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était ainsi opprimée, qu'elle demandait secours aux Musulmans, et qu'elle ne trouvait personne qui la déiivrât, il répondit : « Je suis à vous, ô ma sœur, » puis il donna ses ordres, pour que la guerre fût proclamée.

Un de nos compagnons a rapporté qu'une femme de Kirouân (1) avait été lésée par les Ourfadjouma. Elle cria de Kirouân: « O Abou el Khottåb, viens à mon secours. >> Allah prolongea sa voix, et Abou el Khottâb l'entendit de la ville de Trablés. Il lui répondit : « Je suis à vous, ô ma sœur, » et aussitôt il donna ordre de proclamer la guerre.

Les soldats se réunirent dans une partie de la ville jusqu'à ce que l'armée, qui était nombreuse, fût complètement formée. Ensuite Abou el Khottåb sortit avec les soldats qu'il avait rassemblés. Abd er Rahman ben Roustem l'accompagnait. L'année était mauvaise. Le pays était ravagé par la sécheresse, la famine et la misère. Mais Allah les secourut en leur envoyant des sauterelles qui s'arrêtaient et se remettaient en marche avec eux.

Lorsqu'il se mit en marche, Abou el Khottâb (qu'Allah l'agrée) fit publier la proclamation suivante: «< 0 gens, celui qui a deux parents âgés, ou un seul des deux âgé, peut retourner chez lui; celui qui vient de se marier peut retourner; celui qui a des plantations jeunes peut retourner. Celui de vous qui voudra retourner chez lui s'en ira pendant la nuit. » Quand l'ombre eut couvert le sol, un bon nombre de soldats quittèrent l'armée. Le lendemain, Abou el Khottâb fit couvrir son arrière-garde par de la cavalerie et constata que des hommes s'échappaient encore. Il fit donc proclamer par le héraut que

(1) Il serait plus exact d'écrire Qîroân; on écrit d'ordinaire Cairouan. J'adopte provisoirement cette transcription intermé diaire Kirouân.

ceux qui voudraient se retirer pouvaient le faire, mais seulement pendant la nuit. En effet, quand l'ombre se fut faite, une autre troupe de soldats disparut. Le matin, Abou el Khottâb fit battre le pays derrière son armée, afin de savoir si les désertions continuaient. Elles continuaient en effet. Le béraut eut ordre de proclamer que, cette troisième nuit encore, qui le voudrait pourrait rentrer chez lui. Les derniers déserteurs disparurent, et il ne resta plus que ceux qui voulaient réellement la guerre sainte. Le nombre s'en élevait à six mille. Abou el Khottâb les fit entourer d'un cordon de cavaliers comme les fois précédentes, pour voir si quelqu'un déserterait ; mais personne ne s'éloigna plus. Il dit alors : « Je promets le Paradis (1) à quiconque mourra dans cette guerre, excepté à ceux qui sont coupables d'une de ces trois choses premièrement, de meurtre non justifié; secondement, de concubinage; troisièmement, d'acquisition par la violence. Cependant, ils peuvent se faire pardonner (sortir de leurs fautes), celui qui vit en concubinage, en se séparant de sa maitresse, en déclarant devant témoins qu'elle n'est pas sa femme, et en revenant à Allah; celui qui détient le bien d'autrui acquis par la violence, en se séparant de ce bien et déclarant devant témoins qu'il ne

(1) Abou el Khottab, en faisant cette promesse, se conduit comme un véritable remplaçant, khalife élu du Prophète. On cite cette parole de Mahomet: « Allons, cavaliers d'Allah, à cheval; le paradis est devant nous. »

ياخيل الله اركبي وابشرى بالجنة

Et cette autre bien connue : « Le paradis est à l'ombre des

sabres. »

El Mesa'oudi ajoute que Mahomet a reçu de Dieu même l'autorisation de promettre en son nom le paradis aux Croyants. (Prairies d'Or, t. IV, chap. 72.)

lui est plus rien ; celui qui a commis un meurtre illicite, en se présentant de sa personne aux parents du mort, et, s'il ne les trouve, pas, en perdant la vie dans la voie d'Allah. » Un homme se présenta et dit : « Émir des Croyants, j'ai commis tous ces crimes ensemble. » L'Imâm lui ordonna de cesser le concubinage, de s'affranchir du bien mal acquis, de se présenter aux parents de l'homme qu'il avait tué, et, s'il ne les trouvait pas, de perdre la vie dans la voie d'Allah (1).

