Images de page
PDF
ePub

dirigèrent, les uns vers l'Arabie méridionale, les autres vers le Magreb. Les premiers se nommaient Mohammed ben Mahboub, Bechir ben el Moundir, Mouça ben Abi Djabir, Mounir ben el Nier, Hachem ben Rîlan; les seconds, Abou el Khottab Abd el Ala ben es Smah el Mahafri, Abd er Rahman ben Roustem le Persan, Hacim es Sedrati, Ismaïl ben Derrar el Khedamsi, Abou Daoud el Quebili. La Chronique nous a conservé les détails du départ des cinq Maugrebins: le Cheikh leur donna en quelque sorte l'investiture: Abou el Khottab serait Imam, plus et moins qu'un roi; Ben Derrar grand juge. Quant à Abd er Rahman ben Roustem, Allah lui-même avait béni sa race. Les femmes du Cheikh voulurent le voir avant son départ, et lui dirent : « Sois béni, ô jeune homme, comme est béni le regard du soleil ; sois béni comme le sel qui purifie. » Il devait être Imam à son tour.

C'est ainsi que commença le troisième état du Ouahbisme, l'état de Résistance, après l'état de Gloire et l'état de Dévouement. Cette période n'est pas close encore dans l'Oman : elle l'est depuis longtemps dans le Magreb, où les Ouahbites sont retombés dans l'état de Secret. L'âge de Résistance des Ouahbites du Magreb fut illustré par les luttes glorieuses que les Berbers, sous la conduite d'Abou el Khottab, d'Abd er Rahman ben Roustem, et de ses fils, soutinrent contre les gouverneurs des Omméïades et des Abbassides; la chronique d'Abou Zakaria est pleine de leurs hauts faits; mais nous ignorons complètement l'histoire de l'Oman. Niebuhr, qui n'était allé qu'à Maskate, se contente de décrire rapidement le pays et d'indiquer les mœurs des habitants. Il est vrai que Palgrave est plus complet: cependant, les renseignements qu'il a consignés dans son livre diffèrent tellement

de ceux que je dois aux pélerins Mozabites, que la question me semble encore très incertaine.

Suivant le voyageur anglais, la population de l'Oman, d'origine Kahtanite, mêlée de sang nègre et compliquée d'un fort élément Nedjéen, avait conservé pendant les premières années du Khalifat, le culte et les superstitions sabéennes, à l'abri du désert qui la sépare de l'Arabie centrale elle adorait le soleil et les planètes, observait au printemps un jeûne de trente jours, avait une vénération particulière pour les Pyramides d'Egypte, se mettait cinq ou sept fois par jour en prière, le visage tourné vers le. Nord, enfin possédait un livre de législation religieuse dont elle faisait remonter l'origine jusqu'à Seth. Elle se convertit lentement. On sait qu'Ali fit ravager l'Oman; mais, « depuis le moment où les Omméïades victorieux transportèrent à Damas le siége de l'Empire, un grand silence, dit M. Palgrave, se fit dans les Annales du pays, et, s'il est vrai que les peuples heureux n'aient pas d'histoire, aucune nation n'eut en partage une plus longue prospérité. Pendant huit siècles, l'Oman n'eut à enregistrer ni guerres, ni révolutions, ni discordes civiles; renonçant à toute relation avec le monde islamite, abolissant le pélerinage de La Mecque, laissant tomber en désuétude les lois du Prophète, il jouit de la liberté intérieure, choisit lui-même sa religion, la forme de son gouvernement, et ne fut contraint de se courber devant aucune intervention étrangère. Quand éclata la tempête de l'insurrection Carmathe, la plupart des Omanites adopta la doctrine de ces sectaires dépravés et violents, et, comme les Carmathes étaient dits Biadites à cause de leurs turbans blancs, le titre de Biadites s'étendit à la population entière de l'Oman. Il est vrai que Makrizi as

signe une autre origine au mot biadites: ce mot serait une corruption de beydanite, et signifierait disciple de Beydan, sectaire iranien qui vivait au treizième siècle de l'hégire. Comme les Druzes, les Ismaïliens, et autres sectes semblables, les Biadites mêlent aux pratiques sabéennes, au rationalisme carmathe, certaines doctrines mahométanes suffisantes pour déguiser leur véritable croyance aux yeux des Musulmans Orthodoxes. Leurs Mezars peuvent au besoin tenir lieu de mosquées régulières; mais il est rare que les Omanites se rassemblent pour accomplir en commun des rites religieux; ils murmurent à voix basse leurs prières qu'ils accompagnent de prosternements particuliers; un grand nombre se tourne vers le Nord, aucun vers la Kaaba.

