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En même temps que nous chercherons à rendre intelligible le livre d'El-Adouani, nous tâcherons donc de réunir, dans un appendice succinct, quelques renseignement authentiques que nous possédons sur le sud de la province. Ce sera atteindre un double but, et répondre au désir manifesté bien souvent par les nombreux touristes qui viennent le visiter.

Le Recueil de notre Société leur évitera ainsi les laborieuses recherches auxquelles ils seraient obligés de se livrer pour se procurer les ouvrages spéciaux publiés sur ce pays. Nous relaterons ce que disent quelques anciens auteurs en même temps que les traditions conservées par la population actuelle.

La majeure partie des régions mentionnées dans les récits d'El-Adouani est en voie de transformation. Les luttes de tribu à tribu, en un mot, l'anarchie dont il parle, a fait place en peu d'années à un état de choses entièrement opposé.

Comment, se demandera-t-on, un tel phénomène a-t-il pu se produire chez un peuple turbulent par nature et par tradition? C'est ce qu'il nous semble utile de démontrer dans ce préambule par des faits ayant par euxmêmes une éloquence qui nous dispensera plus loin de trop longs commentaires.

Au temps des Romains, la Gétulie fut toujours un foyer menaçant de rebellion, d'où se déchaînaient à l'improviste, et à bride abattue, ces hordes innombrables avides de meurtre et de pillage, qui venaient troubler le repos de la Numidie. Les nombreux avant-postes dont nous trouvons encore les vestiges sur les limites du Tell, ne pouvaient les contenir qu'imparfaitement.

Les Sahariens de notre époque avaient conservé intactes ces habitudes séculaires de turbulence et de vagabondage, tant il est vrai que la nature d'un pays influe considérablement sur le caractère de ses habitants. Qu'on les nomme Libyens, Gétules, ou plus vulgairement Sahariens, la question a été de tout temps la même entre le nomade au brutal instinct de destruction ou convoitant le bien d'autrui, et l'habitant plus paisible et plus sédentaire du Tell. Que le chef de la révolte se nomme Tacfarinas, Jugurtha ou le cherif Mohammed ben Abd-Allah, c'est toujours dans le Sud que les rebelles ont trouvé, à toute époque, le moyen de se relever de leurs défaites en recrutant de nouveaux partisans pour recommencer la lutte.

En 1844, notre drapeau flottait sur l'oasis de Biskra, alors limite extrême de la domination française dans le Sud de la province. Dix ans plus tard, il devint indispensable de reculer ces frontières afin d'abattre les BenDjellab, seigneurs de Touggourt, dont l'influence hostile ne cessait de nous causer de très-graves embarras.

Les Ben Djellab, par une politique astucieuse, bien que reconnaissant notre suzeraineté, accordaient aide et protection au premier fanatique venu se disant cherif et inspiré de Dieu. Ces énergumènes, après avoir de temps en temps jeté la perturbation dans nos tribus du Tell, allaient ensuite se réfugier aux environs de Touggourt, attendant une occasion favorable pour recommencer leurs prédications à la guerre sainte.

Les esprits fatalistes, à préjugés enracinés et, par conséquent, trop ignorants pour apprécier le côté philantropique de la civilisation européenne, étaient alors

plus nombreux qu'à présent. Pour eux, notre présence en Algérie n'était qu'une épreuve, une expiation passagère. Ils avaient toujours leurs regards fixés vers le sud, d'où devait apparaître le Messie régénérateur dont la mission serait de nous expulser du territoire musulman. Le moindre bruit, le moindre souffle venant de ce côté, suffisait pour les lancer dans l'intrigue et jeter l'émoi chez ces gens hallucinés, sommeillant en apparence, mais attendant avec résignation l'heure du succès final annoncé par les prophéties.

Un tel état de choses, incontestablement dangereux, ne pouvait être toléré plus longtemps; c'était surtout pour le repos et la prospérité de la colonie une cause permanente d'inquiétude. Du reste, quand on se trouve en présence de peuples barbares, une loi politique, consacrée par l'expérience, exige que l'on marche toujours en avant, et que l'on fasse de nouvelles conquêtes pour garantir la sécurité des anciennes.

