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signification des deux drapeaux. Il partit immédiatement pour Kirouân et se présenta devant Abou Tamin. Ce dernier lui demanda ce qu'il désirait. Abou el Qâsim le pria de pardonner aux gens d'El Hâma, et il obtint leur pardon. Abou Tamim lui remit le drapeau blanc. Aussitôt Abou el Qasim revint en toute hâte de peur que les soldats ne l'eussent devancé à El Hâma; mais il fut assez heureux pour les rejoindre comme ils arrivaient devant le village. Quand les soldats virent le drapeau blanc, ils s'arrêtèrent et ne firent aucun mal à El Hâma. Abou el Qasim jouissait d'une grande considération près d'Abou Tamim. Cet Abou Tamim est le Qâïd Iezid ben Makhled, et les Arabes n'en ont jamais produit de semblable. Il a dit d'Abou Khezer: «< <«<< Ighla est un homme savant et pieux; » il a dit aussi d'Abou Nouh Sa'ïd ben Zengbil : « C'est un robuste lutteur. >>

Un jour Abou el Qasim entra chez Abou Tamîm et lui demanda qu'il lui fit voir dou el fiqâr, le sabre de l'Envoyé d'Allah (que le salut soit sur lui). Abou Tamim le lui montra; Abou el Qâsim le prit dans ses mains et se mit à le brandir avec tant de vigueur qu'Abou Tamim en fut effrayé. Quand Abou el Qâsim eut rendu le sabre aux vizirs, il lui dit : « Je ne suis tranquille que depuis que tu es désarmé. »

On rapporte qu'Abou el Qâsim, conversant un jour avec un juif sur le compte d'Abou Tamîm, lui dit : « Le temps est proche où nous en finirons avec lui et où nous l'expulserons de Kirouân, s'il plaît à Allah. » A peine eut-il prononcé ces paroles que le juif se hâta d'aller les rapporter à Abou Tamîm. Les Mchèkh eurent nouvelle de tout cela; ils allèrent trouver Abou el Qasim, blâmèrent sa conduite et lui dirent : « Nous te regardons comme déses

péré, puisque tu ne sais pas mieux retenir ta langue et garder ton secret ». Abou el Qâsim et les autres Mchekh sortirent de la ville au commencement du printemps, et se retirèrent dans un campement de Mezâta. Les Mezata étaient alors très-puissants: ils comptaient douze mille cavaliers, et leurs fantassins étaient innombrables. Cependant les ennemis d'Abou el Qâsim le noircissaient auprès d'Abou Tamim (qu'Allah le maudisse), disant qu'il nourrissait des projets séditieux et se mettrait bientôt à la tête d'une révolte. En conséquence, Abou Tamim fit parvenir au Gouverneur d'El Hâma l'ordre de tuer Abou el Qasim et de lui envoyer sa tête. Le Gouverneur différa d'exécuter cet ordre, car il vénérait et aimait grandement Abou el Qasim; il se contenta de dire à ce dernier qu'il eût à partir pour le pélerinage. Abou el Qâsim répondit: « J'ai déjà fait le pélerinage. » - Vous autres Ouahbites, répliqua le Gouverneur, vous aimez à le renouveler, et vous en accroissez vos mérites. »« Allah n'ordonne pas cela, » dit Abou el Qasim. Cependant Abou Tamim s'impatientait de la lenteur de son Gouverneur ; il lui envoya une seconde lettre, avec l'ordre exprès de mettre à mort Abou el Qasim. Le Gouverneur lui prescrivit alors de sortir d'El-Hâma et de se retirer à Ouârdjlan. Abou el Qasim répondit : « Je ne veux pas sortir de ce monde-ci pour aller dans l'autre », désignant par «< ce monde-ci» le pays de Castilia (Qastàlia) et par « l'autre » Ouârdjlân. Abou Tamim, impatienté de ne pas voir ses ordres exécutés, envoya une troisième lettre au Gouverneur dans laquelle il lui disait : « Ou la tête d'Abou el Qâsim, ou la tienne. » Le Gouverneur se vit contraint par l'extrême insistance d'Abou Tamim, et comprit qu'il était perdu s'il n'obéissait pas. Il envoya donc chercher Abou

el Qâsim. Ce dernier monta sur sa mule et se rendit près de lui. Quand il fut en sa présence, le Gouverneur lui mit d'abord sous les yeux la première lettre d'Abou Tamîm; puis la seconde ; puis la troisième, et lui dit : « Je ne peux rien te dire, sinon que j'aurais voulu faire tout pour toi, excepté te sacrifier ma vie. » Abou el Qasim, en entendant ces paroles, sentit bien qu'il lui fallait mourir. Il demanda la permission de prier deux reka'at; le Gouverneur y consentit, et, quand il eut terminé sa prière, il vit l'appartement rempli d'hommes armés. Ces derniers se précipitérent sur lui pour le saisir. A ce spectacle, le Gouverneur, pris de compassion pour son ancien ami, et ne pouvant en supporter davantage, monta dans une salle à manger située au-dessus, et en referma la porte sur lui. Cependant, Abou el Qàsim ayant dégaîné un poignard (1) qu'il portait attaché au bras, ripostait avec vigueur et faisait reculer les assaillants. Le Gouverneur entrouvrit la porte de la salle et se réjouit de ce succès; mais il se hâta de disparaitre une seconde fois, quand il vit la troupe se reformer et assaillir de nouveau Abou el Qasim. Cette manoeuvre se renouvela plusieurs fois, jusqu'à ce qu'Abou el Qâsim pérît accablé par le nombre, martyr regretté (qu'Allah lui fasse miséricorde). Quand ils l'eurent tué, ils arrêtèrent Abou Mohammed Ouislân (mg) et le jetèrent en prison; il leur dit : « Où est

