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L'Imam s'écria: Hélas! ô mon fils, qui fut frappé pendant la nuit ! Si tu donnes un coup au fils du roi, dit le poëte, que ce soit un coup mortel!.... »

Abdel el Ouahab prit ensuite les restes de son fils, les enduisit de goudron, et les enterra; mais on ignorait l'auteur du meurtre. Or, un jour que le fils de Mimoum était sorti et s'était approché des Noukkar, ces derniers l'interpellèrent : « Eh! fils de l'homme dont le sang n'est pas vengé ! (4) » L'enfant revint vers son grandpère Abd el Ouahab et lui rapporta ces paroles. Abd el Ouahab prit alors les informations les plus exactes, et quand il fut certain que les Noukkar étaient les meurtriers de son fils, il envoya contre eux une armée commandée par un de ses lieutenants. Les lbadites les atteignirent à huit jours de marche de la ville. Ils les rencontrèrent réunis suivant leur habitude et attendant leur choc. Après un rude combat, Allah les mit en fuite, et il en périt un grand nombre. Ils avaient diminué le nombre de leurs morts; mais on se demanda quel était le nom le moins fréquent parmi eux et on trouva que c'était celui de Aron. Or, trois cents Aron gisaient parmi leurs morts. Allah

(1) Nous avons vu que la loi religieuse des Ibadites exige que le meurtrier aille se mettre à la disposition des parents du mort; s'il ne les trouve pas, il doit perdre la vie dans la voie de Dieu La loi laïque de nos Beni Mzab admet la peine de l'exil et de la compensation pécuniaire. Les Laïques comme les Clercs réussissent peu à éteindre la soif de la vengeance, si ardente chez les Berbers. Le Berber veut « se venger », et, s'il n'y peut parvenir, il se regarde comme déshonoré. Par exemple, un Kabyle qui a reçu la compensation pour la mort d'un de ses parents, met l'argent dans une corne, cherche à tuer le meurtrier, et rend l'argent s'il a réussi. On dit en Kabylie : « Ces gens-là n'ont pas de cœur ; ils ont encore leur corne pleine. »

détrufsit leur puissance et les affaiblit au dernier point (1).

La famille des Rostemides se distinguait par sa science des vérités fondamendales, de la législation et des interprétations, par ses triomphes dans toutes les controverses religieuses contre quelque secte que ce fût, par sa connaissance de la langue arabe, de la grammaire et de l'astronomie. Mahad Allah a pu dire: « Il n'y a pas de servante chez nous qui ne connaisse les signes du Zodiaque.» (2) On rapporte qu'Abd el Ouahab veillait une nuit

(1) Le mot « Noukkar, » qui signifie proprement Récusants, serait exactement traduit par Niveleurs. Il est regrettable que la Chronique n'ait pas cru devoir nous rien apprendre à leur sujet, sinon qu'ils avaient refusé d'obéir à Abd el Ouahab et qu'ils innovaient dans les noms d'Allah. Cependant, à propos de la révolte de l'Homme à l'âne, Abou Yezid, dont il sera parlé plus loin dans la Chronique, l'historien des Berbères, Ibn Khaldoun, mentionne quelques particularités de ces Noukkar, qu'il est utile de recueillir. Abou Yezid, chef des Noukkar qui se révoltérent contre les Fatemides et firent courir les plus grands dangers à leur dynastie dans la première partie du dixième siècle de notre ère, avait été maître d'école dans le Djerid tunisien. Or il enseignait que tous ceux qui se tournent vers La Mecque pour prier, sont infidèles, qu'Ali fut un tyran dont la mémoire doit être maudite, qu'il est toujours permis de se révolter contre le pouvoir temporel. A l'exemple des Sofrites, il déclarait que les Unitaires qui n'appartenaient point à sa secte devraient être poursuivis sans merci et sans pitié, que leurs biens pouvaient être pillés, que leurs fuyards pouvaient être massacrés, que leurs morts pouvaient être dépouillés. La forme de gouvernement qu'il semble avoir admise est la seule forme ecclésiastique, c'est-à-dire le gouverment de la foule par douze Mchekh, plus un, analogue au Cheikh suprême de la Rardaïa Mozabite. Il est bien regrettable que toutes les sectes musulmanes, quelles qu'elles soient, aient pris le parti de brûler tous les livres des sectes adverses, car les Noukkar devaient avoir écrit, et leurs livres seraient assurément, aujourd'hui, du plus haut intérêt.

(2) On remarquera que l'auteur de la Chronique insiste tou

avec sa sœur et tous deux s'instruisaient dans la science des Partages. Or, avant la fin de la nuit, ils avaient calculé les héritages des Orientaux et des Occidentaux. Pendant cette nuit, Abd el Quahab fournit la lampe de mèches en effilant son turban, jusqu'à ce que le jour parût (1). On raconte aussi qu'Abd el Ouahab envoya

jours sur la science des Imans et des docteurs Ibadites. On trouve encore, dans le Mzab, des hommes adonnés à l'étude, et des bibliothèques. Les savants Mczabites ne sont paint en. couragés par le gouvernement, comme le sont les savants Mahométans d'Alger ou de Constantine, et leur zèle mérite d'autant plus d'être apprécié qu'ils sont entourés de populations Arabes Malekites, absolument barbares. Je ne crois pas que l'on puisse faire honneur de cet amour de l'étude à la race Berbère. Il vaut mieux l'attribuer aux nécessités de la vie de lutte qui est la conséquence de toutes les hérésies. Sans cesse, au Moyen âge, les Ibadites et leurs adversaires se livraient des combats théologiques. Certes, tous les ouvrages des Ibadites ne sont pas d'une importance égale; mais avec quelle joie n'ouvrirait-on pas, aujourd'hui, la Biblothèque des Imans de Tiaret, si elle existait encore. Les Fatemides et bien d'autres ont brûlé Tiaret.

