Images de page
PDF
ePub

passer en Egypte; ils sont venus de là à Tripoli, puis à Gabès; maintenant ils ravagent vos contrées; ils ne peuvent vivre sous aucune autorité; ils sont enclins au pillage et ne se plaisent qu'avec les chacals et les corbeaux. Donc, je vous conseille de leurs envoyer mille dinars; alors ils vous laisseront en repos au lieu de vous combattre. »

L'émissaire tripolitain porta cette missive à Tunis, et reconnut que l'Ifrikïa était dépourvue d'hommes de bon conseil.

Le souverain de Tunis lut la lettre du tripolitain, et dit aux grands de sa cour: Que pensez-vous du contenu de cette réponse?

- Nous n'avons qu'à écouter et obéir, lui répondit-on; c'est donc à vous d'ordonner.

[ocr errors]

J'ai envie, dit le Prince, de monter moi-même à cheval, d'aller combattre le Chabbi, de m'emparer de sa personne, de faire bouillir sa chair dans un chaudron et de la manger ensuite.

Non, ce n'est point ainsi qu'il faut s'y prendre, ripostèrent ses conseillers; il vaut mieux inviter les principaux d'entre les Troud à venir traiter verbalement avec nous; nous leur ferons quelque riche offrande, et ils s'éloigneront de la contrée sans nous causer de nouveaux dommages.

Bou-'Akkas, prenant la parole à son tour, s'écria: Non, il ne faut rien donner aux Troud et rien leur abandonner. Je suis d'avis de mander le Chabbi lui-même pour traiter; dès qu'il sera entre nos mains, nous ferons de lui ce que nous voudrons.

Il ne viendra pas, répondit-on, il est trop rusé; il

se doute et se méfie de tous les stratagèmes que nous pourrions employer pour lui nuire.

L'oukil Amran-el-Testouri objecta: Tout ce que vous dites est sans valeur; il faut que nous montions à cheval nous mêmes. Nous rassemblerons tous nos vassaux de l'Ifrikïa; nous avancerons la nuit et nous nous tiendrons en embuscade le jour; nous arriverons ainsi inopinément à Badja, où nous surprendrons l'ennemi à l'improviste.

Ce projet est le meilleur, s'écria-t-on de toutes parts; il faut l'exécuter. Alors on convoqua tous les clans de l'Ifrikïa, et on rassembla neuf mille cavaliers et quatre mille fantassins. Pendant leur marche, ils opérèrent de la manière convenue, c'est-à-dire avançant la nuit et s'arrêtant le jour; et ils arrivèrent ainsi auprès de Badja. La nuit étant venue, ils prirent leurs sabres, allèrent tourner la position des ennemis, et leur tuèrent à l'improviste quarante hommes et soixante chevaux. Le Chabbi, surpris, s'enfuit et disparut jusqu'au matin; mais au lever de l'aurore, il revint sur ses pas et engagea un combat qui dura jusqu'au moment où le soleil atteignit le zénith. Alors le souverain d'Ifrikïa alla trouver sidi Doufan, Zer❜loum, Djaber, Aoûn-ben-Ali et sidi Zer’ouan, et leur dit: Si le Chabbi veut s'entendre avec moi, nous nous partagerons amicalement le territoire. Ces saints personnages se rendirent auprès du Chabbi, et lui communiquèrent la proposition du Prince d'Ifrikïa.

[ocr errors]
[ocr errors]

Le Chabbi répondit: J'accepte; mais à condition que je ferai moi-même le partage et que je choisirai mon lot.

Faites comme vous l'entendrez, lui répondit-on.

Le Chabbi ajouta : Vous, ô Zer'loum, et vous, ô Doufan,

vous allez régler cette affaire entre vous deux, car le prince d'Ifrikïa n'est qu'un perfide en qui je n'ai aucune confiance.

C'est ainsi, en effet, que s'arrangea le partage.

Le Chabbi et son monde s'en retournèrent sur les bords de l'Oued-Roumel; mais alors les Troud lui dirent: O Chabbi! te voilà rentré chez toi; quant à nous, nous ne sommes même pas salariés de la fatigue de nos chevaux, ni par toi, ni par ton ennemi!

Mais je n'ai rien à vous donner, leur répondit le Chabbi.

-Eh bien, puisqu'il en est ainsi, saches que nous n'épousons la querelle ni de l'un ni de l'autre. Ce qu'il nous faut, c'est de l'argent et des dinars. Donnes-nousen, car autrement nous allons t'abandonner pour passer du côté de ton rival. N'oublies point que c'est grâce à nous que tu as eu la victoire.

