Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

étaient à l'armée d'Abou el Khottâb. Ils se hâtèrent d'avertir leur maître dès que les Berbers se furent dispersés, et ce dernier revint vivement sur ses pas, étape par étape. Abou el Khottâb ne l'apprit que lorsque l'armée du Khalife était déjà aux environs de Trablès, où luiinême se trouvait. Il dit alors à ses compagnons : « Voici les ennemis qui pénètrent dans mon foyer. Il m'est impossible de demeurer; il faut que je les écarte de mes sujets (de mon troupeau). Ne vous avais-je pas dit que les Arabes sont perfides, rusės, trompeurs ? » Il envoya de tous côtés des messages à ses gouverneurs dans les villes voisines pour les presser de prendre les armes et de rassembler leurs troupes, surtout à Abd er Rahman ben Roustem, qui gouvernait Kirouân. Ensuite il ordonna à ses compagnons de sortir. Quelques-uns d'entreeux lui conseillèrent d'attendre les renforts de ses gouverneurs et de ses sujets; mais il refusa disant : « Je ne puis rester ici pendant qu'ils envahissent mon foyer, je dois défendre mes sujets contre ce désastre, ou aller à Dieu. » Il sortit ensuite avec ceux de ses compagnons qui se trouvaient présents et les Nefousa, les Houara, les Souicha, qui habitaient près de la ville, puis ils marchérent tous ensemble contre Mohammed ben El Achât el Khozaï. Ils le rencontrèrent à Taourgha, à huit jonrs de marche de Trables, comme il est dit; mais Allah sait la vérité.

MORT D'ABOU EL KHOTTAB ET DE SES COMPAGNONS
(qu'Allah leur fasse miséricorde).

Plusieurs de nos compagnons ont rapporté qu'Abou el Khottab, quand il apprit qu'Ibn el Achât s'approchait de lui, sortit avec ce qu'il avait de Nefousa, de Houara, de

Souicha, et se mit en marche (1). Il trouva Ibn el Achât; mais ce dernier l'avait devancé à la rivière, et avait établi son camp au bord de l'eau. Or, Ibn el Achât dit à ses compagnons : « Si Abou el Khottåb et ses gens campent, se reposent, et abreuvent leurs chevaux, vous ne pourrez rien contre eux; dans le cas contraire, vous avez bon espoir de les vaincre. » Le combat s'engagea immédiatement en un lieu nommé Taourgha, et situé, dit-on, à quatre jours de marche de Trablės; mais Allah le sait mieux qu'aucun homme. Quand Abou el Khottâb les atteignit, toute son armée désirait vivement les joindre et combattre vaillamment dans la voie d'Allah. Elle était fortement excitée. Abou el Khottâb avait peu de monde; l'armée d'Ibn el Achât était nombreuse. On en vint aux mains, et des deux côtés les lignes d'hommes tombaient comme des pans de murs. Abou el Khottâb ne cessa de combattre, malgré le petit nombre des musulmans qui l'entouraient, jusqu'à ce qu'il fut tué pour la gloire d'Allah. Quatre mille hommes, suivant certains rapports, douze mille suivant d'autres, périrent avec lui; bien peu de ses soldats parvinrent à s'enfuir; ses sujets, en apprenant sa mort, se retirèrent dans la montagne, et se retranchèrent dans les lieux fortifiés et dans de hantes Guelâa (2).

(1) A la nouvelle des atrocités commises par les Ourfadjouma, et de la prise de Cairouan, siége du gouvernement, le Khalife Abou Djafer el Mansour fit partir une armée pour le pays, sous les ordres de Mohammed Ibn el Achath el Khozaï, auquel il donna la commission de faire la guerre aux Kharedjites. Arrivé à Sort près de Trablès, en 144 (761). Ibn el Achath défit l'armée berbère, et en tua le général, Abou el Khottab. » Ibn Khaldoun, t. I. p. 220 et 242.

(2) Une guelâa est une forteresse naturelle quelque peu amé

On rapporte qu'Abd er Rahman ben Roustem, ayant reçu nouvelle de la mort d'Abou el Khottåb et de ses compagnons, hâta sa marche. La nouvelle lui fut confirmée comme il arrivait dans la ville de Gabès; alors ses soldats se dispersèrent, et lui-même partit en cachette pour la ville de Kirouân. Quand 'Abd er Rahman ben Habib apprit que Abou el Khottâb et les musulmans qui le suivaient avaient été tués et que ses soldats étaient dispersés, il chercha à rencontrer 'Abd er Rahman bẹn Roustem dans la ville de Kirouân; mais il ne put le trouver d'aucune façon. Cependant il ne cessait de demander de ses nouvelles et de faire suivre ses traces, dans l'espoir de l'atteindre. Or un homme de la ville, ami d'Abd er Rahman ben Roustem, alla trouver 'Abder Rahman ben Habib et intercéda près de lui. Il lui dit : « O Emir, j'ai à t'adresser une prière. » Ibn Habib répondit : « Je t'accorde tout ce que tu désires, excepté 'Abd er Rahman ben Roustem.»-« C'est pour lui que je venais. »> El Habib abandonna la poursuite d'Abd er Rahman.

