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et nous mirent en fuite. Désespérés de ce premier échec, nous envoyâmes implorer la sainte maraboute LallaZeïneb-bent-Tendla, notre protectrice. Elle nous adressa immédiatement un morceau d'étoffe de ses vêtements que nous attachâmes au bout d'une lance, et, confiants dans la vertu de cette amulette bénie, nous marchâmes de nouveau contre l'ennemi.

L'un des nôtres, Zouzran-ben-Salem, des Beni-Moaouïa, fut tué le premier; son tombeau est encore connu de nos jours. Nous combattimes les uns contre les autres jusqu'à l'heure de l'acer (de 3 à 4 heures du soir); mais à ce moment, nos ennemis se débandèrent et on les poursuivit jusqu'à la nuit. Nous retrogradȧmes ensuite pour rentrer dans nos tentes.

Les ennemis s'étant reformés, reparurent encore le lendemain dans l'arène meurtrière, et on se battit de nouveau sur l'emplacement où, la veille, nous avions enterré notre compagnon Zouzran. En nous abordant, ils ne cessaient de crier Certes, par Dieu! nous faisons serment de vous expulser du pays!

A la fin de cette journée de combat, nous avions perdu 70 hommes et 120 chevaux, et nos ennemis 160 hommes et 10 chevaux.

Le lendemain matin, la lutte reprit avec acharnement. Nos ennemis s'avancèrent vers nous vêtus de noir. Ayant enfoncé leur ligne, ils se mirent en fuite; mais pendant la poursuite, ils firent brusquement volte face et, dans un retour offensif, ils nous tuèrent sept hommes: El 'Araour, Mâmar-ben-Mouça, Amer-el-Irbouh, Gabèsben-Sariâ, Saâd-ben-Amara, Djaber-ben-Kaouân et Bachir-Salmi.

Accompagnés de nos femmes et de nos enfants, nous marchâmes sur leurs traces jusqu'à la bourgade où ils s'étaient réfugiés. Pendant trois jours, nous les tînmes dans ce réduit; enfin, épuisés, ils se mirent à crier : — < Accordez-nous l'aman; la vie des hommes appartient à Dieu seul; l'aman! l'aman ! »

Safouan ajoute : - Ayant entendu nos ennemis pousser ces cris de lamentation, il fut décidé qu'on les abandonnerait à leur sort, et tous les Troud reprirent le chemin des ksour, où nous vécûmes en paix tant que Dieu le permit.

Un jour, les Troud manquant de vêtements et de vivres, se décidèrent à en demander au prince Hafsite qui résidait à Malleka et, à cet effet, lui envoyèrent un des leurs en députation.

Le Hafsite répondit: Je ne donnerai rien aux Troud, et je vous engage à respecter mon territoire.

L'émissaire étant revenu, rendit compte de cette ré

ponse.

L'émir Trad, consulté alors sur ce qu'il convenait de faire, prescrivit aux Troud d'aller dévaster le pays de l'Ifrikïa. Chaque jour, en effet, cinquante de nos cavaliers allèrent en course en Ifrikïa.

A cette même époque, le Chabbi apparut dans le pays, et demanda à jouir de sa part de territoire. Il affligea les populations par ses injustices, ce qui provoqua de graves conflits entre lui et le souverain de Malleka, ainsi que nous le raconterons plus loin.

L'auteur raconte : Fatigué de vos excursions dévastatrices, le souverain de Mâlleka écrivit au seigneur de Tamerna une lettre ainsi conçue :

« Au reçu de ma missive, vous remettrez aux Troud la moitié des troupeaux m'appartenant que vous avez entre les mains. Je suis réduit à leur faire ce don afin qu'ils ne viennent plus piller mes sujets. »

Safouan ajoute Munis de cette lettre, nous allâmes la porter au seigneur de Tamerna, qui, après nous avoir bien accueillis, nous livra tout ce que nous désirions. Nous retournâmes dans notre pays où nous vécûmes paisiblement dans nos ksours sans avoir de nouvelles contestations avec nos voisins.

Nous étions installés à Nazia, passant régulièrement la saison du printemps dans l'Oued-Rir', l'été dans le Zab et l'automne dans le Djérid.

Le seigneur de Tamerna étant mort, les gens de l'Oued-Rir', après avoir délibéré, choisirent Brahim-benAbd-el-Kader pour lui succéder. Celui-ci resta au pouvoir jusqu'à la mort de notre émir Trad.

