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Khaldoun; mais nous ne pensons pas qu'on puisse donner le premier rang aux questions de race dans un temps où ces sortes d'idées ne s'étaient pas encore fait jour. Au huitième siècle de notre ère, aussi bien dans le monde Mahométan que dans le monde Chrétien, les peuples n'avaient qu'un sentiment très vague de ce que nous avons nommé plus tard les nationalités. Non, le Ouahbisme n'était pas un prétexte aux yeux des Berbers du huitième siècle, pas plus que le Donatisme n'en fut un pour les Berbers du quatrième. Cette doctrine puritaine était bien leur tout, elle suffisait à leurs désirs, à leurs besoins, à leur rancunes. Eux-mêmes se définissent « obstinés dans le droit, capables de mourir pour ce qu'ils ont compris. >> Ils avaient compris depuis cinq cents ans que les hommes n'ont qu'un maître, Dieu, Allah. C'est de cette vérité qu'ils déduisaient toute leur organisation sociale, et c'est pour elle qu'ils voulaient mourir.

Les Ibadites et les Sofrites, Donatistes et Circoncellions musulmans, trouvèrent donc la tâche facile quand ils vinrent prêcher la révolte contre les Omméïades dans l'Afrique occidentale. Comme une traînée de poudre, les passions populaires comprimées depuis Tripoli jusqu'à Tanger par les excès des lieutenants des Khalifes, firent explosion. Quelques années suffirent à répandre le Ouahbisme modéré ou violent sur toute l'étendue de la Tripolitaine, de la Tunisie, de l'Algérie et du Maroc actuel. Au nom de l'égalité des hommes devant Allah, trois cent soixante-quinze batailles, dit Ibn Khaldoun, furent livrées par les Berbers aux troupes syriennes, et ces batailles furent toutes excessivement meurtrières. Nous négligerons les Sofrites pour nous attacher aux seuls Ibadites, ancêtres de nos Beni Mzab; mais nous de

vons marquer que ces deux sectes se partagèrent en quelque sorte le monde africain pendant le huitième siècle de notre ère et la première moitié du neuvième. Les So-. frites dominaient dans le Maroc et dans le nord de notre province d'Oran. Ils fondèrent Tafilèlt (Sidjilmassa) et propagèrent leur influence le long de l'Océan jusqu'au pays des Noirs. Le groupe berbère qui leur fournit les contingents les plus considérables était celui des Beni Ifren. Les Ibadites avaient leur fort dans le Djebel Nefous, au sud de Tripoli. C'est de là que leur empire africain prit son esssor, c'est là qu'il succomba. On y retrouve encore leur doctrine enseignée dans des écoles. Le Djebel Nefous, leur fut une barrière, à l'abri de laquelle ils gagnèrent à leur cause le Djerid, l'Oued Rir, l'Aouras, et les populations semi-errantes du bassin supérieur du Chélif. Tiaret fut leur capitale, la demeure de leurs Imans, leur ville sainte en quelque sorte, comme Kirouan était la ville sainte des Arabes Orthodoxes. Ils y bâtirent leur grande mosquée, y réunirent leur Mchekh les plus célèbres et y formèrent cette riche blibiothèque dont le souvenir remplit encore de tristesse les savants de l'Oued Mzab; mais les tribus qui entouraient Tiaret, au huitième siècle, les Lemaïa, Zouagha, Matmata, Miknaça, Zenata, Louata, et Houara du Sersou et du plateau de Mindas, n'égalaient, ni par le nombre, ni par le courage, ni par la fortune, les Nefouça, les Houara, les Zenata de la Tripolitaine.

Quelques Ibadites de marque avaient paru dans les environs de Trablès, (Tripoli), avant Abou el Khottab et ses compagnons, entr'autres Selma, Harit et Abd el Djebbar;mais Abou el Khottab est le premier qui ait laissé dans l'histoire une trace profonde. Il fut Imam comme l'avait annoncé son maître Abou Obeïda: il prit Trablès et

