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Allah ben Ouahb succomba sous les coups de deux guerriers célèbres, Hani et Ziad (38 de l'hégire).

Comme Ali parcourait le champ de bataille, un de ses compagnons le félicita d'avoir écrasé les rebelles pour toujours. Il répondit : « Par celui qui tient ma vie entre ses mains, les rebelles sont maintenant dans les reins de leurs pères et dans le sein de leurs mères. >> La vengeanee ne fut pas lente. Un Ouahbite nommé Ibn Moldjem, le cœur plein de la haine commune, et animé par une femme qu'il aimait, lui fendit la tête d'un coup d'épée entre les deux yeux, et s'écria: « C'est Allah qui est juge, et non pas toi, » parole profonde qui nous montre bien le cas que les Musulmans imbus du Koran peuvent faire de nos lois.

Toute la doctrine ouahbite est résumée dans ce cri d'Ibn Moldjem. En réalité, les « dévoués » qui suivirent Abd Allah ben Ouahb à Nehrouan croyaient combattre pour le salut de l'Islamisme tout entier ; et la question de l'arbitrage est peu de chose en comparaison de toutes celles qui dérivent de la fameuse formule « Allah est seul. » Si nous possédions le Divan de Djabir ben Zied, que nos Beni Mzab regardent encore comme fondamental, il nous serait facile d'exposer ici toutes les idées particulières qu'ils défendirent. Djabir qui mourut en 96 de l'hégire avait recueilli la tradition que les Sohaba (Compagnons) tenaient du Prophète, comme le Prophète lui-même la tenait de l'ange Gabriel; mais son merveilleux ouvrage est perdu. Neffat, le Maugrebin ibadite qui en avait fait faire une copie que neuf chameaux seulement pouvaient porter, a enterré son trésor dans un coin inconnu de la Tripolitaine. Heureusement, les livres actuels des BeniMzab, le Nil, le Djouaher, la chronique de Cheikh Ahmed,

le Kitab el Ouadah, le Kitab ed Delaïl, et bien d'autres, sont comme les rejetons de cette ancienne souche. La chaîne est continue depuis l'ange Gabriel jusqu'aux Clercs de Rardaïa, de Beni Sjen et de Melika. Je vais essayer de dégager l'essence de leur enseignement, et d'en marquer le caractère.

Le premier point est que le Koran est la propre parole d'Allah. La langue d'Allah est la langue arabe. La grammaire arabe est vraiment la nourrice et la règle de la théologie musulmane. L'homme qui l'ignore est exposé à de graves erreurs ; celui qui la possède est maître de toutes les vérités. Il ne peut y avoir de discussion religieuse, ou, s'il s'en élève une, elle doit être résolue par une lecture attentive du texte sacré. La religion musulmane est à l'abri du doute; elle n'admet ni addition ni diminution. L'innovation est le plus grand de tous les crimes.

Allah est unique parce qu'il a dit qu'il n'a point d'associé; Allah est invisible, intangible, sans couleur et sans limites, il ne saurait être vu dans le Paradis, quels que soient les mérites de ses fidèles, parce qu'il a dit clairement que nul ne le verra. Les autres sectes mahométanes torturent le sens du Livre ; mais le Livre les condamne. Que les Chrétiens qui donnent un fils à leur Dieu espèrent le voir après la mort, peu importe: pourvu qu'ils payent la capitation, Allah veut qu'on les abandonne à leur erreur; mais les Unitaires tels que les Malékites et les Hanéfites d'Afrique, les Chafeïtes et les Hambalites d'Egypte et de Syrie, sont rebelles s'ils s'obstinent dans une telle extravagance, et les vrais musulmans ont reçu d'Allah l'ordre de les réduire.

Il est aussi inadmissible que les peines ne soient pas

éternelles comme les récompenses. Les jugements d'Allah sont irrévocables. Il est absurde de supposer que les Prophètes viendront intercéder auprès d'Allah, en faveur de leurs sectateurs. La loi est que toutes les actions humaines bonnes ou mauvaises sont prévues, voulues par Allah: ceux qu'Allah a destinés au paradis mangeront et boiront dans de verts bosquets; les autres brûleront dans le feu de la Géhenne. Ouvrez le livre et lisez, si vous doutez. Le Prophète a dit : « J'ai considéré les Juifs, et j'ai trouvé qu'ils mentent touchant mon frère Mouça (Moïse), et ils sont séparés en soixante et onze sectes toutes funestes, excepté une salutaire, et cette secte est celle qu'Allah a mentionnée dans son livre, quand il a dit : << Parmi le peuple de Mouça, il y a des gens qui se conduisent avec justice. » J'ai considéré les Chrétiens, et j'ai trouvé qu'ils mentent touchant Aïssa, et ils sont séparés en soixante-douze sectes toutes funestes, excepté une salutaire, et cette secte est celle dont il est parlé au livre d'Allah, quand il est dit : « Certes, il est parmi eux des clercs et des prêtres, et ceux-là ne commettent pas de grandes fautes. » Les Mahométans se partagent en soixante et onze ou soixante-treize sectes toutes funestes, excepté une salutaire, et chacune d'elles prétend à être la salutaire; mais Allah sait quels sont parmi les hommes tous ceux qu'il a voulu perdre ou sauver dès le commencement du monde.

