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aime, nous l'aimons, et celui qu'il déteste, nous le détestons. » Abou Tamim (1) réunit ses familiers et examina

(1) Cette révolte générale des Ibâdites du pays de Castilia, de Ouargla, de l'Ouâd Righ, et probablement de l'Aourâs, contre un personnage puissant que la chronique désigne par les noms de caïd, sultan, maître, et nous décrit comme revêtu de tous les attributs de la royauté; en outre, le siège de Bâghai, la déroute d'Abou Khezer, la captivité d'Abou Nouh et sa rẻconciliation avec le sultan, enfin le pardon accordé aux révoltés constituent tout un chapitre d'histoire inédit. Nous pensons qu'Ibn Khaldoun a fait allusion à ces faits dans son Histoire des Fatimites; mais les quelques lignes qu'il y consacre, suivant nous, sont incertaines aussi bien qu'insuffisantes.

D'abord, quel est bien ce personnage, sultan ou lieutenant d'un sultan, que le chroniqueur ibâdite appelle Abou Tamim Iezîd ben Makhled? Il réside à Kirouân, il a pour conseiller Bologguin fils de Zîri, fils de Menâd le Sanhadjien. Il nous semble que ce pourrait être le prince Fatimite El Mo'ezz, qui succéda à El Mansour en 953 de l'ère chrétienne, conquit l'Egypte par les armes de son lieutenant Djouher, et alla s'établir au Caire en 972. On peut soutenir aussi qu'il ne s'agit ici que d'un de ses lieutenants. Du moins, la mention de Bologguin dans ce passage de la chronique comme ami ou conseiller ordinaire, nous prouve que la révolte des cheikhs Abou Khezer et Abou Nouh eut lieu pendant le règne d'El Mo'ezz. Pouvonsnous lui assigner une date précise? Ibn Khaldoun nous apprend que El Mo'ezz, après avoir pacifié l'Aourâs dès le commencement de son règne « avait établi son autorité sur toute la région qui s'étend depuis Ifgan, ville située à trois journées de marche au-delà de Téhért, jusqu'à Er Ramada, endroit situé en deçà de la frontière égyptienne. Tehèrt et Ifgan avaient pour gouverneur Yala Ibn Mohammed l'Ifrénide; Achir et ses dépendances obéissaient à Ziri Ibn Menad le Sanhadjien; El Mecîla et les contrées voisines étaient sous le commandement de Djafar Ibn Ali el Andeloci; Baghaïa reconnaissait l'autorité de Caïcer l'esclavon; Fez celle d'Ahmed Ibn Bekr Ibn Abi Sehl el Djodami, et Sidjilmessa celle de Mohammed Ibn Ouaçoul le miknacien.» Plus tard, nous voyons Caïcer et Modaffer se partager toute l'autorité en Maghreb, « le premier ayant sous la main les provinces orientales de ce pays, et le second les provinces occidentales; mais en l'an 960, ils furent arrêtés et mis

la lettre que j'avais écrite aux Beni Ommia contre lui; il rappela à son conseil que j'avais été l'écrivain du cheikh Abou Khezer et son confident intime. En conséquence, il

à mort par l'ordre de leur souverain. » Enfin, en l'an 358 (960 de notre ère), ‹ Abou Djâfer le Zénatien leva, en Ifrîkîa, l'étendard de la révolte, et rassembla autour de lui une foule de Berbers et de Nekkarites. El Mo'ezz marcha en personne contre le rebelle qui, se voyant abandonné par ses troupes, chercha une retraite dans les montagnes. Le prince fatemide, qui venait d'arriver à Baghaïa, reprit alors le chemin de sa capitale, après avoir expédié Bologguin fils de Ziri à la poursuite du fuyard. Pendant quelques mois, on n'entendit plus parler de cet aventurier; mais, l'année suivante, il se présenta devant El Mo'ezz, et obtint sa grâce ainsi qu'une pension pour son entretien. » (Hist. des Berb., trad. de Slane, t. II, p. 542, sq.)

