Images de page
PDF
ePub

sés en deux partis, l'un dévoué à Saad, l'autre à l'Islamisme.

<< Mohammed, chassé d'Eyanah, se retira à Dereyah, alors gouvernée par un chef jeune et ambitieux, Saoud. Il lui demanda la protection qu'un Arabe refuse rarement à un fugitif; mais les rôles ne tardèrent pas à changer; le Ouahbite, confiant dans l'âme ardente et les hautes facultés de son hôte, lui exposa le projet qu'il nourrissait depuis si longtemps, et termina par ces paroles : « Jurezmoi que la cause de Dieu deviendra votre cause, l'épée de l'Islam votre épée, et je vous donne ma parole que vous deviendrez le seul monarque du Nedjed, le premier potentat de l'Arabie. » Ces faits se passaient vers 1760.

<< Tout le Nedjed fut en effet conquis par Saoud converti au Ouahbisme. Le Hasa, le Kasim, le Doouasir reconnurent aussi sa puissance. Il fut maître enfin de tout le pays compris entre la mer et le golfe Persique, à l'exception du Katif. Quand il mourut, après cinquante ans de guerres incessantes, la promesse de Mohammed Ibn Abd el Ouahb était accomplie : il avait fondé une dynastie glorieuse, et laissait un nom redouté dans la Péninsule entière. Quant au grand homme qui avait été le promoteur de cette importante révolution, il passa les dernières années de sa vie à Dereyah, et contribua puissamment, par l'éloquence de sa parole, au succès des armes de Saoud. Il composa un grand nombre de traités dont le thème invariable est toujours l'explication des doctrines de sa secte. Il ne tenta jamais de s'arroger aucune autorité politique; évitant de prendre une part directe aux affaires de l'Etat, il mourut environné du respect de tous et fut enseveli avec de grands honneurs. Son petit-fils, Abd er Rahman, existe encore à Riad où je l'ai vu plusieurs fois; son ar

rière-petit-fils remplit dans la capitale nedjéenne les

fonctions de cadi.

« Saoud ne paraît pas seulement avoir été un prince victorieux au dehors, il se faisait aimer dans ses Etats; c'était un modèle de savoir et d'étude, autant que le permettent les prescriptions de sa secte. Il s'occupait aussi d'embellir sa capitale. Les ruines d'un palais immense et d'une mosquée non moins célèbre attestent encore à Dereyah la magnificence du monarque qui les fit élever; Saoud avait en outre une répugnance invincible pour l'effusion du sang que ne commande pas la nécessité, et il était humain même pendant la guerre. Les chroniques nedjéennes ne mentionnent sous son règne ni massacres ni dévastations dans la plupart des provinces annexées, même dans le Kasim, où l'on aurait pu tout attendre de la colère du vainqueur.

<< Son fils aîné, Abd el Aziz, envahit l'Oman et réduisit Mascate. Le sultan omanite, Saïd, consentit à lui payer un tribut annuel, à recevoir une garnison ouahbite dans les places les plus considérables de son royaume, et à tolérer l'érection de mosquées orthodoxes à Mascate et dans plusieurs autres cités omanites. Abd el Aziz voulut ensuite s'attaquer à la Perse; mais un Chiite fanatique promit d'en délivrer les sectateurs d'Ali, en échange d'un parchemin qui lui fut remis à Kerbela, et sur lequel les jouissances du Paradis lui étaient formellement promises. Frappé d'un poignard entre les deux épaules pendant qu'il priait, le Ouahbite expira sur le coup. Son frère Abdallah le vengea (1806). Le tombeau d'Ali à Kerbela fut odieusement saccagé, la mosquée qui le renfermait livrée au pillage. Quant aux habitants de la petite ville persane, ils furent tous passés au fil de l'épée. Encouragé par cet

exploit, Abdallah résolut de s'emparer de la cité de Mahomet. Réunissant toutes les forces du Nedjed, il vint camper devant La Mecque. La ville, trop faible pour une défense sérieuse, avait jusqu'alors trouvé dans la vénération universelle une protection inviolable, mais les Ouahbites considèrent comme une impiété le respect des tombeaux et tout autre hommage rendu à une créature, fût-ce au Prophète lui-même. La cité sainte tomba au pouvoir d'Abd Allah; ses défenseurs, ses chérifs les plus honorables furent massacrés, les richesses amassées dans les temples par la dévotion des pélerins, enlevées ou détruites; on rendit à la Kaaba sa simplicité primitive, et on la protégea contre des profanations futures par une loi qui en excluait les infidèles, c'est-à-dire quiconque n'appartenait pas à la secte victorieuse. Cette interdiction cependant ne s'étendait pas aux caravanes qui prouvaient leur orthodoxie par un tribut convenable et un hommage pécuniaire. Abd Allah marcha ensuite contre Medine, aussi peu capable que La Mecque de lui résister. « Les meilleures tombes sont celles dont il ne reste aucun vestige. » disent les Ouahbites. Les sépultures de Mahomet, d'Abou Bekr et d'Omar furent violées; les riches offrandes suspendues dans la mosquée funéraire, enlevées par Abd Allah. « Le prophète est mort, et je suis en vie, dit-il; ces trésors seront plus en sûreté sous ma garde qué sous la sienne. » On chargea soixante chameaux des trophées de ce triomphe impie, et on les envoya dans la capitale du Nedjed.

