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tu pas quelle division profonde nous sépare d'eux depuis la journée de la Maison, la journée du Chameau et la journée de Çiffin? Les Beni Ommia sont la famille maudite dont il est parlé dans le Koran ». Ces paroles plurent à Abou Tamim; il sourit et son visage se rasséréna; mais il me présenta, dit Abou Nouh, la lettre que j'avais écrite aux Beni Ommia, et me dit : « C'est bien toi qui as écrit cette lettre ». Je jurai, et voici quel fut mon serment : « Non, je n'ai pas écrit cette lettre de ma main ». (Ou bien: « Certes, j'ai écrit cette lettre de main »). Une discussion s'éleva entre eux sur le sens de mon serment; quelques-uns dirent: « Mais il a juré précisément qu'il avait écrit la lettre » ; les autres répondirent: « C'est un Berber; il n'y a pas fait attention; il ne connaît pas ces subtilités », (1) Abou Tamim dit : « Ce que nous en sa

nous menace de sa gueule », et donna aussitôt l'ordre de rebrousser chemin. Le fait est qu'il n'avança pas plus loin. (Hist. des Berb, t. II, p. 12). Quand Abou Nouh répond å Abou Tamim que les Ouahbites ne sauraient s'allier avec les Omméïades, il joue sur les mots, comme dans toutes ses autres réponses. Il rappelle les premiers démêlés de ses frères avec les Omméïades de Syrie, et principalement avec Otsmam, le troisième Khalife. La journée de la Maison fait allusion au siège de la maison d'Otsman par les partisans trop zélés d'Ali, ou mieux, comme le Chroniqueur Ibâdite l'avoue lui-même, par les Ibadites de la première heure. La journée du Chameau est le combat que Talha, Zobeïr et Aïcha portée sur un chameau, livrèrent à Ali, pour venger la mort d'Otsmâm. Ali se défendait de ce crime; mais les meurtriers d'Otsmân, futurs soit Ouahbites soit Kharidjites, étaient encore dans les rangs de son armée. La journée de Çiffin est la grande et longue bataille qui eut lieu entre Ali et Moaoufa. C'est à la suite de cette bataille que les Ouahbites se séparèrent d'Ali, comme nous l'avons dit. (Voy. Introduction.)

(1) Le Cheikh Abou Nouh joue, dans son serment sur la particule qui peut, suivant la position qu'on lui donne, être af

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vons est que tu as dû changer ton écriture ». Il ajouta : << Si tu m'avais pris le jour de Bâghâï, m'aurais-tu remis à un autre que toi ?» « Certes, non, répondit Abou Nouh, je ne t'aurais pas remis à un autre ». « Voilà, certes, la meilleure parole que tu aies encore dite », répliqua Abou Tamim, et il conclut qu'Abou Nouh avait été véridique dans toute sa défense précédente. Il lui dit encore << Vois les entraves que tu portes aux pieds, tu y es entré pour une certaine raison, et tu n'en sortiras pas sans raison ». Abou Nouh répondit : « Plaise à Allah qu'il m'ait infligé cette épreuve pour me purifier de mes péchés ! » Abou Tamim s'irrita de cette réponse, il s'écria « Alors, nous autres, nous sommes des pervers ! Plaise à Allah qu'il te laisse ces fers aux pieds, comme punition, pendant toute cette vie et pendant toute la vie future ». Quand je le vis irrité, dit Abou Nouh, je lui dis: « Il n'y a dans cette parole aucun reproche dirigé contre notre maître ; j'ai voulu seulement dire qu'Allah (que sa gloire soit exaltée), soumet à son gré le Croyant à diverses épreuves et le récompense de sa patience; mais je n'ai fait aucune allusion à notre maître ». Abou Tamim parut se calmer. Alors, Bologguin (Bolokhtinud) ben Zirî ben Menâd ben Menkous es Sanhâdji intercéda et pria Abou Tamîm de débarrasser Abou Nouh de ses entraves et de lui pardonner. Il y consentit. On fit sortir Abou Nouh; il fut ordonné qu'on lui enlevât ses haillons et ses fers, et qu'on le revêtit de vêtements propres. Quand cela fut fait, Abou Nouh ne voulut pas que les gens chargés de ce soin emportassent à leur gré ce dont

firmative ou négative. Il lui donne la place de l'affirmation, en ayant l'air de faire un serment, négatif. Cet exemple est digne d'être médité.

on l'avait couvert, disant : « Ces objets appartiennent à notre maître, et tout ce qui lui appartient est bon à garder ». Ce propos fut rapporté à Abou Tamim. « Dès lors, dit Abou Nouh, Abou Tamim fut plein d'égards envers moi, et me fit venir plusieurs fois près de lui. Un jour qu'il m'avait mandé, j'entrai, je saluai, je me tins en sa présence, il m'interrogea sur Abou Khezer, et me dit : << Où est ton ami Ighla ? » « Je ne sais pas », lui répondis-je. Il répliqua : « Si nous le savions, nous l'aurions bientôt fait venir ici, avec notre argent. Tu crains pour lui, sans doute ? » Je répondis: « Si le Sultan accordait le pardon aux Ibâdites dans les pays où ils se trouvent, je ne craindrais rien pour lui; mais je dois craindre, dans le cas contraire ». Il comprit que je lui donnais un bon conseil, et il envoya des messagers qui proclamèrent de tous côtés qu'il pardonnait aux Ouahbites, sans exception. Abou er Rebi'a Souliman ben Ikhlef a rapporté, d'après Abou Yagoub (l'agoub, i) You-· sef ben Nefâts, qu'à partir de ce moment, les gens de l'OEuvre furent à l'abri de toute persécution.

