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relles, devinrent le théâtre de ces luttes, dont les montagnes furent généralement exemptes.

De ce nombre, se trouva le pâté montagneux de l'Aurès. Habité en grande partie par la tribu des Djeraoua, cette contrée avait échappé, par sa situation, à l'action des Arabes, et ses habitants avaient continué en paix leur genre de vie, et conservé leur culte, qui était le judaïsme. Ils étaient gouvernés par une reine nommée Dihya-bent-Tabet (1). Cette femme remarquable appartenait à une famille ancienne dans le pays, et qui y avait toujours exercé le pouvoir; elle professait la religion juive, et passait pour s'occuper de sciences occultes; c'est pourquoi les Arabes lui appliquèrent, plus tard, le nom de Kahena (sorcière, devineresse). On doit regretter bien vivement que les auteurs ne nous aient pas transmis de détails plus intimes sur sa vie privée, nous permettant d'apprécier, sous ce point de vue, cette étrange personnalité.

La retraite de la reine de l'Aurès était à Bar'aïa (2), ville d'origine ancienne, fortifiée par la nature, et entourée d'ouvrages qui en défendaient l'approche de trois côtés; celui de l'ouest, couvert de jardins et arrosé par un ruisseau, était le seul praticable. La Kahena régnait depuis longtemps dans cette localité; sa renommée de devineresse s'étendait au loin; elle avait une grande autorité dans le pays, aussi paraît-elle avoir été pour beaucoup dans l'attaque d'Ok'ba par les Berbères à Tahouda.

(1) Damia-bent-Nifak, d'après certains auteurs. Ces différences proviennent de l'incorrection des manuscrits, et de la négligence avec laquelle les copistes ponctuent les noms propres.

(2) Cette localité est à environ vingt lieues de Lambèse.

Après la révolte qui suivit la mort de Zoheïr, son influence s'étendit encore; un grand nombre de Berbères vinrent se grouper autour d'elle, et elle devint bientôt la plus puissante parmi les chefs du Mor'reb.

Cependant le khalife Abd-el-Melek, ayant appris la défaite et la mort de son lieutenant Zoheïr, expédia à Hassan-ibn-Naman-el-R'assani, gouverneur de l'Egypte, l'ordre de marcher contre les rebelles du Mor'reb. Pour assurer la réussite de la campagne, il lui envoya, comme renfort, une armée que les historiens portent à 40,000 hommes, et lui permit de distribuer à ses troupes, avant le départ, l'argent des trésors du pays. En 689 (1), Hassan fondit sur l'Ifrikia, à la tête de la plus forte armée arabe qu'on y eut vue encore. Il parvint bientôt à K'aïrouan qui ne fut pas défendue, et de là se porta sur Carthage, ville que le général Ok'ba avait en vain esssayé de réduire, et où s'étaient réfugiés un grand nombre de Grecs et de Romains. Il donna un si terrible assaut à la place, qu'il s'en rendit maître à la première attaque. Les chrétiens eurent, pour la plupart, le temps de s'embarquer, et se réfugièrent en Sicile et en Espagne; ceux qui ne purent échapper, furent massacrés par les soldats de Hassan, qui ordonna le pillage de la ville, puis sa destruction. De là, il envoya des corps de troupes attaquer les autres points. fortifiés, où les Berbères et les Grecs s'étaient renfermés; il se porta ensuite lui-même à Statfoura et à Benzert (2),

(1) Cette date, comme la plupart de celles du premier siècle de la domination musulmane en Afrique, est incertaine et varie de quelques années selon les auteurs.

(2) Ports sur le littoral, au nord-ouest de Tunis.

en délogea les rebelles et les força à se réfugier à Bône. et à Badja (1).

Hassan retourna alors à K'aïrouan, et se prépara à attaquer la Kahena, auprès de laquelle s'étaient ralliés tous les révoltés de l'Ifrikia. Plein de confiance dans ses premiers succès, si facilement obtenus, il marcha contre elle, et fit prendre position à ses troupes sur la rivière Miskiana, à une journée de Bar'aïa.

Mais la Kahena, à l'annonce de la prochaine attaque des musulmans, n'était pas restée inactive; elle avait réuni tous les guerriers berbères et avait enflammé leur courage, en leur représentant que le seul moyen d'échapper au joug de leurs oppresseurs, dont ils avaient pu éprouver la tyrannie, consistant dans la force de leurs cœurs et la vigueur de leurs bras. Par ses paroles, par son exemple, elle donna à tous la confiance de la victoire qu'elle promettait, et, sans attendre le choc de l'ennemi, elle se mit à la tête de ses troupes et vint fondre sur le camp des musulmans.