On rapporte que Abou el Khottab (qu'Allah lui fasse miséricorde), passa dans la ville de Gabès, et en pressa les habitants jusqu'à ce qu'ils fussent réduits. Ils firent leur soumission, et il leur donna un gouverneur. Quaud il fut devant Kirouân, il poussa le siége avec la dernière vigueur, comme il plut à Allah. Un jour 'Acim es Sedrati tomba gravement malade; c'était un des plus vaillants soldats de l'armée; il avait apporté la doctrine, lui cin

(1) Ce n'est pas ici le lieu de commenter ce passage qui nous montre, dans un exemple éclatant, l'application des principes fondamentaux du droit ibâdite. Je me contente d'en signaler l'importance. Les Ibâdites actuels (Beni Mezâb) ont des mœurs très pures. On peut en faire honneur à la race berbère, car les Berbers sont monogames pour la plupart, et certainement moins dépravés que les Arabes. Cependant Abou el Khottab n'était point Berber, et il ne parle ici qu'en tant que chef religieux. On verra plus loin, lors de la discussion des pouvoirs de l'Imâm Abd el Ouahâb, que la surveillance des mœurs est une de ses premières attributions. Le libertin doit être flagellé, et l'adultère, homme ou femme, puni de mort. Le bien mal acquis est haram, et la détention de ce bien met le pécheur dans la situation d'un révolté. Un tel crime est encore aujourd'hui regardé par les Beni Mezâb comme un cas rédhibitoire du mariage. Enfin, en ce qui concerne le meurtre, on voit ici que les Tolba du Mezâb n'admettent point l'amende, bien qu'elle soit admise dans les « Kanoun » laïques; mais cette discussion nous entrafnerait trop loin.

quième, et il était un des adversaires les plus redoutables des gens de Kirouân. Ces derniers apprirent qu'il était malade, et aussi qu'il désirait des concombres. Ils envoyèrent dans le camp un marchand de concombres, après avoir empoisonné un de ces fruits, et ordonné de ne le vendre qu'à 'Acim es Sedrati. Le marchand partit avec ses concombres et arriva dans le camp; on acheta le concombre empoisonné pour 'Acim, on le lui donna, il le mangea; le poison agit rapidement sur lui, et il mourut. Le marchand s'était enfui. Ainsi périt 'Acim es Sedrati (1) (qu'Allah lui fasse miséricorde). Alors les gens de la ville dirent : « Où est-il votre 'Acim es Sedrati ? Le poison l'a tué. Il est mort votre 'Acim, ô Berbers. »> Cette perfidie des gens de Kirouân et la mort de 'Acim furent une nouvelle terrible pour Abou el Khôttab. Il dit à ses compagnons : « Certes, ils ont été perfides envers nous, et nous ont trompés; mais nous leur rendrons ruse pour ruse. » Il ordonna donc aux soldats de prendre leurs armes et d'abandonner leurs tentes, puis de sortir pendant la nuit et de marcher comme des gens qui battent en retraite. Le matin, le camp d'Abou el Khottab se trouva vide. Les gens de Kirouân virent que ces gens étaient partis pendant la nuit, et dirent : « les Berbers battent en retraite. » Ils se mirent à les poursuivre à l'instant. Abou el Khôttab continua de marcher avec son armée jusqu'à l'Ouâd de la banlieue de Reggada, et fit cacher les hommes et chevaux dans un pli de terrain.

(1) Cet 'Acim, un des cinq qui portèrent la doctrine d'Abd Allah ben Ibâd dans le Maghreb, appartenait à la tribu berbère des Sedrata. Cette tribu possédait un établissement considérable dans une partie de l'oasis actuelle de Ouargla (Ouardjlan), nommée en berber Isedraten.

Les gens du Kirouân les cherchèrent, mais quand ils les atteignirent, ils les trouvèrent prêts au combat. Abou el Kho:tab et les siens firent volte face, les culbutèrent et les poussèrent vivement en leur tuant du monde, jusqu'à ce qu'ils entrassent dans la ville avec eux. C'est ainsi qu'Abou el Khottab s'empara de Kirouân, et cet événement eut lieu en l'an 144. Il nomma Abd er Rahman ben Roustem gouverneur de la ville (1).

Pendant le siége, Abou el Khottâb avait défendu à ses compagnons de détruire les moissons des habitants. On rapporte qu'un jour un des anciens de Kirouân envoya son fils jeter un coup d'œil sur son champ qui était près du camp d'Abou el Khottâb (qu'Allah l'agrée). Il lui dit : << Pars, mon fils; va voir s'il reste encore quelque chose de notre moisson. » Le jeune homme sortit et alla voir le champ il le trouva en bon état; on n'y avait pas touché. Il revint vers son père, rapportant ce qu'il avait vu, et le peuple de Kirouân s'étonna de la justice d'Abou el Khottab, de l'excellence de sa conduite, et de l'obéissance de ses compagnons aux ordres équitables (2) qu'il leur don

(1) Abou el Khottâb s'empara de Cairouan après avoir tué Ibn Abi Djâd, et massacré une foule d'Ourfadjouma et de Nifzaoua. Quelque temps après, Abd er Rahman ben Roustem devint gouverneur de Cairouan. » Ibn Khaldoun, t. 1, p. 220, (2) Le texte porte:

بيما يامرهم به من الاف

« Quand il leur donnait des ordres conformes à la justice. » Le sentiment du droit, i, est encore aujourd'hui très vif dans l'Ouad Mezâb, et est même un des traits particuliers de la race berbère. Un Kabyle, un Chawi, feront plusieurs jours de marche pour soutenir la plus mince réclamation, s'ils la croient légitime. D'ailleurs, le sens de ce mot haq est très large. On l'emploie souvent pour désigner la vérité religieuse, et il s'oppose à bâtel, qui signifie aussi bien erreur que injustice,

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