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Ibadite avait voulu donner à ses récits un tour dramatique. Ces analogies extérieures ne sont pas trompeuses; j'espère prouver en comparant les principes religieux et les usages des Ouahbites du Nedjed à ceux de l'Oued Mzab, que ces groupes si distants ne se distinguent que par de légères différences, et que les Ouahbites du Nedjed sont les anciens Ouahbites renouvelés. Ce point de vue a complétement échappé à M. Palgrave.

Comme on l'a vu, M. Palgrave ne fait pas remonter la source du Ouahbisme au delà de l'époque du Cheikh Mohammed, petit-fils d'un Abd El Ouahb, fils de Sliman de la tribu de Temim, lequel parut au dix-huitième siècle. Cette tradition, qui est évidemment la tradition populaire dans le Nedjed contemporain, se trouvait déjà consignée dans un ouvrage français assez court,mais fort bien conçu, intitulé « Histoire des Wahabis, depuis leur origine jusqu'à la fin de 1809 par L. A, Membre de la légion d'honneur.» Le Cheikh Mohammed se serait tout à coup proclamé réformateur de la religion; mais le Prophète Mohammed lui-même avait eu ses prédécesseurs, et il est impossible que le Cheikh Mohammed n'ait pas eu les siens. Il n'est pas de secte Musulmane qui ne remonte par une série continue de docteurs jusqu'aux Compagnons de l'Envoyé d'Allah; les Nedjéens ne sauraient faire exception. M. L. A a senti que cette génération spontanée du Ouahbisme arabique était inacceptable, et il a ajouté dans sa préface: « Notre objet n'est pas de trouver dans les siècles précédents l'origine des Wahabis. Ils paraissent descendre des Karmates qui furent, il y a près de mille ans tout puissants dans la province de Bahrein, se révoltèrent contre l'autorité légitime du Khalife et livrèrent au pillage le temple de La Mecque.

C'est de cette source que sont également sortis les Assassins, les Druzes, les Nésaïres, les Motawelis; mais ces derniers ayant défiguré la religion de Mahomet, et les Wahabis au contraire l'ayant ramenée à sa première simplicité, cette circonstance pourra faire douter que les Wahabis aient la même origine. »

Peut-être en Arabie, lorsqu'on ne sait comment expliquer une secte religieuse, on invoque les Carmathes en désespoir de cause, et certes ils sont assez célèbres; nous avons déjà vu plus haut M. Palgrave expliquer les Omanites par les Carmathes. Cependant la tradition à laquelle appartient le Cheikh Nedjéen Mohammed n'est point obscure. « La doctrine des Wahabis, dit M. L. A..., se réduit au seul dogme de l'Existence et de l'Unité de Dieu. Ils ont les autres Mahométans en horreur. et sont plus tolérants à l'égard des Chrétiens et des Juifs. Le Koran est la base de toutes leurs pratiques religieuses; leurs mosquées n'ont aucun ornement intérieur, ils s'abstiennent de vin et de toute liqueur fermentée. Ils ont été même jusqu'à s'interdire l'usage du tabac, et celui qui fume est puni de mort. Quoique les pèlerins soient estimés parmi eux, ils prétendent que le pèlerinage de la Mecque ne doit être méritoire que devant Dieu. Ils ne souffrent pas que les Hadjis se distinguent parmi eux, comme parmi les Turcs, par un titre, particulier. Le culte des Wahabis est celui du Koran débarassé de toutes les superstitions qui l'ont défiguré. La tradition, cette mère d'une religion nouvelle et destructive, en est sévèrement proscrite. La morale en est l'objet important. Dans tous les endroits dont ils se sont rendus maîtres, ils ont détruit les sépultures des Cheikhs et des Prophètes. Leurs morts sont mis dans la terre, sans que la place de

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leur sépulture soit distinguée par aucun ouvrage extérieur. Ils se fondent sur ce passage du Koran. meilleur tombeau est la terre. » — Les Wahabis n'ont qu'un seul livre de lois; ce livre est leur code universel de Juris prudence, comme est celui des Turcs. Ils se privent de tous les plaisirs que nous donne le luxe des Arts. Ils ne connaissent aucune distinction. Les titres de Vizir, de Prince et de Pacha sont proscrits de leur langue. Ils se traitent entre eux de frère c'est le nom que le maître donne à son esclave; c'est aussi le nom par lequel le valet répond à son maître. Leurs mœurs sont très-simples, leurs manières grossières. Ils affectent l'austérité dans leurs discours, dans leur façon de se vêtir et de se nourrir. Palgrave ajoute: « Les Ouahbites considèrent un derviche, à quelque secte qu'il appartienne, comme un monstre d'iniquité. C'est un frère mendiant, fourvoyé avec son froc et son rosaire au milieu d'une congrégation d'antipapistes zélés. Les femmes sont complétement voilées dans le Nedjed, tandis qu'elles ne le sont que rarement dans le reste de l'Arabie; chez eux seuls, le voile et le Harem sont encore en pleine faveur, ces fanatiques sectaires ayant étouffé l'esprit d'indépendance naturel aux Arabes, pour se courber sous la servitude de l'Islamisme. >>

