ce temps, les cavaliers mis à notre poursuite perdaient nos traces et allaient nous chercher dans le Djerid, où, n'ayant rien appris sur notre compte, ils retournèrent désappointés auprès de Brahim-ben-Kanâan.

Quant la nuit fut venue, je me remis en marche, gagnant les bords du Chot, jusqu'à l'endroit où résidait le saint, l'ouali Sidi-Hassen-Aïat.

En nous voyant, ce marabout nous dit : Que vous arrive-t-il, ô cavaliers ?

Nous fuyons pour sauver notre vie, et nous implorons Dieu pour qu'il nous protége.

Couchez chez moi, nous dit-il alors, vous n'aurez rien à craindre des hommes.

Le lendemain, en nous remettant en route, l'ouali SidiHassen nous dit :

‹ Allez dans le pays de Safouan, dont les habitants sont les Diab et les R'orab, vous y serez en sûreté. »

Je lui répondis que nous suivrions ses conseils. Avant de partir, il nous pourvut de provisions, puis nous donna sa sainte bénédiction.

En avançant dans le Sahara, un de mes fils, qui allait en avant pour éclairer notre marche, vint me prévenir qu'il y avait du monde devant nous. Va voir ce que c'est, lui-dis-je; si ce sont des amis ou des ennemis.

Mon fils était monté sur un cheval alezan ardent

comme le feu; il courut dans cette direction et trouva le saint marabout Mohammed-ben-Ali-bou-Nab en train de creuser un puits pour les voyageurs qui traversaient ces contrées désertes.

«Que Dieu t'aide à achever ce puits, lui dit mon fils en l'abordant. » Puis, il revint sur ses pas nous annoncer ce qu'il avait vu. Nous avions déja pris nos dispositions pour nous défendre en cas d'attaque.

Notre troupe se reposa chez sidi bou-Nab, à qui je donnai en offrande de l'huile et un boisseau de dattes. Il-fit des vœux pour notre prospérité et, après l'avoir quitté, nous allâmes faire une nouvelle station à sidi Braham-ben-el-Bendrès et de là au keber Hamich-ezZenati, où nous restâmes sept jours.

Dès notre arrivée, Ahmed-ben-Amer-ben-Handala-elKoraïchi demanda à épouser Maïssa, fille de mon fils ElFekit. Il la lui donna.

Au bout d'un mois, Ahmed me dit : Oh! El-Heuch, tu es un homme de la ville; l'habitation des Bedouins nomades ne saurait te convenir. Je te conseille donc de t'installer dans la bourgade de Bent-Sebti ; j'ai des amis parmi les Beni-Kaïd à qui je te recommanderai.

Je fis cadeau du cheval d'un de mes fils à Ahmed, et nous allâmes ensemble à cette bourgade. Je reconnus que les gens au milieu desquels je venais de fixer ma résidence n'avaient aucune religion. Depuis cette époque je suis ici parmi eux.

Tel est le récit que El-Heuch fit au marabout sidi Mçaoud.

Après s'être reposé pendant sept jours chez son hôte, le marabout n'ayant pu faire aucun prosélyte parmi cette

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