<< Le jeune annuel des Biadites, plus rigoureux encore que celui des Mahométans ordinaires, dure un mois entier. L'abstinence quotidienne est obligatoire jusqu'à ce que les étoiles paraissent dans le firmament. Le souverain exerce seul ici la suprême autorité religieuse, d'où lui est sans doute venu en Europe le sarnom d'Imam. Les cérémonies officielles du culte omanite ne se célèbrent que dans les trois grandes villes du royaume, Sohar, Nezouah et Bahilah; Mascate, dont le développement est récent, ne jouit pas du même privilége.

<< La polygamie, bien qu'elle soit assez commune, n'est pas autorisée dans l'Oman comme dans les autres contrées musulmanes, car l'habitant de cette province ne peut donner qu'à une seule femme le titre d'épouse légitime. Les lois qui règlent les héritages sont aussi fort différentes de celles du Coran; les femmes partagent avec leurs frères les biens paternels, tandis que Mahomet ne leur donne droit qu'à une faible portion. Enfin elles vi

vent avec les hommes sur un pied d'égalité inconnu ailleurs. Elles ne sont pas contraintes à se couvrir du voile islamite, ce qui est un avantage réel, puisqu'elles l'emportent sur toutes les femmes de la Péninsule, peutêtre même de l'Asie entière, pour la grâce des formes et la régularité du visage. Les adorateurs de la beauté classique, ceux qui aiment à contempler de grands yeux noirs, des contours dont la pureté rappelle la statuaire antique, une démarche noble et gracieuse, trouveront ici bien mieux qu'au Nedjed, en Syrie, en Egypte ou en Perse, des idoles dignes de leur culte. Les hommes, quoiqu'ils n'aient pas en apparence une grande vigueur et que leur teint soit très-bronzé, ont le regard intelligent, l'allure vive, les traits beaux et expressifs. J'ajouterai que personne ne se cache pour boire du vin, et que l'on cultive la vigne sur les pentes, du Djebel Akhdar.

« Si j'avais été plus familier à cette époque avec les auteurs arabes, je n'aurais pas été surpris des fréquentes questions qui m'étaient adressées dans l'Oman au sujet des pyramides d'Egypte, objets autrefois de la vénération Sabéenne. Peut-être aussi aurais-je obtenu des habitants quelques informations intéressantes sur le mystérieux livre de Seth, informations que la brièveté de mon séjour ne me permit pas de prendre. Le temps me manquait, j'étais obligé de circonscrire mon exploration et par là même, mes moyens de renseignements, la prudence ordinaire aux dissidents orientaux les empêchant de confier à un étranger dont ils ignorent le caractère, le secret de leur culte et de leurs croyances véritables, moins encore de mettre entre ses mains un code religieux qui diffère du Koran. Cette crainte agit peu sur les Bédouins, que le désert protège contre l'intolérance musulmane, mais elle

exerce une grande action dans l'Oman qui, grâce à sa situation maritime, entretient des relations fréquentés avec les Sunnites, les Chiites et les Ouahbites. Les habitants se croient obligés de se couvrir d'un vernis Mahométan et les Biadites héritiers des Sabéens et des Carmathes, disciples de Mokanna et d'Abou-Tahir, passent aux yeux des étrangers pour des musulmans orthodoxes. Une observation plus attentive ne tarde cependant pas à faire découvrir que ce sont des infidèles, pis encore, des apostats. Aussi les Musulmans zélés ne parlent-ils jamais des Omanites sans leur appliquer l'épithète flétrissante de Kharidjites, nom par lequel ils désignent les déser teurs de la foi islamite. Niebuhr, dont la relation savante et fidèle contient une foule d'intéressants détails sur le royaume d'Oman est tombé dans une erreur singulière au sujet des Biadites.

<< Pendant son court séjour à Mascate, la seule ville qu'il eut visitée, il se lia probablement avec quelques marchands nedjéens établis dans ce port, et jugeant par eux des habitants du pays, il attribua aux Omanites la ferveur exaltée, les manières graves, la simplicité austère, la fréquentation assidue des mosquées, l'abstinence complète de tabac, qui forme le caractère distinctif des disciples d'Abd el Ouahb. En réalité, aucun peuple, pas même les Turcs de Stamboul, ne fait une consommation aussi effrénée que les bons Omanites de la plante si odieuse aux Nedjéens; elle forme l'une des principales richesses du sol et donne lieu à une exportation considérable. Les marchés de Mascate et des autres villes regorgent de tabac, la pipe se trouve dans toutes les bouches. Quant aux prières, Mascate possède en effet trois ou quatre mosquées où les cérémonies Ouahbites sont régu

« PrécédentContinuer »