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Chronique des anciens Vénérables (1) et Saints des Compagnons de l'OEuvre dans laquelle les belles actions de leur vie, l'excellence de leur secte et la noblesse de leur conduite seront transmises à la postérité. Nous n'y avons consigné que les faits faciles à recueillir, et nous espérons qu'on en tirera profit, après avoir craint que cet ouvrage ne fût mis de côté et complétement oublié. Mais Allah est le seul que nous sollicitions, le seul dont nous recherchions les faveurs; c'est de lui que nous attendons notre récompense, si nous parvenons à notre fin. Que sa grâce soit sur nous. Il nous donnera notre compte; car il est le plus libéral des dispensateurs.

Premièrement nous exposerons l'origine de la secte des lbâdites dans le Maghreb; nous dirons comment elle commença et qui l'apporta de l'Orient; nous révélerons les cinq hommes qui portèrent la science vers l'Ouest, et nous ferons l'histoire de l'Imâmat depuis le commencement jusqu'à la fin. Nous exposerons ensuite ce que nous avons appris des Vénérables et des Compagnons (2), dans leurs rapports avec les Imams Boirs (3), et comment ils s'élevèrent contre eux, siècle par siècle. Ensuite, nous mentionnerons les dires des gens de l'OEuvre, leur conduite et leurs actions les plus célèbres, de père en fils,

(1) Je traduis ici lâm (mchèkh, pluriel de cheikh) par Vénérables, pour bien marquer le sens que ce mot cheikh garde dans tout ce récit purement religieux.

(2) Compagnons, compagnons de l'Euvre, gens de 1Œuvre » sont des termes les plus fréquents par lesquels se désignent les Ibadites. Il en est encore plusieurs autres. On trouve aussi dans ce récit le mot Doctrine (Moudheb ⚫) alternant avec le mot Œuvre (Da'oua

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(3) Les Imams noirs sont les Abbassides, ainsi dėsignės à cause de la couleur de leur drapeau.

sans rien omettre; et plaise à Allah que ce livre satisfasse le chercheur et réveille l'ignorant; car cette Chronique est utile aux Croyants.

Les faits qui suivent ont été rapportés par plusieurs de nos Compagnons, et par l'imam, d'après son père 'Abd el Ouahab, qui les tenait de son père Abd er Rahman ben Roustem. L'auteur qui rapporte ces dires s'appuie sans cesse sur l'autorité de l'imam, et s'exprime ainsi : « L'imam nous a appris; nous l'avons entendu dire (1). »

Le premier qui apporta ces idées particulières, c'est-àdire la doctrine des Ibâdites (et nous étions alors à Kirouân d'Afrique), est Selma ben Sa'ïd, qui faisait de la propagande pour les Ibâdites; 'Ikrima Mouley ben 'Abbas faisait dans le même temps de la propagande pour les Cofrites (2). Il dit: « J'ai entendu Selma dire un jour: « Je voudrais que la secte des Ibâdites fût puissante dans le Maghreb, ne fût-ce qu'un jour du matin au soir, quand il m'en coûterait la tête. » C'est alors qu'Abd er

(1) Ce passage nous montre que l'auteur de la présente Chronique n'a fait que résumer ou amplifier un ouvrage antérieur dont le premier auteur était l'imam ibâdite Abd el Ouahab.

(2) Ibn Khaldoun (Hist. des Berb., trad. de Slane, t. 1) : « Les Çofrites étaient, pour la plupart, sectateurs d'un certain Ziad Ibn Asfer. On distinguait parmi eux des Cofrites nekkariens (récusants). Ils jouèrent surtout un grand rôle dans le Maghreb el Aksa, et même furent les premiers à se révolter ouvertement contre les gouverneurs arabes. En 739, un certain Meceira, des Matghara, à la tête d'une bande de Çofrites, tua Omar Ibn Abd Allah el Moradi, gouverneur de Tanger, et fit reconnaître pour chef religieux et politique de la secte, un dévot personnage, Abd el Ala Ibn Hodeidj, d'une famille chrétienne récemment convertie à l'islamisme. Plus tard, dans presque toutes les luttes qu'ils soutinrent contre les Aglabites, nous voyons les Ibâdites unis aux Cofrites, notamment quand tous les hérétiques ensemble (kharedjites) assiègent Omar Ibn Hafs, dans Tobna, en 151.»

Rahman ben Roustem embrassa la doctrine des Compagnons avec une extrême ardeur. Un des Compagnons lui dit: Si tu désires cette œuvre dans laquelle tu t'engages et à laquelle tu veux t'astreindre, va à Boçra. Là est un savant surnommé Abou 'Obeïda, mais dont le nom est Mouslim ben Abi Krima et Tamimi. Certes, tu trouveras chez lui ce que tu demandes. » On rapporte aussi que c'est la mère d'Abd er Rahman qui lui tint ce langage. En conséquence, 'Abd er Rahman ben Roustem se rendit près d'Abou 'Obeïda (qu'Allah lui fasse miséricorde) et il ya sur ce sujet une tradition que j'exposerai plus tard, s'il plait à Allab, quand le moment sera venu de parler des mortels qui ont demandé la science à Abou 'Obeïda.