Allez le trouver si vous voulez, répondit le Chabbi.

Eh bien par Dieu, nous te déclarons que nous n'avons peur ni de toi ni de lui, lui dirent les Troud: sachez que nous sommes des créatures divines, vivant d'habitude sur le dos de nos chevaux; nous possédons des chamelles au long cou et à l'allure rapide; rien ne retarde notre marche, comme vous l'êtes dans la vôtre par vos bœufs et vos moutons.

Les Troud écrivirent, en effet, au prince tunisien : < Donnez-nous de l'argent, lui disaient-ils, et nous laisserons votre pays jouir de la paix. »

Le chef tunisien répondit : « Je ne vous donnerai jamais quoique ce soit; faites ce que vous voudrez, >

L'émissaire rapporta cette réponse. Alors cent cava

liers des Troud apprètèrent immédiatement leurs cimeterres et se disposèrent au combat et au pillage. Ils s'embusquèrent auprès des puits, enlevèrent une caravane composée de cent cinquante chameaux et s'en retournèrent ensuite à Badja.

Quand le bruit de cette nouvelle capture parvint au prince tunisien, sa raison s'envola.

[ocr errors]

Voyez donc, s'écriait-il dans son délire, les méfaits que viennent de commettre encore ces chiens de Troud; et ils en feront bien d'autres, si nous ne les arrêtons, car c'est la fatalité qui les déchaîne contre nous !

Les grands de sa cour entreprirent de le calmer par le raisonnement: Ce sont de mauvaises gens, en effet; cependant un peu d'argent donné aujourd'hui à l'amiable, serait plus avantageux que cent mille dinars soustraits par la rapine.

Cette opinion prévalut, et on envoya aux Troud un cadeau composé de einq cents dinars, dix vêtements de luxe et vingt-cinq chevaux. Les Troud se partagèrent le don du prince, puis s'éloignèrent vers Ber-Madjena, et de là allèrent à Cafça. Ils y trouvèrent les survivants des Oulad-Mezerouh, dont ils s'emparèrent. Ces derniers n'avaient plus parmi eux que des blessés. Les femmes des Oulad-Mezerouh se jetèrent dans les bras des Troud, les embrassant pour implorer leurs pitié; la haine et la rancune qui existait entre les deux races fit place à l'amitié. Les Troud restèrent donc paisiblement parmi eux pendant trois jours, puis ils allèrent au Hamma, ensuite à Touzer; mais là, ils trouvèrent Zâhna ainsi que les Oulad-el-Hadef prêts à les combattre. Ils se rendirent alors auprès du saint personnage sidi Ali-ben-Ahmed

R'outs, le Nefzaoui, à qui ils demandèrent conseil sur ce qu'ils devaient faire.

Ne combattez point les Oulad-el-Hadef, leur répondit le marabout, car vous pourriez quelque jour avoir besoin de leur appui. Il a été prédit que la contrée resterait sous leur dépendance, et Dieu, mieux que personne, connaît l'avenir!

- Nous écouterons avec respect et soumission vos conseils, lui dirent les Troud.

Le marabout remplit envers eux les devoirs de l'hospitalité, et Zahna leur offrit mille dinars; mais ils refusèrent en disant: Les conseils du saint homme valent mieux que tous les biens de ce monde.

Ensuite ils repartirent et allèrent à Nefta, où se trouvaient déjà les autres membres de leur nation. On les accueillit avec des transports de joie. Qui sont donc ces gens que vous traînez à votre suite, leur dit-on? sont les survivants des Oulad-Mezerouh.

Ce

Enfin ils repartirent tous ensemble et ils rentrèrent dans le pays du Souf.

Quand le vieillard eut achevé le récit qui précède, je lui demandai:

Les Troud sont-ils retournés depuis en Ifrikïa?

Oui. Après que les Troud furent revenus de l'expédition faite de concert avec le Chabbi, nous eûmes à nous plaindre des gens d'Ifrikïa, qui lâchaient leurs bestiaux dans nos pâturages. Mamer-ben-Saria, Amar-es-Serab, Kacem-ben-bou-Beker, réunirent à eux cinquante cava-liers, dont dix des Oulad-Zaïd, parmi lesquels Bou-Diafben-Amar, El-'Ambri et Bou-Drâ; les autres étaient des Oulad-Mançour, tels que Amar-ben-Salem et Ahmed-ben

« PrécédentContinuer »