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sont << gens du livre, » il leur impose la capitation. S'ils la payent régulièrement, il est défendu de verser leur sang, de piller leurs biens, de réduire leurs enfants en esclavage, il est permis de manger des animaux qu'ils ont égorgés, et de contracter avec eux des mariages légitimes; mais, s'ils refusent de payer, ils doivent être exterminés. La loi dit avec une concision brutale: alors tout ce qui était défendu vis-à-vis d'eux est permis, et tout ce qui était permis est défendu. Les Guèbres sont soumis au même règlement, sinon que les Musulmans ne peuvent en aucun cas manger de leurs viandes ni contracter mariage avec eux. Quant aux Idolâtres, ils ne sont point admis à la capitation, mais l'Emir des Croyants leur fait la guerre sans relâche. Il est permis de les réduire en esclavage, de les dépouiller de leurs biens, et de verser leur sang tant qu'ils demeurent dans leur idolâtrie.

Les Musulmans, suivant qu'Allah les récompense ou les éprouve sur cette terre, sont dans une des quatre conditions ou voies suivantes : d'abord la voie de gloire, qui est celle des deux premiers Khalifes. Abou Bekr et Omar contraignaient les fidèles à faire le bien, et les empêchaient de faire le mal; ils coupaient la main du voleur, s'il avait pris dans un lieu clos un objet qui valût seulement un quart de dinar; ils fouettaient l'homme et la femme débauchés, en âge de puberté, et libres; ils les lapidaient s'ils étaient mariés. Ils imposaient des contributions aux riches et en distribuaient le profit aux pauvres. Ensuite, la voie de défense, qui est celle d'Abd Allah ben Ouahb er Racibi. En cas de danger, les Musulmans se réunissent et nomment un Imam temporaire, maître absolu dans les limites de la loi de Dieu. Il coupe le poing, il flagelle, il met à mort, il déclare la guerre, et se décide

toujours de lui-même sans être forcé de subir le contrôle d'une assemblée. On ne peut lui demander compte que de la pureté de sa foi, et les Mchèkh (1)sont sesjuges naturels. Troisièmement, la voie de dévouement, qui est celle d'Abou Bilal ben Haoudir. Quand la situation est presque désespérée, quarante hommes sont choisis qui ont vendu leurs âmes à Allah en échange du Paradis. Ils mènent leurs frères à la bataille, et il leur est interdit de poser les armes avant qu'ils soient réduits au nombre de trois. Quatrièmement, la voie de secret. Quand les Unitaires ou les Polythéistes, ou les Idolâtres triomphent par la volonté d'Allah, il estpermis de leur obéir, mais il est défendu de lier amitié avec eux. Le Musulman doit garder sa croyance dans son cœur impénétrable. Il ne saurait sans péché livrer comme une marchandise aux impies du monde présent ses lois, ses coutumes écrites, ses livres. Si les impies exigent qu'il les appelle Siedi ou Saada, Monsieur, Monseigneur, et le menacent de la ruine ou de la mort, il peut céder: autrement, il tombe lui-même dans l'impiété quand il leur décerne ces titres réservés aux seuls Musulmans. Pourquoi nos Mozabites qui vivent au milieu de nous à Alger, s'enveloppent-ils de mystères ? Parcequ'ils sont Ouahbites dans l'état de Secret? Pourquoi tous les Clercs du Mzab se sont-ils rassemblés à Sidi Abd er Rahman, quand je leur eut demandé leurs livres ? Parceque celui qui me livrait ces livres était Novateur, hérétique, à la façon de Jean Huss ou de Luther. Pourquoi un de leurs Savants m'a-t-il dit, en répondant à mon salut, Sidi avec i bref, au lieu de Siedi? Parceque

(1) Le mot Mchèkh est le pluriel de Cheikh. On appelle Cheikh tout personnage religieux célèbre par sa science et ses vertus.

Sidi, en Arabe littéral et peu connu, signifie chacal, tandis que Siedi signifie mon maître. Le Musulman, dans quelque situation qu'il se trouve, doit toujours s'adresser à Allah. Il y a réponse à tout dans les versets qu'Allah a fait descendre sur son Prophète.

Allah est savant, c'est-à-dire que toutes les sciences humaines sont nulles, si elles ne sont confirmées par sa parole; Allah est puissant, c'est-à-dire que les monarchies passagères des Kosroès et des Pharaons ne sont rien auprès de ses faveurs éternelles. La vertu même n'est vertu et le crime n'est crime que par la volonté d'Allah.

