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majorité se porta sur Messaoud, et on courut le trouver pour lui prêter serment; mais il s'enfuit et se cacha. Alors on se dirigea vers la demeure d'Abd el Ouahab. Dès que Messaoud apprit qu'ils avaient renoncé à lui prêter le serment et qu'ils voulaient le prêter à Abd el Ouahab (qu'Allah l'agrée), il sortit en toute hâte pour être le premier qui saluât Abd el Ouahab. Abou Kodama voyant qu'il ne jouissait que d'une mince considération et que les Musulmans ne lui témoignaient absolument aucune faveur, désira le gouvernement d'Abd el Ouahab, disant : « Il est plus que tout autre notre proche parent, et cela peut-être l'inclinera vers nous. » En effet, la mère d'Abd el Ouahab était originaire des Beni-Ifren (1). Abou Ko

(1) Les Beni Ifren qui occupaient une partie du Maroc septentrional étaient, au huitième siècle de notre ère, Ouahbites Sofrites, et se trouvaient en quelque sorte frères des Ouahbites Ibadites d'Abd er Rahman ben Roustem. Ils ne se mêlaient pas sur les champs de bataille, mais ils combattaient côte à côte les Ommeïades, comme on le vit au siège de Tobna. Il est surprenant que l'auteur de la chronique mozabite ne mentionne même pas cette importante affaire, dans laquelle on vit environ vingt mille Ibadites partagés sous le commandement d'Abd er Rahman ben Roustem, d'El Miçour Ibn Hani, de Djerir Ibn Maçoud et d'Abd el Melek Ibn Sekerdid, marcher de concert avec quarante mille Sofrites, commandés par Abou Korra. On comprend qu'Abd er Rhaman ben Roustem ait désiré s'unir par un mariage avec ces Beni Ifren. Cette alliance politique lui était d'autant plus utile que les Beni Ifren étaient Zenata, et par conséquent apparentés avec toutes les tribus guerrières qui dominaient dans le Sahara au huitième siècle, et s'y maintinrent jusqu'à la grande invasion arabe du onzième. Les Beni Ifren sont regardés par les écrivains arabes comme des sectaires plus ambitieux que convaincus. Ils se montrèrent partisans des Idricides dont ils partagèrent l'élévation et la chute, ensuite ils abandonnèrent les doctrines des Sofrites. Il est possible que le mariage d'Abd er Rahman ben Roustem ait valu aux Ibadites de Tahert la tranquillité relative dont ils jouirent

dama et ses amis espérérent donc qu'Abd el Ouahab les favoriserait, car ils étaient ses consins. Aussi, parlant à son entourage, il déclara qu'il refuserait de prêter serment à tout autre qu'à Abd el Quahab, à cause des liens de parenté qui les unissaient (4). Cependant ils hésité

du côté de l'Ouest, pendant la domination des [dricides dans le Maroc. D'ailleurs, Abd er Rahman ben Roustem avait contracté une autre alliance avec une tribu presque aussi puissante alors au Sud du Maroc que les Beni Ifren l'étaient au Nord, les Miknasa, fondateurs et maîtres de Sidjilmassa (Tafilèlt ). Sa fille Eroua avait épousé Midrar, fils d'Abou Mansour Eliça, lequel régna sur Sidjilmassa de 790 à 823, et soumit une grande partie du désert au Sud de sa capitale. Le grand-père d'Abou Mansour Eliça, nommé Safou, avait étudié la doctrine des Sofrites sous la direction d'Ikrima Mouley Abou le Abbas. Aussi tous les Miknaça étaient-ils Sofrites et plus zélés que les Beni Ifren. C'est un descendant de Midrar, le gendre d'Abd er Rahman, qui fit incarcérer dans Sidjilmassa le Medhi Obeid Allah et son fils, Abou el Kacem. Violemment attaqués ensuite par les Fatemides et ruinés par la guerre civile, les Miknaça subirent de graves pertes, mais la dynastie de Safou subsista. Ils abandonnèrent la doctrine des Sofrites vers l'an 940, et passèrent sous la domination des Omméïades en 975.