(1) Le poignard que le cheikh Abou et Qasim portait au bras est encore aujourd'hui une des armes favorites des Touareg (Cf. Duveyrier, Touareg du Nord). Nous avons déjà fait plusieurs remarques analogues. Nous pouvons ajouter que, d'après la Chronique, les Etudiants africains du moyen-âge ne se séparaient guère de leurs lances, tout comme les Touareg. Il est done facile d'imaginer, d'après ces textes, l'armement et le costume de nos Berbers du dixième siècle.

mon ami? Est-il à El Medrådj ou à 'Aris? (ball &

Ces deux endroits étaient deux repaires de ? او د عريس

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brigands et de coupeurs de route. Abou Mohammed était un cheikh éminent, fort exercé dans la récitation du Koran, et doué d'une voix très forte. Quand il fut enfermé dans la prison, i se mit à réciter le Koran; mais les autres prisonniers se plaignirent de lui, disant qu'il les empêchait de dormir. On le fit sortir. Quand il fut dehors, quelques-uns lui demandèrent comment il trouvait la prison; il répondit : « Elle est excellente pour les exercices à haute voix. >>

AFFAIRE DE BAGHAÏ; EN QUOI ELLE CONSISTA, ET COMMENT

ELLE SE TERMINA.

Plusieurs de nos compagnons ont rapporté que la nouvelle de la mort d'Abou el Qâsim produisit chez les Gens de l'OEuvre un effet extraordinaire; ils ne purent se contenir, et résolurent à l'instant d'en demander vengeance et d'exiger le prix du sang. Le Cheik Abou Khezer et les autres Mchèkh qui se trouvaient près de lui affirmèrent hautement qu'il fallait se soulever pour venger Abou el Qasim, et secouer le joug des Imams Noirs ; cependant, il ne voulurent rien entreprendre avant qu'on eût consulté et attendu les autres Ibâdites. Ils envoyėrent donc Abou Nouh Sa'id ben Zenghil dans la Tripolitaine, et ce dernier se rendit d'abord dans le Djebel Nefousa. Le Cheikh auquel les Nefousa remettaient la direction de leurs affaires était alors Abou 'Abd Allah ben Abi 'Amrou ben Abi Mançour Eliâs el Nefousi. Abou Nouh les réunit en assemblée et leur demanda leur avis. Ils lui répondirent: « Nous sommes faibles en ce mo

ment, et nous ne nous sommes pas encore relevés de la défaite de Månoua. Cependant, mettez-vous en campagne, et nous vous aiderons de tout notre pouvoir. » Abou Nouh alla ensuite à Djerba, et y consulta pareillement les Ibâdites. Tous témoignèrent d'un vif désir de venger la mort d'Abou el Qasim, excepté Abou Çalih el labrâsni. Il voulut s'y opposer, et dit à Abou Nouh : « Gardez-vous de fournir un prétexte aux dissidents; il . se réuniraient contre vous, et vous êtes les moins nombreux. >> Cela ne changea rien aux dispositions de la foule. Abou Nouh revint auprès d'Abou Khezer et des autres Mchèkh, et leur rendit compte de sa mission en Tripolitaine. Ils décidèrent alors qu'ils écriraient une lettre aux Beni Ommia pour leur faire part de leurs griefs contre Abou Tamîm, et ils chargèrent Abou Nouh de l'écrire, ce qu'il fit. La lettre fut adressée aux Beni Ommia; mais elle fut prise en route et remise à Abou Tamim. Ce dernier la lut, la comprit, et en conçut une colère d'autant plus violente contre les Ibâdites. Abou Mohammed Ouîslân était de ceux qui désapprouvaient le soulèvement et la guerre contre Abou Tamim. Il dit à ce propos : « Vous ne pourrez rien contre lui avec les Mezâta; » et un jour, comme il voyait Abou Nouh multiplier les conciliabules pour organiser la révolte, il lui dit : « Abou Noub, nous savons bien où tu en viendras avec toutes tes menées. »

Cependant Abou Tamim était au courant de tous ces préparatifs dirigés contre lui. Il leur envoya dire: « Retournez dans les pays soumis à votre domination spirituelle depuis Tahèrt, et demeurez-y dans l'état où y sont demeurés vos prédécessenrs; de notre côté, nous ne changerons rien à nos anciennes dispositions envers

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