Cette réduction des différences essentielles qui distinguaient, dès le septième siècle de notre ère, les Ouahbites des autres Mahométans n'admet point la multitude de détails qui achèvent la physionomie du parfait Musulman. Je n'insisterai pas non plus sur les réflexions qu'elle suggère. Je me contenterai de marquer que la doctrine contenue dans le Divan de Djabir ben Zied, qui fut enseignée par Abou Obeïda aux Imams Ouahbites, ancêtres religieux de nos Beni Mzab; est le fonds même de l'Islamisme, et à ce propos je veux citer une page très remarquable de M. Palgrave, l'éminent explorateur de l'Arabie centrale, dont l'autorité est grande en pareille matière. M. Palgrave hait la religion de Mahomet d'une haine intense; mais l'excès de son sentiment n'a fait que donner à ses appréciations une heureuse vivacité du moins la justesse de ses vues d'ensemble est hors de doute. Le lecteur remarquera avec quelle précision surprenante les jugements de M. Palgrave s'adoptent aux idées que j'ai tirées simplement des livres des Beni Mzab. Or, M. Palgrave n'avait étudié que les Ouahbites du Nedjed

On peut enconclure par avance que les Ouahbites de l'Arabie centrale sont les mêmes, ou à très peu de choses près, que nos Onahbites ibadites de l'Oued Mzab, et j'espère justifier cette présomption un peu plus loin. Voici comment M. Palgrave s'exprime sur le compte de cette doctrine abrupte, homogène comme un bloc de granit, exclusive de tout compromis :

<< La clef de voûte, l'idée mère de laquelle découle le système entier, est contenue dans la phrase si souvent répétée, si rarement comprise : « La Ilah Illa Allah. » « Il n'y a d'autre Dieu que Dieu. » Ces paroles ont un sens beaucoup plus étendu qu'on ne le croit généralement en Europe. Non-seulement elles nient d'une manière absolue toute pluralité de nature ou de personne dans l'Etre suprême, non-seulement, elles établissent l'unité de celui qui n'a pas été créé et que rien ne pourra détruire; mais dans la langue arabe et pour les Arabes, ces mots impliquent que Dieu est aussi le seul agent, la seule force, la seule action qui existe, et que toutes les créatures, matière et esprit, instinct ou intelligence sont purement passives. L'unique pouvoir, l'unique moteur, l'unique énergie capable d'agir, c'est Dieu; le reste depuis l'archange jusqu'à l'atôme de poussière, n'est qu'un instrument inerte. Cette maxime. « La Ilah Illa Allah » résume un système que, faute de termes plus exacts, j'appellerai le panthéïsme de la force, puisque l'action se concentre dans un Dieu qui l'exerce seul et l'absorbe tout entière, qui détruit ou conserve, qui est, en un mot l'auteur de tout bien, comme de tout mal relatifs. Je dis « relatifs » : en effet, dans une théologie semblable, ni le bien, ni le mal, ni la raison, ni l'extravagance n'existent d'une manière absolue; ils se modifient suivant le bon plaisir de

l'Eternel autocrate : « Sic volo, sic jubeo, stet pro ratione voluntas. », et selon l'expression plus énergique encore du Koran «< Kima iecha. » (les choses sont ce qui plaît à Dieu).

« Cet Être incommensurable, devant lequel les créatures sont confondus sous un même niveau d'inertie et de passivité, le Dieu, Être dans toute l'étendue de son action omnipotente et omniprésente, ne connaît d'autre règle, d'autre frein que sa seule et absolue volonté. Il ne communique rien à ses créatures, car l'action et l'intelligence qu'elles semblent avoir résident en lui seul; il n'en reçoit rien, car elles existent en lui, et agissent par lui, quoi qu'elles puissent faire. Aucun être créé ne peut non plus se prévaloir d'une distinction ou d'une prééminence sur son semblable. C'est l'égalité de la servitude et de l'abaissement. Tous les hommes sont les instruments de la force unique qui les emploie à détruire ou à fonder, à servir la vérité ou l'erreur, à répandre autour d'eux le bien-être, ou la souffrance, non suivant leur inclination particulière, mais simplement parce que telle est sa volonté.

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<< Si monstrueuse, si impie que puisse paraître cette doctrine, elle ressort de chaque page du Koran; ceux qui ont lu et médité attentivement le texte arabe, car les traductions altèrent toutes plus ou moins le sens original, n'hésiteront pas à reconnaître que chaque ligne, chaque touche du portrait odieux qui vient d'être tracé ont été pris au livre saint des musulman's. Les contemporains ne nous ont laissé aucun doute sur les opinions du Prophète, opinions qui sont longuement expliquées dans les commentaires de Beydaoui et autres ouvrages du même genre. Pour l'édification des lecteurs qui ne seraient pas en état de puiser aux sources mêmes des dogmes islamites, je

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