(1) On a pu remarquer plus haut que les électeurs d'Abd er Rahman ben Rousten s'étaient décidés en sa faveur, surtout parce qu'il n'avait pas de clan. Les clans et les partis africains sont assez connus pour qu'il soit inutile d'insister sur cette raison. On sait, par exemple, qu'aujourd'hui même, dans l'Atlas marocain, si un homine a promis sa protection (Mezrag, lance) à un étranger, quel qu'il soit, la tribu entière du protecteur doit défendre et venger ce protégé. Les Kabyles du Djerdjera avaient les mêmes mœurs avant notre occupation. Ils disaient seulement Anaya au lieu de dire Mesrag. Dans mille autre cas nous voyons encore des exemples frappants de la solidarité qui unit les individus d'une même fraction. Les causes de cette solidarité sont nombreuses, mais elles sont plutôt une conséquence de la vie semi-barbare qu'un signe de race. L'auteur de la Chronique mozabite laisse ici percer la vérité sous le glorieux tableau qu'il nous trace des mœurs de ses coreligionnaires. Les Ibadites, aussi bien que tous les autres Berbères, ont été

rent à aller le trouver, et Messaoud el Andalouci les devança dans la prestation de serment. Yezid ben Fendin et ses amis tinrent un conciliabule et déclarèrent qu'ils ne prêteraient serment que si Abd el Ouahab acceptait comme condition de ne gouverner qu'avec une assemblée régulière. Mais Messaoud dit : « Nous ne savons ce que signifie cette Charte dans la constitution de l'imamat; la seule Charte de l'imam est qu'il nous commande avec le livre d'Allah, la Sounna du Prophète et les exemples des Saints qui l'ont précédé. » Yezid ben Fendin et ses compagnons cessèrent de parler de Charte quand ils se virent ainsi repoussés par les Musulmans. En conséquence, Messaoud alla, en tête des Ibadites, saluer imam Abd el Ouahab (qu'Allah l'agrée), puis tous le saluèrent après lui. On l'installa dans la maison de commandement. Aucun de ceux qui l'avait élu ne se sépara de lui ni ne se révolta contre ses commandements et

victimes de leurs partis (Çof, Çefouf), et il est fort probable que même l'expulsion des Imans de Tahèrt fut décidée par une guerre civile. Aussi ne serons-nous pas surpris de trouver, plus tard, dans les Kanoun des Ibadites, de l'Oued-M'zab, des prescriptions rigoureuses à l'endroit de la formation et de la coalition des partis. Je lis dans une des Conventions que j'ai rapportées de Guerrara: Il est interdit à tout homme du Çof R'arbi, qui habite le quartier Chergui, et à tout homme du Çof Chergui, qui habite le quartier R'arbi, de changer de demeure pour aller grossir leurs Cefouf. Quiconque contrevient à cette loi est puni d'une amende de vingt-cinq réaux, et revient à son habitation première. Si plusieurs fractions se réunissent dans une maison privée, soit dans le village, soit dans les jardins, le maître de la maison est déclaré responsable: il est banni pour deux ans et paye vingt-cinq réaux ; chacun des hommes présents à la réunion donne vingt-cinq réaux, mais n'encourt pas de bannissement. » Et, dans une Convention de Melika : « Quiconque crie Vive qui ou quoi que ce soit est puni d'une amende. »

ses décisions, jusqu'à l'insurrection de Yezid ben Fendin et de ses compagnons.

PREMIER SCHISME PARMI LES IBADITES.