Allah a ordonné que l'aldutère fût puni de mort, et le libertin flagellé. Les Clercs interprètes de ses ordres ont raison de déclarer qu'un Musulman ne peut en aucune façon contracter mariage avec sa maîtresse : il doit s'en séparer, s'il veut rentrer dans l'islam, et déclarer publiquement qu'il n'aura plus de rapports avec elle. Est-il un

plus grand scandale que de voir des Unitaires Malekites admettre qu'un homme peut épouser sa maîtresse pourvu qu'il cesse d'habiter avec elle pendant trois mois avant le mariage?

Le goût du luxe est un péché grave, parce qu'Allah nous interdit l'orgueil. Si un Musulman est favorisé par Allah des biens de ce monde, son devoir est de s'en servir pour acheter la vie future par ses bonnes œuvres. L'islam a élevé les uns et abaissé les autres sous le même niveau. Omar porta lui-même dans son manteau grossier les ordures qui couvraient le sol de la future mosquée de Jérusalem; il allait puiser de l'eau à la fontaine, une cruche sur l'épaule. Un de ses agents, Selman le Persan, gouverneur de Ctésiphon, ne se vêtait que de laine, avait pour monture un âne couvert d'un simple bât, et vivait de pain d'orge. A l'heure de sa mort, comme il versait des larmes, et qu'on lui en demandait la cause, il répondit: « J'ai entendu dire à l'Envoyé d'Allah qu'il y a dans l'autre monde une montagne escarpée que ceux-là seuls pourront gravir qui ont peu de bagage; or, je me vois ici entouré de tous ces biens. » Les assistants eurent beau examiner sa demeure: ils n'y trouvèrent qu'une cruche, un vase, et un bassin pour les ablutions. Tous les Musulmans sont égaux, sinon devant Allah, au moins dans la société de ce basmonde. La religion exige qu'ils n'affectent pas une toilette recherchée, qu'ils ne dépensent pas trop en fêtes. Dans les premiers temps de l'islamisme, les lois somptuaires étaient inutiles: on eut 1aison d'en faire plus tard, quand elles devinrent nécessaires. Tenir sa parole, garder un dépôt, ne point envier le bien d'autrui, sont des prescriptions divines que les Arabes Malékites sem

blent ignorer. Le bien mal acquis constitue une flétrissure pire que toutes les maladies physiques et est rédhibitoire du mariage dans les communautés ibadites. L'abstinence, la pureté des mœurs, sont ordonnées par Allah, recommandées par les exemples du Prophète et de ses Compagnons. Certes le Prophète admit la pluralité des femmes ; mais il ne toléra point le célibat qui favorise la débauche et diminue le nombre des adorateurs d'Allah. Les femmes légitimes des Musulmans sont enfermées ou voilées : Allah l'a voulu, et les Arabes qui laissent les leurs sortir sans voiles sont des impies. Impie est celui qui boit du vin, des liqueurs, de la fumée de tabac, toutes choses enivrantes et nuisibles à l'intelligence qu'Allah nous a donnée pour que nous le comprenions; impie quiconque se livre à la colère, et se plaît aux chanteurs, aux joueurs de flute, à la danse. Allah n'accepte que les hommages d'une âme saine.

Les Ouahbites sont seuls gens de foi, Musulmans; les autres Mahométans ne sont qu'Unitaires, car, s'ils croient à l'unité d'Allah, ils sont rebelles à sa loi. Les Chrétiens, les Juifs, les Sabéens et les Guèbres, donnent des associés à leur Dieu, et sont Polytheistes; les autres peuples sont Idolatres. Quant aux Unitaires, l'Emir des Croyants doit les inviter d'abord à renoncer à leur erreur. S'ils refusent de se soumettre, il leur fait la guerre jusqu'à ce qu'ils obéissent aux ordres d'Allah. Il est permis de les bannir et de les mettre à mort; mais il est défendu de les dépouiller, de réduire leurs enfants en esclavage, d'achever leurs blessés, de poursuivre leurs fuyards. Quant aux Chrétiens, aux Juifs et aux Sabéens, la loi d'Allah les favorise. L'Emir des Croyants ne leur déclare pas immédiatement la guerre comme aux Unitaires, mais, comme ils

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