On rapporte qu'Abd er Rahman ben Roustem avait eu un mot sévère à l'endroit d'Abd er Rahman ben Habib. Un jour, comme on songeait à investir Ben Habîb de quelque charge, Ben Roustem dit : « O musulmans, gardezvous de donner cette charge à Ben Habib, car cet homme est le démon sous les traits d'un homme. » Ben Habib en avait conçu de la haine, et c'est pourquoi, après la dispersion des troupes d'Abou el Khottah et d'Abd er Rahman ben Roustem, il s'était mis à la recherche de ce

nagée. La Mestaoua qui servit de refuge aux Chawia du Bellezma révoltés en 1871, le Djaafa qui fut assiégé par le général byzantin Salomon, la Guelâa des Aoulad Bou Ghâlem, en Tunisie, en sont des exemples mémorables.

dernier, jusqu'au jour où l'homme de Kirouân le décida au pardon.

'Abd er Rahman ben Roustem sortit de Kirouân avec son fils 'Abd el Ouahâb et un de leurs esclaves. Ils allaient vers le Maghreb, craignant sans cesse d'être découverts, et ils n'avaient qu'un cheval. Ce cheval mourut sur la route; ils l'enterrèrent, craignant qu'on ne connût leurs traces, et que les poursuivants ne redoublassent d'efforts pour les atteindre, après avoir constaté que leur cheval était mort. Ce lieu se nomma dès lors « le tombeau du cheval. » Or, 'Abd er Rahman déjà vieux s'affaiblissait, et son esclave et son fils le portaient tour à tour. Un jour que l'esclave portait 'Abd er Rahman, Abd el Ouahâb lui dit : « Si les ennemis viennent, ne le dépose pas à terre, tant que leur nombre ne dépassera pas cinq cents ou à peu près. » L'esclave se fatiguait. 'Abd el Ouahâb porta son père. Alors l'esclave lui dit les mêmes paroles. Ils arrivèrent enfin près de Souf ed Djadj (on nomme ainsi une montagne presqu'inaccessible); 'Abd el Ouahâb se dirigea de ce côté, s'y établit, et s'y fortifia.

Abou er Rebi'â Soulîmân ben Ieklef rapporte, d'après un autre témoignage, que soixante-dix Mchèkh des Ibàdia, arrivés de Trablės, vinrent rejoindre 'Abd er Rahman ben Roustem à Souf ed Djadj. A ces nouvelles, Ibn el Achât réunit des troupes, et se hâta de chercher à l'atteindre dans ce lieu. Il y arriva, et bloqua 'Abd er Rahman ben Roustem et ses compagnons. Il recommanda la plus grande surveillance pour qu'Abd er Rahman et les musulmans qu'il commandait ne s'échappassent point pendant la nuit; mais, par la longueur du siége, ses troupes tombérent malades de la petite vérole, et diminuérent rapidement. Il fallut se retirer. 'Abd el Achât dit alors:

« Ces gens-lå sont dans la montagne fortifiée qu'on appelle Souf ed Djadj (1) » signifiant qu'on ne pouvait pénétrer en ce lieu que par la force. Quelques-uns lui conseillèrent de bloquer les assiégés; d'autres de s'éloigner. Il prit ce dernier parti, et regagna la ville de Kirouân, désespérant de pénétrer dans la retraite imprenable d'Abd er Rahman ben Roustem.

LIEUTENANCE D'ABOU HATEM (qu'Allah l'agrée).

Plusieurs de nos compagnons ont rapporté que Abou Hatem Yagoub ben Lebid el Mezouzi gouverna la ville de Trablès au mois de Redjeb de l'an 140; il y demeura quatre ans ; et son gouvernement était un gouvernement fort (2). Il n'avait en vue que la justice; il envoyait toutes les aumônes qu'il pouvait recueillir à 'Abd er Rahman ben

(1) Personne n'a pu m'expliquer ce jeu de mots évidemment berbère; car souf est un mot berbère qui signifie rivière, et djaj un autre mot berbère, pluriel de djij, piquet. Souf ed Djad pourrait être traduit par la rivière des piquets. Je connais dans l'Aouras un lieu assez difficile qui se nomme Guer ed Djadj, le champ des piquets. Ce mot djadj pourrait-i! être détourné de son sens premier par analogie, et signifier « invincible,»« dur à arracher, »> << inexpugnable ? »>

(2) Ibn Khaldoun nous donne de précieux détails historiques concernant Abou Hatem Yagoub ben Habib, ou Lebid. « En l'an 151, sous l'administration d'Omar Ibn Hafs Hezarmed, les Berbers se révoltèrent à Trablės et prirent pour chef Abou Hatem Yacoub, fils de Habib et petit-fils de Midyen Ibn Itouweft. Il était un des émirs de la tribu de Maghila et s'appelait aussi Abou Kadem. Ils prirent Trablès, assiégèrent Cairouan. Pendant ce temps, treize corps d'armée berbers pressaient Omar Ibn Hafs dans Tobna; là étaient Abou Korra, à la tête de quarante mille Sofrites, Abd er Rahman ben Roustem, avec un corps de six mille Ibâdites, el Miçour Ibn Hani, avec dix mille des mêmes sectaires, Djerir Ibn Maçoub avec ses partisans de la tribu de Mediouna, et Abd el Melek Ibn Sekerdid es Soukadji, avec une

« PrécédentContinuer »