Une bataille terrible s'engagea; les Arabes avaient l'avantage des armes et de la position, mais les Berbères avaient celui du nombre et surtout du courage porté à son paroxysme par l'enthousiasme.

Après une lutte acharnée, dans laquelle la plupart des musulmans furent pris ou tués, la victoire resta aux Berbères, et Hassan dut prendre la fuite avec les débris de ses troupes.

Sans perdre un moment, la Kahena profita de l'effet produit par son succès sur les populations, pour pour

(1) Badja, la Vacca de Salluste, à l'ouest de Tunis, au nord de la Medjerda.

suivre les Arabes; toujours victorieuse, elle les chassa devant elle, entra triomphante à Carthage et à K'aïrouan, et, aidée par les indigènes dont elle savait réveiller l'ardeur patriotique, elle eut bientôt délogé Hassan de toutes les places qu'il avait conquises. Rejeté au-delà de K'abės, ce général se réfugia dans la province de Tripoli, et se retrancha dans une forteresse qui fut désignée plus tard, de son nom, Keçour-Hassan. Ainsi se termina une campagne qui avait coûté si cher au khalifat.

Grâce au courage de la Kahena, l'Ifrikïa fut encore une fois débarrassée des Arabes, et les Berbères purent jouir quelque temps de leur indépendance. Après la victoire. de Miskiana, cette femme remarquable avait, par un exemple bien rare dans les annales de l'Afrique septentrionale, traité avec bonté les prisonniers musulmans, donnant ainsi une leçon d'humanité à ceux qui se prétendaient les apôtres d'une civilisation, et qui se garderent bien d'imiter cet exemple. Elle renvoya même tous les captifs sans rançon, ne gardant auprès d'elle que Khaled-ben-Yezid, personnage distingué, de la tribu de Kaïs, qu'elle adopta pour son troisième fils.

L'autorité de la Kahena paraît s'être étendue alors sur toute l'Ifrikïa, et nominativement sur le Mor'reb-el-Akça, jusqu'à la Tingitane. Pendant cinq ans, elle exerça le pouvoir avec équité, sans cependant avoir été assez puissante pour empêcher, dans l'ouest, des dissensions intestines qui devaient préparer, dans l'avenir, les victoires de l'ennemi.

Quant à Hassan-ibn-Nâman, il avait rendu compte de sa défaite au khalife, en demandant des secours; mais les embarras auxquels Abd-el-Melek avait à faire face pour

conserver son propre pouvoir, l'empêchèrent d'envoyer de suite les renforts demandés, et il donna ordre à son général de se maintenir, en attendant, dans la province de Barka.

Ainsi le fragile empire de la Kahena dépendait des évènements d'Orient, et ne pouvait subsister que tant que des guerres emploieraient les forces du khalifat. Cette héroïne avait donc inutilement essayé de repousser les envahisseurs. Il est des évènements que l'homme voudrait en vain tenter d'arrêter, lorsque leur terme est arrivé; l'invasion était de ce nombre: un trop plein poussait les populations de l'Arabie vers l'ouest, et la digue que les Berbères pouvaient y opposer, était trop faible pour arrêter ce courant.

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Une circonstance imprévue vint encore favoriser les ennemis de la Kahena le captif Khaled-ben-Yezid, que cette reine avait adopté et auquel elle prodiguait ses faveurs, loin de reconnaître les bontés qu'elle avait pour lui, la trahit avec la plus noire ingratitude. Informé de ses secrets, il profita, avec une perfidie toute musulmane, de la confiance qu'on avait en lui, pour entretenir une correspondance secrète avec Hassan et l'instruire des projets de sa protectrice.

Enfin, les guerres du khalifat s'apaisèrent, et Hassan, ayant reçu des renforts envoyés par Abd-el-Melek, se mit en marche vers l'Ifrikïa (693).

A son approche, la Kahena ne se fit pas d'illusions sur l'issue de la campagne, et les Arabes ne manquèrent pas d'attribuer à ses relations avec le démon, ce que sa clairvoyance lui avait fait pressentir. Elle voulut cependant employer tous les moyens pour repousser l'ennemi,

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