SIGNES D'ÉLECTION DES PERSANS PARMI LES GENTILS (4).

Nous avons vu dans le livre des Signes de la Naissance du Prophète de Ibn Qotiba, citant le livre de l'Avertissement et de l'Humilité de Abou 'Otsman 'Amrou ben Nedjir el Djahèt, que le château de Kesra trembla, et qu'il en tomba quatorze grilles la nuit de la naissance du Prophète (que sur lui soit le salut). Kesra fut grandement troublé et résolut de cacher cet évène

Le mot Fedail فضايل البرس من الحجم Le texte porte (1)

Jas signifie proprement actions nobles, glorieuses. » Je le traduis par signes d'élection, qui me semble convenir au sens religieux de tout ce passage Le mot est proprement notre mot a gentils, » et les Arabes musulmans s'en servirent pour désigner d'abord les Persans, les Berbers et autres peuples qui entrèrent dans l'islam. L'auteur de notre Chronique expose d'abord les signes d'élection des Persans, pour honorer la famille des Rostemides qui fournit ses imams à la secte des Ibâdites.

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ment à ses vizirs; mais il ne put contenir son secret dans son cœur le matin, il revêtit ses vêtements de soie, ceignit sa couronne, et manda ses vizirs et les principaux de l'Etat. Quand ils furent réunis, Kesra parla et leur dit : « Renseignez-moi sur l'objet de cette convocation. >> Ils répondirent : « Si nous pouvons quelque chose, nous en ferons part au roi quand nous connaitrons son désir. » Alors il leur raconta l'incident du château. Or, il y avait parmi ses vizirs un homme nommé El Moubidan. Il prit la parole: « Qu'Allah, dit-il, dirige le roi dans la bonne voie! Moi aussi j'ai eu un songe qui m'a troublė. » << Moubidan, dis ton rêve,» répondit le roi. Il dit · « J'ai vu des chameaux difficiles qui entraînaient des chevaux arabes jusqu'à ce qu'ils se dispersassent dans le Tigre et la région environnante.» « Et que signifie cela, Moubidan? » Il dit : « Je ne sais, sinon qu'un grand événement aura lieu dans l'Ouest (dans le Maghreb). » Comme ils conversaient ainsi, un cavalier accourut et annonça que le feu de la Perse s'était éteint: or, il ne s'était pas éteint depuis mille ans. Kesra en fut encore plus troublé que de l'incident du château et du rêve de Moubidan. Ils en étaient là quand un homme vint leur annoncer que le lac de Saoua était rentré sous terre, et que l'eau de Samaoua avait pareillement disparu. La terreur de Kesra redoubla; il consulta ses vizirs et ses amis; quelques-uns lui dirent qu'il y avait de savants devins dans l'Ouest, et que, s'il l'ordonnait à son vice-roi Nôman ben Moundir, ce dernier lui enverrait le plus savant d'entre eux. Le roi fit dire à Nôman (1): « Envoie-moi le plus savant de ton

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(1) Cette tradition se trouve aussi bien rapportée dans la Vie de Mohammed, d'Abou l'Feda; mais notre chroniqueur l'avait tirée directement d'Ibn Qotiba.

pays. » Nôman lui envoya Abd el Mesih ben Omar ben Hian ben Tekhelba el Kheussani. Il était âgé de plus de trois cents ans, et il vécut jusqu'au moment où les Arabes devinrent incrédules après la mission du Prophète (1). Khaled ben el Oualid, quand il sortit du Yemen, le rencontra dans le pays de Hira, et on cite à ce propos une anecdote qu'il n'est pas temps de raconter. Il professait la religion chrétienne. Quand il fut devant Kesra, le roi lui dit : « Dis-moi pourquoi je t'ai fait venir. » Abd el Mesih dit : « Si le roi m'en instruit, je lui rendrai réponse; sinon je m'adresserai à un de mes cousins qui est dans le Mechref de Syrie, près du Hidjâz de la terre de Mouta, dans laquelle est mort pour la foi Djafar ben Abi Talib, qu'Allah lui fasse miséricorde. Par la puissance du Prophète, il satisfera aux demandes du roi sans les connaître, et dépassera même le désir du roi. » Le roi lui fit part de l'incident du château, du rêve de Moubidan et de tout ce qui lui était arrivé. Abd el Mesih dit : « Je ne puis satisfaire au désir du roi ; cependant, attendez-moi ; j'irai en Syrie, et je reviendrai avec l'explication. » Abd el Mesih se dirigea, en effet, vers la Syrie. Il pensa périr de soif en route; mais il parvint au terme de son voyage. Quand il fut en présence de Setih, il se prosterna devant lui; mais Setih ne lui rendit pas réponse et ne leva pas la tête. Après avoir attendu, Abd el Mesih lui récita les vers suivants :

Est-il sourd ou entend-il, l'honneur du Yemen ;

ge?

Ou bien sa vue affaiblie est-elle couverte d'un nua

(1) Voyez plus loin, aux Signes d'Election des Berbers, la conversation de Mohamed et de l'ange Gabriel.

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