Ibrâhîm ben Abi Ibrâhîm a rapporté qu'Abou Nouh (qu'Allah l'agrée) vint une fois rendre visite à Abou Tamim, et que ce dernier ordonna à son trésorier d'emplir la manche du cheikh de pièces d'argent. « J'entrai dans le trésor, dit Abou Nouh, avec le trésorier; j'élargis ma manche le plus possible, et il se mit à y verser les pièces d'argent; mais la manche ne se remplissait pas. Il me dit : « Elle n'est pas encore pleine ?» «Non » lui répondis-je. Il continua jusqu'à ce qu'elle ne pût plus rien contenir. » Abou Nouh sortit, et le trésorier vint rendre compte à Abou Tamim de l'exécution de ses ordres. Aussitôt Abou Tamim ordonna qu'un homme

sortit du palais, et, se tenant près de la porte, regardât quel usage Abou Nouh allait faire de ses richesses. Quand Abou Nouh fut en dehors du palais, une foule de gens l'entoura il introduisit sa main dans sa manche, et la remplit de pièces d'argent qu'il se mit à distribuer à droite et à gauche, et il ne cessa de donner ainsi son bien que quand il lui resta à peine une poignée de pièces. Le serviteur d'Abou Tamîm revint vers son maître, et lui dit : « Certes, le cheikh est fou; il n'a fait que puiser dans sa manche et disperser l'argent que vous lui aviez donné. » Abou Tamim répondit : « Peu importe. Abou Nouh est un prince parmi les dévots. » Abou Tamim aimait à réunir des savants de différentes sectes et à les faire discuter en sa présence. A la fin de la controverse, il se prononçait en faveur de l'un ou de l'autre. Abou Nouh se distinguait entre tous par sa science et son éloquence dans ces luttes théologiques: sa dialectique le rendait particulièrement redoutable, et c'est en faisant allusion à ses succès qu'Abou Tamim avait dit de lui : « Abou Sa'id (4) est un robuste lutteur. »>

FAITS CONCERNANT A'BD ALLAH MOHAMMED BEN BEKER (qu'Allah l'agrée), ET CONSTITUTION DE SA HALQA.

Il s'instruisit près du Cheikh Abou Nouh Sa'id ben Zengbil (qu'Allah l'agrée), et près d'Abou Zakaria ben Mesour (qu'Allah l'agrée). Un jour, Abou Nouh Sa'id ben Zenghil, le considérant parmi ses élèves, dit : « Si je ne me trompe, ce jeune homme sera celui qui revifiera la

(1) Dans tout ce récit, le même Cheikh est appelé indifféremment Abou Nouh et Abou Sa'id.

religion. Quand il eut atteint près d'Abou Nouh le degré de science qu'Allah lui permit d'atteindre, et que le Cheikh fut mort (qu'Allah lui fasse miséricorde), il alla à Kirouân se perfectionner dans la connaissance de la grammaire et de la langue arabes, puis, quand il en fut revenu, il constitua sa halqa. Sur la constitution de cette halqa, nous devons les renseignements suivants à Abou er Rebi'a Souliman ben Ikhlef (qu'Allah l'agrée), lequel les tenait lui-même de Abou lahia Zakaria ben Abi Zakaria (qu'Allah l'agrée): Abou Zakaria Fecîl envoya son fils Zakaria et son neveu Iounès Abou Zakaria ben Iahia, et quelques autres jeunes gens, vers le Cheikh Abou Abd Allah Mohammed ben Beker (qu'Allah l'agrée), en leur disant : « Allez à la recherche de cet homme; dès que vous l'aurez rencontré, demeurez près de lui, et mettez-vous à son service même pour les choses de la vie présente. Ils sortirent de Djerba pour aller à sa recherche et ils arrivèrent dans le Djebel Temoulset (+3): tous les habitants de cette montagne, autrefois Ibâdites purs, s'étaient corrompus et étaient devenus schismatiques, à l'exception de laçin (a), oncle d'Abou er Rebi'a Soulimân ben Ikhlef (qu'Allah l'agrée). Abou Soulimån ben Ikhlef, d'après Zakaria ben Abi Zakaria (qu'Allah les agrée), a dit : « Les gens de Temoulset s'étaient corrompus, et il n'y avait là d'Ibâdites purs que ton oncle, les femmes et les enfants. Nous nous hâtâmes de nous en éloigner, et nous nous retirâmes à Amdouâ, . Ton oncle apprit que nous étions venus, et vint nous trouver à Amdouâ. Il nous pria de revenir à Temoulset, mais nous refusâmes; il insista; mais nous persistâmes à refuser, et nous donnâmes pour excuse que nous étions pressés d'aller trouver le Cheikh 'Abd Allah;

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