Au mois de novembre 1854, le colonel Desvaux, du 3e Spahis, commandant alors la subdivision de Batna, recevait l'ordre de marcher vers le Sud avec une petite colonne composée de troupes régulières et d'un contingent de cavaliers indigènes. Le brillant combat de Meggarin où Selman, dernier sultan de la dynastie des BenDjellab, et son allié, le cherif Mohammed ben Abd-Allah, furent battus de la manière la plus complète, nous ouvrit les portes de Touggourt. Le colonel Desvaux y faisait son entrée le 2 décembre, et en prenait possession au nom de la France.

Ce rapide succès étendait notre domination à 135 lieues du littoral.

Conquérir un pays lointain par les armes est chose difficile; mais une œuvre bien plus importante est la conquête administrative, par laquelle l'ennemi de la veille est initié à tous les bienfaits de la paix et des connaissances des peuples modernes. C'est la seule qui laisse des traces impérissables, en inspirant, au peuple arriéré auquel on tend la main, des idées qui l'habituent et l'attachent pour jamais à sa nouvelle condition; c'est la seule, enfin, par laquelle le vainqueur fait oublier sa victoire et l'affirme en même temps.

Ce résultat a été obtenu dans cette région au point de dépasser en quelque sorte nos espérances.

Quoi de plus satisfaisant, en effet, que l'attitude des populations du Sud de notre province depuis cette époque ? La grande insurrection de 1864 et 1865, qui a agité tout l'Ouest et le centre de l'Algérie les a même trouvées impassibles, et il a suffi de quelques mesures de vigilance prises à propos et avec énergie, pour tenir les fauteurs de troubles en respect et les empêcher de pénétrer chez nous.

< Un changement aussi absolu dans l'état social et politique de cette partie du Sahara est du à la justice d'une administration surveillée par l'autorité française, et aux bienfaits des sondages artésiens. Restées jusqu'en 1866 en dehors du mouvement de civilisation que la conquête de 1830 fait pénétrer dans l'Algérie entière, les populations de l'Oued-Rir', à qui la force de la France venait de se révéler par la victoire de Meggarin, trouvaient enfin justice et protection. A ces Ben-Djellab, qui tarissaient les sources de la fortune publique, qui ne reculaient devant aucun méfait, aucun crime, succédait

'un nouveau pouvoir, occupé sans relâche de la réorganisation administrative et des moyens de faire oublier les maux passés.

Ces soldats français qui, peu de jours avant l'entrée à Touggourt, avaient apparu si terribles dans le combat, maintenant travailleurs pacifiques, rendaient la vie aux oasis en décadence, se mélaient dans le plus grand ordre à ceux dont ils étaient la veille les ennemis; avec ce dévouement qui caractérise l'armée d'Afrique, les plus rudes labeurs étaient recherchés, les plus tristes. solitudes s'animaient, et à la fin de ces campagnes artésiennes, chaque soldat revenait heureux du bien auquel il avait contribué (1).

A M. le général Desvaux, commandant, en 1856, la subdivision de Batna, dit M. Jules Duval (2), revient l'honneur d'avoir pris l'initiative d'une entreprise qui offrait d'énormes difficultés à vaincre, car il fallait porter la sonde inerte à Biskra, à cinquante lieues au sud, à travers d'affreux déserts, sans ressource locale de main d'œuvre et de vivres....

Le matériel de sondage avait été débarqué à Philippeville en avril 1856. Le transport présenta des difficultés incroyables, les charrettes s'enfonçant à chaque pas dans le sable, il fallut faire des prodiges pour atteindre Tamerna. Sous la direction de M. Jus, habile ingénieur de la maison Degousée et Laurent, le premier coup de sonde fut donné le 1er mai 1856, par Ali Bey,

(1) Général Desvaux. Rapport sur les forages artésiens.

(2) Mémoire lu par M. Jules Duval, vice-président de la Commission centrale, dans la séance générale de la Société de géographie du 14 décembre 1866.

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