(1) M. Duveyrier, dans son bel ouvrage les Touareg du Nord, fait valoir que les femmes Berbères du Sahara central sont plus instruites que les hommes. Elles seules, ou à peu près, gardent le dépôt de l'ancienne écriture. Nous voyons ici la sœur d'un Imam Ibadite partager les études de son frère. Dans plusieurs autres passages de la Chronique, on trouve des femmes citées avec honneur. Nous avons pu remarquer, dès les premiers jours de notre occupation de l'Algérie, que les femmes des Kabyles et des Chaouia de l'Aouras, femmes Berbères, mènent la même vie que nos paysannes de France: elles vont seules, à plusieurs kilomètres de distance, chercher de l'eau ou du bois, elles ne sont pas voilées, elles moissonnent avec les hommes. Les Kabyles et les Chaouia sont monogames; les Mozabites le sont aussi. Il est vrai que dans l'Aouras ou dans le Djerdjera on divorce avec une grande facilité, pour se remarier ensuite, et ces deux formalités ne coûtent que six francs chacune; mais il n'en est pas tout à fait de même dans

mille dinars à nos frères d'Orient pour qu'ils lui achetassent des livres. Quand les mille dinars leur parvinrent, ils se réunirent et résolurent de les employer à l'achat de feuilles de papier; eux-mêmes voulurent fournir l'encre, les plumes, et autres accessoires, puis ils copièrent quarante charges de livres et les adressèrent à l'Imam. Quand ces livres lui parvinrent, l'Imam les ouvrit, les lut tous en entier, et dit : « Allah soit loué ! Il n'y a là que deux choses dont je n'eusse pas pleine connaissance, et cependant si l'on m'avait interrogé sur ces deux choses, en procédant par analogie, je serais arrivé à bien répondre comme il est dit dans les livres. >>

GUERRE DES OUACILITES ET DE L'IMAM ABD EL OUAHAB
(qu'Allah l'agrée).

Quand Allah eut anéanti les Noukkar par les mains de l'Imam Abd el Ouahab, leur donnant pour héritage la confusion et la honte, des mouvements se produisirent chez les Quacilites. Ces Ouacilites étaient Berbers et com

le Mzab. Du moins la coutume des Mozabites n'admet pas plus de deux divorces. Les femmes Berbères d'Algérie sont plus ignorantes que les femmes des Touareg, mais elles savent beaucoup plus de la vie commune que les femmes Turques ou Arabes des villes. Cependant, nous devons reconnaître qu'elles sont, au point de vue des connaissances, dans un état réel d'infériorité. L'Islamisme en est cause. C'est l'Islamisme qui a abaissé la femme africaine. Aujourd'hui même, dans le Mzab, tandis que les Laïques se font un scrupule d'avoir deux femmes, les Clercs enseignent que la loi de Dieu en admet quatre. Les Clercs les forcent à ne jamais sortir de leurs maisons. Ils triomphent aujourd'hui ; mais la résistance de la femme dut être longue. En tout cas, ce passage de la Chronique où nous voyons la sœur d'un Imam lutter de science avec son frère, est du plus haut intérêt.

posés en grande partie de tribus zenatiennes. Ils s'étaient bien conduits envers plusieurs fractions ibadites, et ils désiraient profiter de quelque occasion. Dès que l'Imam en fut averti, il les provoqua plusieurs fois de suite à des disputes. Or, parmi eux se trouvait un jeune homme doué d'un courage extraordinaire auquel rien ne résistait; il était fils de leur chef et défenseur. Ils comptaient aussi un homme très subtil dans les disputes en faveur de sa secte (4). Il eut de longues controverses avec l'Imam;

(1) Sale (The Koran, Preliminary discourse, sect. VIII), résumant Pococke et Chahrestani, expose ainsi qu'il suit la doctrine des Mo'atazilites : « Peu après la révolte des Khȧrejites contre Ali, Mabad al Johni, Ghaîlan de Damas, et Jonas el Aswâri concurent certaines opinions hétérodoxes concernant la prédestination et le bien et le mal regardés comme attributs de Dieu (and the ascribing of good and evil unto god); ces opinions furent adoptées par Wåsel Ebn Atâ. Ce dernier était dans l'école de Hasan de Basra. Un jour que dans cette école il s'agissait de décider si celui qui a commis un péché grave doit être ou non regardé comme infidèle, (les Khârejites soutiennent l'affirmative sur ce point, et les Orthodoxes la négative), Wâsel, sans attendre la décision du maître, interrompit brusquement, et fit profession, au milieu de ses camarades, d'une opinion nouvelle et toute personnelle, à savoir qu'un tel pécheur se trouvait dans un état moyen entre la foi et l'infidélité. Il fut expulsé de l'école pour ce fait, et de là ses partisans furent dits Mótazalites, ou Séparatistes. En somme: 1° Les Mótazalites rejettent entièrement tous les attributs éternels de Dieu, pour éviter la distinction de personnes faites par les Chrétiens; ils disent que l'éternité est l'attribut propre de son essence, que Dieu connait par son essence, et non pas sa connaissance, et que l'on peut affirmer la même chose de tous ses autres attributs (cependant tous les Mótazalites ne sont pas parfaitement d'accord sur ce sujet). Cette opinion leur fit donner le nom de Moattalites, parce qu'ils dépouillaient Dieu de ses attributs, et ils s'avancèrent assez loin dans cette voie pour affirmer que la pluralité des attributs est la négation de l'unité de Dieu. Telle était du moins la pure doctrine

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