Il est une secte qui s'est attribué (1) le nom d'Ibadites,

(1) Je traduis en français le mot arabe « Homria» par Homrites, de même que nous traduisons « Ibadia » par Ibadites. On lit dans le Kitab el Ouadah, que les Mozabites m'ont communiqué à Djelfa, à l'article des noms et des jugements: « La majorité des Musulmans professe que les noms suivent les jugements. Aïssa ben Homeir et Ahmed ben el Heucin ne l'admettent point, et soutiennent que les gens du livre ne sont point associants, bien que tout ce qui est permis ou défendu au sujet des associants soit permis ou défendu à leur sujet » Pour comprendre ce passage malheureusement trop court; il faut savoir que les Ibadites nous appellent Mouchrikin, associants, et soutiennent que nous associons deux Dieux au Dieu unique. C'est ainsi qu'ils entendent le mystère de la Sainte Trinité. Ils nous distinguent par là des Unitaires ou Mahometans, dont la formule est: La Ilah illa Allah, ou Mohammed Raçoul Allah. » Dans d'autres cas ils nous appellent gens du livre, à cause de l'Evangile, et nous partageons cet honneur, avec les Juifs. Ils joignent ensemble ces deux dénominations, et enseignent que nous sommes des Polythéistes.

Cette doctrine est longuement développée dans l'Abrégé du cheik Amhammed Atfièch qui nous reproche de confesser que Notre Seigneur Jésus est Fils de Dieu. Telle n'était point l'opinion des Homrites Ils admettaient cependant par une surprenante contradiction, que nous devons être traités comme des Polythéistes, c'est-à-dire être contraints à payer la capitation, sinon pillés, massacrés et dépouillés sur les champs de bataille, ce qui n'est pas permis entre Unitaires. Quant à la formule les noms suivent les jugements », elle exigerait une explication qui ne trouve pas sa place ici. Je me contenterai de marquer que ces Homrites avaient sans doute adopté quelques idées particulières moins étroites que celles des Ibadites, de même que les Ibadites différaient des Sofrites, qui ne faisaient aucune concession à la nature humaine. C. f. Préface.

et se nomme en réalité Homrites. Depuis longtemps nos doctrines étaient différentes des leurs, et ils ont souvent tenté de se faire passer pour Ibadites. Ils ont voulu raltacher leurs croyances à celles d'Abd Allah ben Messaoud (qu'Allah l'agrée); mais ils suivent celle d'Aïssa ben Homeïr. Nous exposerons leur doctrine, s'il plaît à Allah, et nous ferons justice de leurs prétentions, en montrant combien elles diffèrent de la vérité. Ensuite nous raconlerons les schismes des Ibadites, l'un après l'autre, et nous indiquerons en quoi chaque fraction diffère des maitres de la vérité. Nous composerons sur ce sujet un livre spécial dans lequel nous réunirons tous leurs dires, s'il plait à Allah.

CAUSE DU PREMIER SCHISME (4) PARMI LES IBADITES.

Suivant le rapport de plusieurs de nos Compagnons, Abd el Ouahab, en prenant possession du gouvernement, rechercha les gens de bien, donna les emplois à des personnages savants et religieux, et ne s'entoura que d'hommes dépourvus d'ambition, les préférant à tous les autres.

(1) Schisme » est l'Arabe lftiraq. Les Ouahbites Ibadites, se considérant comme en possession de la religion véritable de l'Envoyé d'Allah, admettent des schismes, c'est-à-dire des scissions dont les auteurs sont des révoltés non encore déchus du titre d'Unitaires. Le schisme, en effet, ne s'en prend point au dogme comme l'hérésie. On verra dans la suite de ces schismes des causes de séparation bien futiles ou bien grossières; mais, tout a son importance en matière religieuse. Le dernier mérite bien plus le nom d'hérésie que celui de schisme, car il est destructif du dogme contenu dans la Sounna: cependant, il est dit iftiraq comme les autres. Peut-être le cheikh chroniqueur, Abou Zakaria ben Abi Bekri n'a pas cru nécessaire de raffiner sur ce point.

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