mourut dans une bataille. Le second Imam fut le persan Abd er Rahman ben Roustem, qui fonda Tiaret. Le troisième fut le fils d'Abd er Rahman, Abd el Ouahab. Le quatrième fut Felah, fils d'Abd el Ouahab. Le cinquième fut Mohammed, fils de Felah. Le sixième fut Youcef, fils de Mohammed. Le septième fut Yagoub. Ils n'eurent point d'ennemis du côté de l'Ouest : Abd er Rahman ben Roustem avait pris soin de s'allier par des mariages aux Sofrites du Maroc septentrional et de Sidjilmassa, et d'ailleurs, Ibadites et Sofrites se prêtaient un concours mutuel contre les lieutenants des Khalifes. Un peu plus tard, quand les Edricides régnèrent à Fez, ces bonnes relations furent maintenues, d'abord parce que les Edricites eurent, comme les Sofrites, les mêmes ennemis que les Ibadites, ensuite parce que la branche de la secte Chiite des Zeidites, à laquelle appartenaient justement les Edricides, admettait, comme les Ibadites, l'éligibilité de l'Imam. Il n'en fut pas de même du côté de l'Est. Sous le règne de Youcef, les Nefouça essuyèrent, de la part des Khalifes, une si rude défaite à Manoa, que Tiaret demeura à découvert. Sous le régne de Yagoub, Tiaret elle-même fut prise et ruinée par le missionnaire et général fatemite Abou Abd Allah ech Chii, vers l'an 909. Le dernier des Imams ibadites, descendant en ligne directe des rois de Perse, quitta sa capitale incendiée avec une petite troupe dont il couvrait seul l'arrière-garde, et se rendit à Ouargla; bientôt les Fatemites furent partout vainqueurs. L'Imam lui-même jugea que l'état de défense devait prendre fin dans le Magreb; il refusa de reconstituer l'Imamat, et ordonna que les fidèles revinssent à l'état de secret. A partir de cette époque, les Mchèkh, absolument indépendants, précisèrent les règles de leur orga

nisation intérieure, et se constituèrent en une sorte d'oligarchie. Leur zèle conserva quelque temps à la doctrine d'Abd Allah ben Ibad l'Oued Rir, les Oasis de Ouargla, et une partie du Djerid: mais, comme s'ils avaient eu le pressentiment de nouveaux désastres, ils se hâtèrent, dès le milieu du dixième siècle, de se créer un refuge dans les dayas de l'Oued des Beni Mozab. Un d'entre eux, Abou Abd Allah Mohammed ben Bekri y convertit des Zenata qui, sous le nom de Ouacilites appartenaient à la grande subdivision des Mahometans Motazilites. Quelques villages furent fondés dans l'Oued entre les points qu'El Ateuf et Rardaïa occupent aujourd'hui, notamment dans la petite plaine de Tizzèrt où trois rivières se réunissent pour forcer l'étranglement de Bou Noura. Le nombre des nouveaux convertis s'accrut par suite des persécutions que les Fatemites, puis les Almoravides, firent subir aux Ibadites disséminés soit dans le Maroc, soit près de Tiaret, soit dans la montagne que nous nommons maintenant Djebel Amour; des Ibadites vinrent aussi de Djerba et de Ouargla, surtout de Ouargla, quand l'Almoravide Yahia Ibn Ishak ibn Mohammed ibn Ghânia l'eut à peu près dévastée (1204). Ces évènements doivent être l'objet d'un travail spécial, et d'ailleurs ils excèdent le cadre de la Chronique d'Abou Zakaria telle qu'elle m'a été copiée dans l'Oued Mzab: ce que j'en possède nous donne en effet seulement l'histoire des ancêtres de nos Mozabites depuis l'imamat d'Abou el Khottab jusqu'aux premières prédications d'Abou Abd Allah Mohammed ben Bekri.

Si l'on considère maintenant que Ibn Khaldoun, qui consacre seulement une page à Abd er Rahman ben Roustem et quelques lignes à Abd el Ouahab,semble igno

rer absolument les Imams ibadites à partir de Felah, on comprendra l'importance de ce document grâce auquel nous est rendue, avec mille détails, l'histoire glorieuse d'une secte qui contribua plus qu'aucune autre à distinguer les Berbers des Arabes, et se présente encore à nous vivante dans les cinq petites villes du Mzab et dans leurs colonies. Les lieutenants des Imams y sont mentionnés et parfois y tiennent plus de place que leurs maîtres; toutes les actions importantes y sont marquées avec une précision qui déconcerte nos connaissances géographiques; enfin les controverses théologiques y sont exposées avec un luxe d'anecdotes qui ne sont pas déplacées, quoi qu'on puisse croire, et donnent au contraire à l'ouvrage son véritable caractère. Je ne pense pas d'ailleurs qu'il soit inutile de savoir que l'ibadisme africain a donné naissance à cinq schismes, et dans quelles conditions ces cinq schismes se sont produits.

Le caractère de la Chronique d'Abou Zakaria est essentiellement religieux. Elle est l'histoire des Compagnons de l'Euvre, Sahab ed daaoua. Tel est en effet le nom par lequel les Ibadites d'Afrique se désignent, et ce nom n'est pas sans analogie avec celui de Beni Meshab. Notre français Chronique ne traduit qu'imparfaitement le mot Sirat que les Mahométans donnent aux ouvrages de ce genre. Sirat signifie tout à la fois Biographie et Règle. C'est ainsi que, chez les Beni Mzab, la Règle des Clercs est dite Sirat d'Abou Ammar Abd el Kafi. Il était d'usage dans les Ecoles Ibadites que le Cheikh instruisît ses élèves de la suite des grands hommes et des docteurs de la Secte, absolument comme aujourd'hui les Hazzaben (Clercs-Lecteurs) de l'Oued Mzab rappellent aux jeunes Irouan (Clercs-Ecrivains) les vertus et la famille

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