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et donna l'ordre barbare de ravager tout le pays, afin de mettre les assaillants dans l'impossibilité d'y vivre. Alors, des émissaires, envoyés par elle dans toutes les directions, brûlèrent les habitations, ravagèrent les cultures, portèrent l'incendie dans les forêts...; ce fut une œuvre complète de destruction, et le pays, de Tripoli à Tanger, qui n'était, au dire des historiens arabes, qu'un immense bocage et une succession continuelle de villages, présenta l'aspect d'un désert.

Cette mesure radicale eut pour effet de détacher de la Kahena la plupart des populations berbères; le patriotisme de ces cultivateurs ne fut pas assez grand pour leur faire préférer l'indépendance à la ruine, et tandis que l'ennemi approchait, la division paralysait les forces de ceux qui auraient dû se réunir pour le repousser.

Hassan profita habilement de ces dissensions; ayant franchi la frontière de l'Ifrikïa, il vit un certain nombre de populations venir faire leur soumission. La Kahena essaya en vain de l'arrêter; elle dut reculer devant lui, et, selon Bekri, vint se renfermer dans la ville ancienne de Kçar-el-Ledjem (1), où elle soutint un siége assez long contre les Arabes. Forcée enfin d'abandonner ce poste fortifié, qui conserva son nom (Kçar-el-Kahena), elle dut bientôt céder à l'ennemi toutes les places fortes de l'Ifrikïa et se cantonner dans l'Aurès, au milieu de quelques tribus restées fidèles.

Le vainqueur reprit alors K'aïrouan, Carthage et toute la contrée, de sorte que la retraite de la Kahena fut bien

(1) L'amphithéâtre d'El-Ledjem est, de nos jours, un des plus beaux monuments de l'antiquité romaine en Afrique. Ces ruines de l'antique Tysdrus, se trouvent à moitié chemin entre Sfax et Soussa.

tôt le seul point qui ne reconnut pas l'autorité musulmane. Hassan, brûlant du désir de venger l'injure que lui avait infligée une femme à Miskiana, marcha contre l'Aurès à la tête d'une puissante armée.

La Kahena, avec un courage admirable, se disposa à lutter contre l'ennemi; mais, certaine d'avance du résultat, elle ordonna à ses deux fils d'aller faire leur soumission au général musulman; quant à elle, elle préféra mourir en combattant pour une cause qu'elle avait toujours défendue. Ayant donc réuni ses guerriers et enflammé leur courage, elle marcha contre les Arabes qui avaient déjà pénétré au cœur du pays. La bataille fut sanglante, mais le nombre des musulmans triompha du courage des indigènes. Les Berbères virent tomber tous leurs chefs, et durent prendre la fuite après avoir vu leur reine mourir glorieusement les armes à la main; la localité fut nommée, en souvenir de cette bataille, Bir-elKahena.

Hassan fit des vaincus le plus grand carnage; puis, quand il fut las de tuer et de ravager, il reçut la soumission des habitants du pays, à la condition qu'ils se convertiraient à l'islamisme, et fourniraient au gouverneur arabe un certain nombre de guerriers. Les fils de la Kahena, nommés chefs des Djeraoua et de l'Aurès, furent chargés de faire exécuter ces conditions.

Ainsi finit cette guerre, que l'héroïsme d'une femme a rendue célèbre.

Pendant longtemps encore, les révoltes partielles contre la domination musulmane, et les guerres fratricides entre Berbères, ensanglantèrent le Mor'reb et le couvrirent de débris; plus d'une fois, les généraux arabes durent par

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courir le pays pour obtenir des soumissions peu durables et des conversions encore plus fragiles. Enfin, Mouçaibn-Noceir et Tarok-ben-Ziad passèrent en Espagne, entraînant avec eux une partie de l'élément actif berbère, qu'ils lancèrent sur la chrétienté.

Quelque temps après, la dynastie des Ar'lebites s'élablit à K'aïrouan, et celle des Idricides à Fès; elles y firent régner, pendant une période, le nom arabe, puis, le peuple autochtone reprit le dessus, et l'on vit de grands empires berbères se fonder sur les débris de ceux des Arabes. Ce fut le dernier rayon de gloire du peuple indigène; la deuxième invasion arabe vint, en effet, par sa masse, briser l'unité de la race du pays, répandre partout l'anarchie, et préparer pour plus tard l'établissement de l'autorité ottomane sur la région du littoral.

E. MERCIER.

Interprète judiciaire.

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L'auteur arabe, Sid Salah-ben-el-Anteri, qui, de nos jours, a publié une histoire, d'ailleurs fort abrégée, des beys de Constantine (1), fixe l'entrée des Turcs dans cette ville à l'année 1640, et désigne Ferhat comme ayant été le premier bey nommé par eux au commandement de la province de l'Est.

Nous ne nous arrêterons pas à faire ressortir ce qu'a d'erroné cette double assertion. En la reproduisant, Sid Salah n'a fait que se conformer à une opinion généra

(1) Premier essai d'une Histoire de Constantine (texte arabe), par Salahel-Anteri, secrétaire de la direction des affaires arabes. Constantine, Félix Guende, imprimeur et lithographe, place du Palais, 1846.

lement admise parmi les vieillards, ses contemporains, chez lesquels s'est transmis un vague souvenir de ces temps, opinion qui ne repose sur aucun écrit et qui n'est que le résultat d'une confusion. Ils ont pris pour un premier établissement des Turcs dans cette province, ce qui n'était qu'une troisième restauration de leur pouvoir, jusque là, il est vrai, mal assis et non universellement reconnu; mais qui, incontestablement, avait dominé sur le pays plus de cent ans auparavant. Les faits historiques. consignés dans la première partie de ce travail, et les nombreuses preuves que nous avons données à l'appui, le démontrent d'une manière péremptoire. Il n'y a donc pas lieu de revenir ici sur un point qui ne peut désormais faire doute et qui reste acquis à l'histoire.

Disons maintenant ce que nous savons de Ferhat bey (1). Porté au pouvoir par l'élection de ses concitoyens, et cette élection ayant été confirmée par le pacha d'Alger, le fils de Mourad, en prenant les rênes du gouvernement, sut se montrer digne de la confiance que le pays avait mise en lui.

Son premier soin fut de ramener l'ordre et la tranquillité dans cette société si profondément troublée par dix années de révoltes et de luttes intestines. Grâce au concours des troupes nombreuses que le pacha d'Alger mit à sa disposition, il put facilement vaincre les derniè res résistances qu'essayèrent de lui opposer, non plus les partisans de l'ancien régime, abattus et démoralisés qu'ils étaient par leurs propres excès; mais ces hommes

(1) L'histoire écrite par Sidi Salah-el-Anteri n'ayant pas encore été traduite en français, nous l'insérerons à peu près in-extenso dans ce travail, en la complétant ou la corrigeant d'après nos propres documents.

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