Je pense que, dans ce dernier texte d'Ibn Khaldoun, il faut lire Abou Khezer au lieu de Abou Djafer. Les confusions de ce genre sont fréquentes dans l'Histoire des Berbères, et celle-ci s'explique sans peine si l'on admet que la lettre ¿ ait pu être mal pointée, et que le ; ait pu être pris par le copiste pour un oriental (). Si cette correction est admise, le court récit d'Ibn Khaldoun est une allusion claire à tout ce que nous apprend le Chroniqueur Ibâdite. Par conséquent, la révolte d'Abou Khezer et d'Abou Nouh eut lieu en l'an 968 de l'ère chrétienne. Ibn Khaldoun affirme qu'El Mo'ezz marcha en personne contre les rebelles, mais qu'il les trouva dispersés au moment où il arriva à Bâghâï. Cette affirmation s'accorde parfaitement avec la Chronique d'Abou Zakaria. Il en faudrait conclure que le personnage nommé Abou Tamim Iezîd ben Makheld est bien El Mo'ezz lui-même. Nous remarquons aussi qu'Ibn Khaldoun attribue aux Noukkar (Nekkarites) le principal rôle dans la révolte, assertion qui tombe devant les déclarations si précises de notre Chroniqueur qui nous présente Abou Khezer et Abou Nouh comme des Ibadites purs; mais il est probable que toutes les sectes des Ouahbites, déjà mêlées comme nous l'avons vu à Touzer, à Ouargla, dans l'Ouâd Righ, prirent une part active au mouvement, et peut-être leurs dissentiments religieux ne contribuèrent pas peu à leur déroute.

Toute cette argumentation repose, comme on peut le voir, sur la mention faite par le Chroniqueur Ibâdite de Bollogguin

désirait que mon écriture ordinaire fùt comparée à celle de la lettre écrite aux Beni Ommîa. Un Juif se présenta et dit : « Je me fais fort d'obtenir cette comparaison. »> En effet, dit Abou Nouh, comme j'étais entre leurs mains, je vis venir un Juif portant une feuille de papier, un encrier et une plume, qui me dit : « Écris à notre maître ; demande-lui qu'il soit clément envers toi et te permette de produire tes excuses. Certes, la clémence de notre maître est grande. » Il posa près de moi la feuille de papier, s'assit un instant, puis sortit. Je pris ensuite la feuille et la plume, et j'écrivis : « Au nom d'Allah clėment et miséricordieux. » Cependant, quand j'eus écrit cette ligne en haut de la page, je me rappelai tout à coup, par la faveur d'Allah, la lettre que j'avais écrite aux Beni Ommia, et je craignis que mon écriture ne fût comparée à celle de cette lettre. Aussitôt, je pris des ciseaux, je coupai l'entête que je venais de tracer, et je fis tous mes efforts pour changer complètement mon écriture. Le Juif revint peu après, et je lui remis la lettre, qu'il emporta avec lui, croyant avoir parfaitement réussi. Il la

ben Ziri dans le conseil du « Sultan » de Kirouân. Bollogguin mourut en 984 de l'ère chrétienne, et ce fut lui qui constitua dans le Maghreb central l'empire des Sanhadja de la première race. Son père Ziri s'était mis au service des Fatimites et les avait énergiquement secourus quand ils avaient failli succomber sous les coups des Noukkar. Il avait fondé Achir dans le pays de Tîteri. Il reçut aussi le commandement de la ville et de la province de Tahèrt. Bologguin est le fondateur d'Alger, de Miliana et de Médéa. « Il devint successivement gouverneur d'Achir, de Téhert, d'El-Meçîla, du Zab; enfin, quand le Khalife fatimite El Mo'ezz partit pour le Caire, il lui confia l'administration de tout le Maghreb et de l'Ifrikia. » (Hist. des Berb., t. II, p. 9, sq.) Cette dynastie sanhadjienne zîride est celle qui provoqua la seconde invasion arabe, si funeste à toute l'Afrique septentrionale.

remit à Abou Tamim. Ce dernier se hâta de réunir un grand nombre d'écrivains et de copistes et les chargea de comparer les deux écritures. Leur avis fut que je ne pouvais être l'auteur de la lettre aux Beni Ommia. Cependant un d'entre eux, plus expert et plus habile écrivain que les autres, dit : « C'est un seul et même homme qui a écrit ces deux lettres; seulement, il a changé son écriture. Mais on lui répondit : « S'il en était ainsi, nous aurions trouvé deux lettres semblables dans les deux écritures; il n'a pas pu changer toutes les lettres sans exception. Un écrivain peut modifier sa façon d'écrire dans une ou deux lignes, mais il ne saurait le faire dans toute la page. »