La mort de l'émir Trad eut lieu vingt ans après notre installation à Nazia.

Au moment où Dieu allait reprendre son âme, il nous fit appeler et nous réunit autour de lui. Il nous dit :

<< O! gens, je vais mourir ; mais écoutez bien mes dernières recommandations, et surtout ne vous écartez d'aucune d'elles :

- Quand l'un de vous succombera, ne l'enterrez pas en le couchant sur le dos, dans la position de l'homme qui dort, allongez-le sur le flanc.

« Si vous faisiez autrement, le respect que l'on a pour votre race décroîtrait sensiblement (1).

(1) Comme nous le verrons plus loin, les populations du Sahara avaient

«Si des revers de la fortune vous atteignent jamais, retirez-vous au Souf; c'est là que sera désormais votre patrie ;

« Si vous n'étiez pas d'accord pour l'administration de vos affaires, je vous engage à faire choix d'un homme intelligent et de bon conseil ;

« Ne donnez jamais le commandement de l'Oued-Rir' à l'un des miens ou à l'un des vôtres; l'ambition et la jalousie susciteraient inévitablement la désunion dans vos assemblées, votre force s'amoindrirait par la haine des différents partis. Soyez bienveillants pour ce qui reste de la population des 'Adouan, afin que, liés à vous par la reconnaissance, ils soient toujours vos auxiliaires inséparables. Si vous sortez de Nazia, emmenez avec vous tous les habitants des ksour, de peur que la guerre n'éclate un jour entre ceux qui y seraient restés et ceux qui s'en seraient éloignés. Si cela advenait, vous n'auriez alors pour guide que vos propres inspirations. >

-

Le narrateur continue en ces termes : Quand les Troud allèrent s'établir au Souf, ils y trouvèrent une population qui descendait de David, que sur lui soit le salut. Il existait dans ce pays des r'edir (cavités pleines d'eau) provenant du Nil; chacun des Troud s'empara d'un r'edir et s'installa auprès, avec sa famille et les 'Adouan qui le suivaient; de cette manière, ils s'approprièrent les terres du Souf et en jouirent pendant quinze

ans.

Safouan ajoute Un jour, nous aperçumes nos jeunes

des mœurs très relachées et ne suivaient les préceptes d'aucune religion. Nous supposons que le but de Trad, en faisant cette recommandation, était de maintenir ses gens dans la religion de l'islam.

gens, ayant déjà atteint l'âge nubile, dans une nudité complète, jouant sans pudeur au jeu du mouton (1). Ils osaient même manger pendant le mois de jeûne du ramad'an. A cette époque, notre population s'était considérablement accrue, et les mœurs étaient très libres; le saint marabout Cheikh Mohammed-el-Mçaoud-Chabbi ayant eu connaissance du relâchement qui existait chez nous, monta à cheval et arrivà dans le Souf. Il trouva que les habitants étaient sans religion, qu'ils n'étaient ni musulmans ni païens.

Que viens-tu chercher dans notre pays, lui demanda-t-on ?

Je suis marabout, et je viens pour vous ramener dans la religion de l'islam et vous inspirer la crainte de Dieu.

Pars, va-t-en, car personne ne t'écoutera !

D'autres paroles plus violentes furent prononcées

(1) Le láb-chá, jeu du mouton, est encore fort répandu dans les tribus arabes; seulement ceux qui s'y livrent, restent vêtus autant que la décence l'exige.

Voici en quoi il consiste :

Un des joueurs, celui qui remplit le rôle du mouton, est accroupi au centre et a le soin de se 'couvrir d'effets pour se garantir des horions auxquels il va être exposé. Près de lui, vient se placer le principal acteur de la scène, c'est le kelb, le chien, qui doit défendre le mouton contre les chacals qui vont l'attaquer. Le kelb est toujours l'individu le plus agile de la bande; la main posée sur la tête ou sur le dos du mouton, il voltige, gambade d'une manière diabolique autour de lui en lançant des ruades à tous les chacals qui s'approchent. Ceux-ci forment le cercle à quelques pas, cherchent à profiter de toutes les occasions pour s'avancer et porter un coup de poing ou de pied au mouton. Le jeu s'animant, les ruades et les coups deviennent de plus en plus pressés et de plus en plus violents; aussi arrive-t-il souvent qu'il y a des dents cassées et des individus éborgnés par les talons du kelb sans cesse en

mouvement.

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