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d'accord avec Djabir ben Zied vieillissant et Abou Obeïda dans sa première jeunesse, de contenir le Quahbisme dans de justes limites, et de le préciser. Le Ouahbisme tel qu'il le conçut ne fut point une exagération de l'islamisme, mais l'interprétation exacte de la loi d'Allah. Cette loi fixe, qui n'admet ni addition, ni diminution, excluait, suivant lui, aussi bien les excès de zèle que les relâchements de discipline. Son exemple et sa parole fortifièrent les timides, retinrent les violents. Sans doute, il discuta souvent avec les schismatiques, et fut l'ancêtre de ces théologiens disputeurs que nous voyons célébrés dans toutes les chroniques de l'Oued Mzab. C'est ainsi que le Cheikh Amhammed Atfièch le présente dans son Abrégé: « Abd Allah ben Ibad, dit-il, marchait sur les traces de Djabir ben Zied, et soutenait des controverses contre les schismatiques; on a donné son nom à notre doctrine parce qu'il fut un de ceux qui d'abord la mirent en lumière; mais il n'en fut pas réellement le fondateur. Il réunissait en lui les plus belles qualités, il correspondait avec Abd el Melik, et tous les écoliers connaissent la longue lettre qu'il lui écrivit; c'est ce qui fit qu'on reporta sur lui l'honneur de la doctrine; mais il avait eu des prédécesseurs. » Les Ouahbites qui se décidèrent à rester dans les limites du bon sens et de la Sounna se rallièrent autour de son nom, et se direut, dès la fin du septième siècle de notre ère, Ouahbites Ibadites pour se distinguer des sectes à peu près semblables à la leur. Une cause analogue nous donnera plus tard les Ouahbites Ibadites Noukkar ou Nekkariens, les Ouahbites Ibadites Kheulfites, bien d'autres, parmi lesquels nos Ouahbites Ibadites Mizabites se vanteront de posséder seuls la vraie tradition.

Les Ouahbites Sofrites tirent leur surnom d'Abd Allah ben Saffar. Ce novateur était le propre cousin d'Abd Allah ben Ibad, originaire comme lui de la tribu des Benou Temim. L'histoire ne dit pas qu'il ait correspondu avec le Khalife Abd el Melik; elle nous représente au contraire ses partisans comme animés du plus ardent fanatisme. Une tradition populaire veut que leur nom, qui peut signifier les Pâles, provienne des excès de leur dévotion. Ils regardaient leurs frères Ibadites comme des timides, sinon des traîtres; ils enseignaient, non seulement que la majorité des hommes est condamnée par avance à des peines irrévocables, mais encore que toutes les fautes grandes ou petites sont égales devant la justice divine, et que la plus légère infraction à la règle est punie par Allah du feu éternel. Ils n'admettaient pas, comme les Ibadites, que l'homme en état de péché véniel fût encore Musulman; quant aux Mahometans qui se souillaient de crimes et de croyances hérétiques, ils leur refusaient le nom d'Unitaires, les disaient Polythéistes, et les traitaient comme tels. Dans la loi des Ouahbites Ibadites, les Unitaires sont tous les Mahométans quels qu'ils soient, c'est-à-dire, tous ceux qui croient à l'unité d'Allah et à la mission de son Prophète; s'il est ordonné de les combattre, il est défendu de piller leurs biens, de les achever ou de les dépouiller sur le champ de bataille. Les Ouahbites Sofrites repoussaient cette loi, et se conduisaient comme les soldats d'Abd el Melik, rendant vol pour vol et cruauté pour cruauté. Il semble que le sang répandu par les Omméïades les ait aveuglés. Les Ibadites n'en parlent qu'avec une sorte d'horreur, et rejettent sur eux tous les crimes dont les historiens ont chargé les hérétiques du premier siècle de l'hégire: « Toutes les

mauvaises actions qui nous sont reprochées, dit le Cheikh Amhammed Atfièch, ont été commises par de faux Ibadites ou par des Sofrites. Les Sofrites sont amis de l'injustice et n'ont rien de commun avec nous. Certes Djabir ben Zied, Abou Obeïda, Abd Allah ben Ibad, Abou Bilal, n'ont jamais admis que les petites fautes fussent égales aux grandes, ni qu'on pût vendre ou massacrer un Mahométan comme un Polythéiste; mais les Malekites et autres se plaisent à nous attribuer tout ce qu'ils trouvent dans les livres inscrit à la charge des rebelles communément appelés Kharidjites. » Ce sont surtout les Sofrites que les Khalifes eurent à combattre en Irak dans la seconde moitié du premier siècle. Leur résistance fut si acharnée qu'Abd el Melik n'hésita pas à détacher contre eux ses meilleures troupes et son meilleur général, El Hadjaje, qui venait d'anéantir dans La Mecque saccagée le parti d'Abd Allah ben Zobeir. El Hadjaje fut sur le point de battre en retraite, et demanda de puissants renforts. Il n'avait pas devant lui moins de quarante mille Sofrites accrus des bandes d'un certain Nafia ben el Azreg que le Cheikh de Beni Sjen présente comme Sofrite, mais qui pouvait, lui aussi, professer quelque doctrine extrême un peu différente de celle de Ben Saffar. Ces terribles puritains furent vaincus. Il est constant qu'Abd Allah ben Ibad n'était pas sorti avec eux, et même qu'il resta dans Bosra occupé par El Hadjaje. Le Cheikh Amhammed explique son inaction par une raison singulière : « Quand Abou Bilal eut été tué, dit-il, les Ibadites se réunirent dans la mosquée de Bosra et convinrent de sortir de la ville: avec eux étaient Abd Allah ben Ibad, Nafia ben el Azreg, Ouahbite Sofrite, et les principaux des Musulmans. La nuit vint; mais Abd Allah

