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mais, vous renonciez à porter le nom de votre chef Messerouk et que vous adoptiez le mien.

Ils y consentirent également, de sorte qu'à dater de ce moment, toutes les fois qu'en parlant d'eux on demandait Quel est cet homme ? quels sont ces cavaliers? on répondait : Ce sont les Troud, c'est-à-dire les gens de Trad-ben-Dabès.

Messerouk-ben-Handala fut vivement mortifié de voir ainsi disparaître son nom. Il était, en effet, de noble race arabe, et descendait des Beni-Makhzoum, tandis que Trad n'était qu'un homme obscur issu de la tourbe du peuple arabe. Il fit le serment de se séparer de ses ingrats compagnons, et joignant l'action à la menace, il partit immédiatement pour Kaïrouan, où on le reçut, lui et les trente cavaliers ses parents qu'il avait amenés d'Orient. I habita cette ville jusqu'au moment où parvint la nouvelle que Trad et ceux qui l'avaient suivi s'étaient établis définitivement aux ksour-'Adouan, ainsi que nous le raconterons plus loin.

En partant du pays de Gabès, Trad et les siens allérent faire une première station, qui dura trois ans, auprès d'une ancienne ville nommée el-Mohdia (1), ravagée jadis par les compagnons de Olman-ben-'Affan.

Le souverain de Tarchich (Tunis) ayant eu connaissance de leur situation, expédia vers eux son Hambaben-Saad avec trente cavaliers de sa garde. Les Troud lui firent un brillant accueil, et égorgèrent même une jeune chamelle pour son repas. Après qu'il eut mangé,

(1) El-Mohdia est une ville reconstruite par l'imam El-Mohdi vers l'an 299 de l'hégire sur les ruines de l'antique Aphrodisium. Roger, roi de Sicile, s'en rendit maître en 1147.

le Hamba leur dit « Le souverain de Tunis, mon maitre a juré que vous ne vous établiriez point sur son territoire, et je viens vous notifier, de sa part, d'avoir à vous éloigner. »

Ces paroles ayant été répétées à Trad, celui-ci fit répondre en ces termes :

<< Nous sommes des gens vivant indépendants et à l'état nomade; répondez à votre maître que nous ne lui demandons autre chose que de nous laisser libres ; nous avons besoin d'espace pour vivre comme vivaient nos pères. >>

Le Hamha rendit compte de sa mission, puis revint de nouveau auprès des Troud: « Mon souverain, leur dit-il, consent à vous laisser en liberté. >>

Safouan raconte J'étais parmi les Troud; ayant obtenu la faculté de rester nomades, nous nous mimes en marche et nous entrâmes dans l'Ifrikia, au nombre de quatre cents cavaliers.

Un homme de ce pays nous reçut et nous accueillit avec grande bienveillance; nous couchâmes chez lui et nos gens y restèrent trois jours :

Après quoi notre hôte nous dit: L'émir de cette contrée est issu des Beni-Abd-ed-Dar; demain, s'il plait à Dieu, il viendra vous assigner les parties du territoire que vous pourrez parcourir. Il fera entre vous un parlage de terres; chacune de vos fractions aura ses limites, afin que vous ayez de l'espace pour ne pas vous gêner les uns les autres. Il vous donnera des approvisionnements pour vos chevaux et des effets pour vous couvrir. Celui d'entre vous qui perdra son cheval, on le lui remplacera. Donc, restez avec nous dans l'Ifrikia; la

population qui l'habite actuellement est tombée dans l'avilissement; elle n'a aucune énergie et n'est douée d'aucun bon sentiment parce qu'elle a l'habitude de ne se nourrir qne de chair de poule (1).

Les Troud acceptèrent les propositions qui leur étaient faites.

On établira un marché spécial pour vous, ajouta l'orateur, et ce marché s'appellera celui des OuladBou-Zeïd.

Ils levèrent les mains et prononcèrent le Fatha comme gage de leur consentement unanime.

Les Troud vécurent paisiblement pendant quinze années, et purent se refaire des pertes qu'ils avaient éprouvées précédemment. Leurs chameaux, réunis par troupeaux de cent têtes, paissaient à l'endroit nommé El-Aïcha.