<< Pendant plusieurs années, ni les menaces, ni les caresses du sultan de Stamboul, ne purent rien contre ces rigides exécuteurs du texte koranique. Le cours des pèlerinages était suspendu (1808). Mehemet Ali confia une

première expédition contre les Ouahbites à son fils aîné Tarsoun: La Mecque fut dégagée; mais l'armée égyptienne fut ravagée par la peste, et Tarsoun périt au milieu de sa courte victoire. Mehemet Ali forma une seconde armée. Quand elle fut prête, il réunit ses conseillers dans une salle couverte d'un grand tapis, plaça une pomme au milieu et déclara gravement qu'il donnerait le commandement de la nouvelle expédition à celui qui prendrait la pomme sans marcher sur le tapis. Comme personne n'y parvenait, son fils adoptif, Ibrahim, roula le tapis par un des coins et atteignit la pomme. C'était dire que, pour s'emparer du Nedjed, il fallait conquérir d'abord de gré ou de force la moitié de l'Arabie. Ibrahim reçut le commandement. Abdallah assailli dans sa capitale après une bataille acharnée laissa les boulets égyptiens pleuvoir sur ses maisons et son palais pendant deux jours, puis se livra avec sa famille ; mais cela ne suffisait pas. Ibrahim ordonna une conférence théologique : cinq cents cheikhs Ouahbites furent rassemblés et durent discuter devant lui avec des savants du Caire amenés tout exprès. La conférence dura trois jours, pendant lesquels Ibrahim écoutait avec recueillement. A la fin, il prit la parole et dit « Admettez-vous le salut en dehors de votre croyance? Non. Anes que vous êtes, quelle est l'étendue ȧu Paradis? Le Paradis est grand comme le ciel et la terre ensemble. Eh bien, si par miracle vous y étiez admis, un seul arbre de ses jardins vous couvrirait tous. Pour qui serait, je vous prie, le reste de l'éternelle demeure?» Les docteurs Nedjéens demeurèrent sans réponses : « Tombez sur eux et massacrez-les, » s'écria Ibrahim en se tournant vers ses soldats. Quelques minutes après la mosquée devenait le tombeau des infor

tunés sectaires. » M. Palgrave, qui n'aime pas les docteurs Nedjéens, ajoute : « Je me bornerai à dire qu'Ibrahim agit sagement, eu égard au pays où il se trouvait. >>

Le Nedjed, privé de ses princes et de ses docteurs, tomba sous la bastonnade, puis se révolta. Les pachas égyptiens qui le gouvernaient y introduisaient de force le tabac et le vin; ils proscrivaient, empalaient les plus mutins. Un fils d'Abd Allah, Turki, reparut tout à coup, et les Egyptiens furent massacrés à leur tour. La dernière de leurs armées, celle de Hussein Pacha, fut égarée par ses guides et périt de soif toute entière. Feysul, fils de Turki, était sultan du Nedjed quand M. Palgrave le visita. Les Ouahbites n'avaient point reconquis La Mecque, mais ils s'étaient fait une sorte de vassal de l'imam de Maskate et avaient bâti plusieurs mosquées orthodoxes dans l'Oman. Onze petites provinces obéissaient à Feysul, comprenant 316 villages, une population sédentaire de 1,219,000 habitants et un contingent militaire de 47,500 hommes, en outre environ 75,000 nomades. Si l'empire Turc était aussi faible que l'empire Bysantin du septième siècle, les sultans Ouahbites pourraient reprendre le rôle d'Abou Bekr et d'Omar. Du moins ils sont presque invincibles sur leur plateau central de l'Arabie, dans l'ancien royaume du faux prophète Moseylamah.

Il me semblait, en relisant cette histoire, que je parcourais un chapitre d'Ibn Khaldoun. Les noms de nos héros hérétiques du Moyen-Age, imams ou sultans du Maroc septentrional, de Sidjlmassa, de Tiaret, de Tripoli, du Djebel Nefous, me revenaient à l'esprit; je pensais aussi que plus d'une scène de la chronique d'Abou Zakaria serait un chapitre de l'ouvrage anglais, si l'auteur

« PrécédentContinuer »