Alors Abou Tamim fit venir Abou Nouh, et ce dernier fut amené portant toujours ses entraves, revêtu de ses guenilles et de sa large ceinture. Quand il se présenta devant Abou Tamim, ce dernier était assis dans une salle circulaire tendue de rouge, sur un lit de parade dont les pieds étaient d'ivoire teint de rouge; ses vêtements étaient rouges, et il portait une calotte rouge sur sa tête. Tout autour de la pièce se tenaient des gardes, la lance à la main. «< Quand je considérai tout cela, dit Abou Nouh, le monde entier m'apparut rouge, et je regardai ma perte comme certaine. J'entrai et je saluai. Abou Tamim demeura quelque temps la tête penchée, puis il leva les yeux sur moi, et me dit : « Abou Sa'id, c'est bien toi qui as écrit contre nous aux Beni Ommia ». Je répondis :

Seigneur, si tu me permets de fournir mes preuves et de me disculper, j'essaierai de te prouver le contraire ; si tu ne me le permets pas, je me soumettrai, car tu es notre maître, et notre maître fait ce qu'il désire »>. - « Je te le permets, dit Abou Tamîm; fournis tes preu

ves et disculpe-toi à ton gré ». Abou Nouh était doué d'une éloquence facile et d'un esprit subtil. Il répondit : « Comment aurais-je écrit au Beni Ommia ? (1) Ne sais

(1) Abou Nouh avait écrit aux Omméïades d'Espagne. Ennemis ardents des Fatimites et des Sanhadjiens, ces Omméïades d'Espagne avaient confondu leurs haines et leurs ambitions avec celles des Maghraoua, et, comme ces derniers étaient d'origine Zenatienne, ils avaient, par leur intermédiaire, noué des relations jusque dans Ouargla, l'Ouád Righ, le pays de Castilia, remplis de Zenata Ouahbites. Qui voulait faire la guerre aux Fatimites invoquait le secours de ces Beni Ommîa. Ibn Khaldoun nous apprend que « les Maghraoua avaient noué une alliance étroite avec El Hakem el Mostancer, souverain Omméfade de l'Espagne, quand ils en vinrent aux mains avec Ziri ben Menâd le Sanhadjien. Ils firent même proclamer l'autorité d'El Hakem dans le Maghreb central. Soutenus par les troupes espagnoles, les Maghraoua livrèrent aux Sanhadjiens une bataille sanglante; ils furent vaincus, et la tête de leur chef, Mohammed Ibn el Kheir, fut envoyée au Khalife fatemite El M'oezz; mais la revanche ne se fit-pas attendre. La souveraineté d'El Hakem fut proclamée de nouveau chez les Maghraoua, et dans la nouvelle bataille qui en résulta, Zîri fut tué à son tour. Sa tête fut portée à Cordoue par une députation d'Emirs Maghraouiens qui avaient pour mission de renouveler à El Hakem el Mostancer le serment de fidélité. (971 de l'ère chrétienne). » Pendant le gouvernement de Bologguin, fils de Ziri, nous sentons la main des Omméïades d'Espagne dans tous les mouvements des Zenata. Le gouvernement Omméïade avait des fonctionnaires à Fez et à Sidjilmâssa. Bologguin s'étant emparé de ces places, « le vizir espagnol El Mansour Ibn Abi Amer, auquel les Maghraoua envoyèrent demander secours, partit sur le champ à la tête d'une armée, et vint prendre position à Algesiras. Avec lui, arrivèrent tous les princes et chefs Zenatiens qui s'étaient rendus à la cour de Cordoue pour faire acte de dévouement au sultan. El Mansour leur donna pour chef Djâfer, ancien seigneur de Mecîla et les fit passer le détroit. Ils dressèrent leurs tentes sous les murs de Ceuta, et y attendirent l'ennemi. Bologguin s'approcha d'eux avec l'intention de les attaquer; mais lorsqu'il vit de loin la place de Ceuta où des convois de troupes arrivaient sans cesse des ports espagnols, il s'écria: « Voilà un aspic qui

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