Or tous ces traits sont ceux des sectateurs d'Abd Allah ben Ouahb qui périt à Nehrouan. Je n'hésite pas à affirmer que les Ouahbites de l'Arabie Centrale sont cousins de nos Ouahbites de l'Oued-Mzab. S'ils étaient plus cléments sur les champs de bataille, s'ils n'avaient pas dépouillé par excès de zèle les tombes du prophète et d'Ali de leurs ornements sacriléges, enfin s'ils ne traitaient pas les autres Mahométans de Polythéïstes au lieu

de les regarder simplement comme des révoltés, je dirais qu'ils sont leurs frères, mais je ne trouve aucune différence entre leurs pratiques et celle des Ouahbites Sofrites, ou des Ouahbites Ibadites Noukkar. Comme eux les Sofrites massacraient leurs ennemis sans défense; comme eux, ils exagéraient les prescriptions les plus rigoureuses du Koran; comme eux, ils traitaient les autres Mahométans de Polythéïstes. Cette affirmation ne diminue en rien le mérite du Cheikh Nedjéen du 18me siècle: elle lui donne seulement des ancêtres et nous permet d'expliquer l'explosion du Ouahbisme contemporain par une suite de causes naturelles. Je crois intérieurement, sans pouvoir encore le prouver, je crois que les docteurs Nedjéens ont des chroniques analogues à celles de nos Beni Mzab, que dans ces chroniques on trouverait la suite de leurs chefs et de leurs cheikhs, depuis le septième siècle de notre ère jusqu'à nos jours, et que les premiers noms qu'on y rencontrerait seraient ceux de notre Djabir ben Zied, de notre Abd el Ouahb, de notre Abou Obéïda et de ses disciples orientaux. Je crois aussi comme l'affirme M. Palgrave, qu'ils possèdent un livre de lois; mais j'ajoute que ce livre doit différer très peu du Nil de nos Mozabites. Il n'est pas surprenant que les Nedjéens n'aient montré ni leurs chroniques, ni ce livre à M. Palgrave qui voyageait sous un déguisement syrien, et n'échappa que par une sorte de miracle à tous les piéges qu'on lui tendit. Nous sommes les maîtres des Beni Mzab depuis 1843, et c'est seulement cette année qu'à force d'intrigues j'ai obtenu connaissance de leurs manuscrits. Ils me répondirent d'abord, comme les Nedjéens à M. Palgrave, qu'ils n'avaient pas d'ancêtres religieux, et que toute leur histoire comme toute leur législation était contenue dans le seul

Koran : la lumière ne se fit que quand mes amis de Melika m'eurent communiqué la chronique d'Abou, Zakaria. En attendant que des preuves écrites tirées du cœur de l'Arabie viennent ruiner ou confirmer mon opinion, je déduis le Ouahbisme actuel du Nedjed de la prédication des cinq missionnaires orientaux sortis de l'école d'AbouObéïda. Ils allèrent dans l'Oman, mais ils passèrent par le Nedjed. Le Nedjed avait été le berceau du Ouahbisme avant même qu'il reçût son nom, car les premiers Ouahbites étaient sortis, comme nous l'avons vu, de la tribu des Benou Temim, nedjéenne par excellence. Il est même probable que les missionnaires n'eurent besoin d'y convertir personne, Plus tard, tandis que les Ouahbites de l'Oman gardaient leur foi, grâce au large désert qui les sépare du reste de l'Arabie, la persécution carmathe s'abattit sur le plateau central, et les Nedjéens persécutés furent réduits à l'état de secret. La foi ancienne sans cesse diminuée subsista néanmoins sur le sol qui l'avait produite, en attendant qu'Allah lui rendît son lustre, et restituât ses véritables adorateurs dans l'Etat de gloire du premier siècle. Le jour vint où un de leurs Mchèkh plus hardi que les autres proclama la réforme, et comme il se nommait Mohammed Ibn Abd-el-Ouahb, la multitude, confondant le nom de son père avec celui de l'ancien héros de la bataille de Nehrouan, le regarda comme l'auteur de la doctrine Ouahbite, tandis qu'il n'en était que le rénovateur.

Je soumets ces considérations à la critique, et je serais heureux qu'elles éveillassent l'attention d'un de nos grands arabisants. Quel honneur M. Silvestre de Sacy n'a-t-il pas retiré de son étude de la Religion des Druses! L'étude du Ouahbisme arabique ne serait pas moins fé

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