ben Ibad, entendant la ville s'emplir du murmure des lecteurs du Koran, pareil à celui d'une ruche, du chant du Mouezzin qui appelait à la prière, et du bruissement des Croyants qui répétaient le nom d'Allah, ne put se décider à sortir. Il dit à ses amis : « Quoi donc, je vous suivrai et j'abandonnerai ces gens-là ? » Il se déroba et se cacha dans la ville. >>>

Ce n'est pas que les Ouahbites Ibadites n'aient eu, eux aussi, leurs jours de bataille dans l'Irak, contre les Khalifes. Leur héros dans ces luttes, qui d'ailleurs tournèrent à leur désavantage, fut Abou Bilal Meurdas ben Haoudir. On compte avec lui Omran ben Attan, Aïas ben Maaouïa, l'imam Abd Allah ben Yahia. Cet Abou Bilal qui, d'ailleurs, n'a rien de commun avec le fameux Bilal, compagnon du Prophète et premier Mouezzin des Musulmans, est demeuré particulièrement célèbre dans les annales des Beni Mzab. C'est de lui qu'ils font dériver leur nom, quand ils y attachent une signification religieuse. « A La Mecque, disent-ils, Abou Bilal priait, une nuit, près du mur occidental de la Kaaba, en dessous de la gouttière, Mizab, qui s'avance un peu en dehors du toit de la maison d'Allah. Il invoquait Allah avec force, lui demandant qu'il daignât consacrer sa doctrine par un miracle. La nuit était claire et sans nuages. Tout à coup, des gouttes de pluie tombèrent du Mizab. » Depuis ce temps, les Ibadites en pèlerinage, au lieu de faire seulement quatre stations autour de la Kaaba, comme les autres pèlerins, en font cinq, quatre aux coins de l'édifice, et une en face du Mizab, en mémoire de la prière d'Abou Bilal. De là leur nom de Mizabites. Cette tradition peut avoir été fabriquée après coup; car il est certain que le petit pays saharien dans lequel les Ibadites fugitifs de Tiaret et de

Ouargla, s'établirent au onzième siècle de notre ère, était habité par des Beni Mozab Ouacilites, parfaitement distincts des Ibadites, et tout porte à croire que le nom actuel des Beni Mzab, provient de ces Beni Mozab.

Quoiqu'il en soit, Abou Bilal donna à la résistance des Ibadites une forme extrêmement curieuse et qui mérite d'être étudiée. Le petit nombre des documents dont je dispose ne me permet pas de décider si cette forme leur fut particulière; peut-être elle leur fût commune avec les Sofrites. Il est plus utile de remarquer qu'elle constitue pour eux encore aujourd'hui une des quatre conditions ou voies dans lesquelles Allah peut les placer, comme si elle était inhérente à leur secte, et non pas née simplement des circonstances. Elle consiste dans l'organisation d'une troupe de dévoués qui doivent mener sans cesse leurs frères au combat. Le Prophète a dit : « Le Paradis est à l'ombre des sabres », et encore : « A cheval, cavaliers d'Allah, le Paradis est devant vous. » Les verts bosquets, le vin et les femmes de la Djenna, sont la récompense due aux guerriers, comme l'était le Walhalla des Scandinaves. Quand les Imams, successeurs élus du Prophète, proclament la guerre, ils ont, commele Prophète lui-même, le droit d'engager la parole d'Allah. Leurs hommes vont au combat portant suspendus au cou un exemplaire du Koran et une épée : l'épée exécutera ce que prescrit le livre, elle donnera ce qu'il promet. D'une manière générale, on entend par voie d'Allah tous les risques graves que l'on encourt pour la foi : Un meurtrier comme Ibn Moldjem est dans la Voie d'Allah. Le Musulman peut donc toujours faire un pacte avec sa Divinité; il peut toujours, en échange de sa vie, acheter les jouissances célestes. N'est-ce point là le principe de la fa

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