Amara et El-Assed-ben-Sariâ, parcourant le pays pour l'examiner, arrivèrent un jour aux ksour 'Adouan. Ils n'y trouvèrent qu'une vieille femme nommée Châhma, un esclave nommé Chouker, ainsi qu'un vieillard impotent âgé de cent-vingt ans, qui avait appris de son père, mort à l'âge de cent cinquante ans, les événements d'autrefois, et qui se plaisait à les raconter à ceux qui l'écoutaient.

La femme tenait devant elle un tambour de cuivre sur lequel elle frappait deux coups quand elle voulait repousser quelqu'un et manifester son mécontentement. Si, au contraire, elle consentait a donner l'hospitalité à un étranger, elle frappait un seul coup sur son tambour.

(1) Plusieurs tribus nomades considèrent comme avilissant d'élever et même de manger des poules.

Les 'Adouan habitants des ksour avaient la coutume d'emmener tous leurs bestiaux aux pâturages vers les premiers jours de printemps. Les gens des montagnes descendaient alors vers eux avec leurs troupeaux, et ils se dirigeaient tous ensemble vers les plateaux de Laghouat et de Ouargla.

Safouan raconte Quand nos deux voyageurs arrivérent aux ksour et n'y virent personne, ils demandérent s'ils étaient ou non habités. Chouker leur répondit qu'il n'y avait personne pour le moment, mais qu'il leur donnerait lui même l'hospitalité en leur apportant du pain, de la viande et de l'eau. Si, au contraire, ajoutat-il, votre intention est d'avoir des renseignements sur le pays, venez avec moi; je vous conduirai au ksar dit d'ElMedina, où se trouve quelqu'un qui peut satisfaire votre curiosité. Ils acceptèrent, et Chouker les mena auprès du vieillard âgé de cent-vingt ans, qu'ils trouvèrent assis sur un bât de chameau rembourré de paille. Après qu'ils eurent échangé leurs salutations, le vieillard leur dit :

De quelle tribu êtes vous, et que venez-vous chercher ici ?

Nous sommes deux hommes de bien de l'Ifrikïa, et nous parcourons le pays pour notre agrément.

Vous mentez, reprit le vieillard, car je sais, par les prophéties renfermées dans nos anciens livres, que les Troud, auxquels vous appartenez, doivent apparaître à l'époque où nous sommes actuellement pour s'emparer de tout ce qui existe dans cette contrée.

Les deux voyageurs surpris demandèrent: Que savezvous donc encore à ce sujet ?

Voici, dit-il Le pays qui est derrière nous s'appelle

le Souf; c'est ici qu'existent les ksour 'Adouan. Il en est d'autres dits ksour Rahban; ce nom leur fut donné parce que des moines chrétiens vinrent jadis s'y installer, et chacun d'eux se construisit un ksar; tels sont les trois ksour de Ourlana, les deux de Djelâma, celui de Badès et enfin le dernier, situé à Tahouda. Les moines chrétiens élevèrent ces ksour pour y vivre dans l'isolement et se livrer à l'adoration de Dieu.

se

Quant à 'Adouan, voici quelle est l'origine de cette appellation. Sous le khalifat de Otman-ben-Affan, les musulmans firent la conquête de l'Ifrikïa (1); parmi eux trouvait un homme des Beni-Makhzoum nommé 'Adouan. L'Émir qui commandait les troupes, après avoir rendu compte des succès qu'il avait obtenus, reçut ensuite l'ordre de faire retourner les Beni-Makhzoum et les Beni-Hachem à Médine, et de ne laisser personne en arrière. Cependant, 'Adouan resta en Ifrikïa, et s'y maria avec une femme indigène, laquelle lui donna vingt enfants en quinze grossesses,

Ses fils grandirent, montèrent à cheval et eurent eux mêmes des enfants du vivant de 'Adouan leur père. Ils possédaient mille chameaux et trois mille chèvres ou moutons. Cette famille prospéra à tel point, que des gens de tous pays accoururent pour vivre à côté d'elle, et c'est ainsi que s'accrut la population des ksour 'Adouan.

Le premier habitant de Souf se nommait Louï-benLoukman; il était issu des Beni-Iilal. Ses descendants l'habitaient depuis quarante ans et se considéraient déjà comme n'ayant jamais eu d'autre patrie, quand survin

(1) En 647 de l'ère chrétienne.

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