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EL HIDJANI SORT DU PAYS DES KETAMA ET SE DIRIGE

VERS SIDJILMASSA.

Au moment où cette lettre dans laquelle son maître lui donnait un ordre si précis parvint à El Hidjâni, ce dernier était parvenu au comble de la puissance chez les Ketama. Il avait commencé par faire preuve de connaissances profondes en astrologie, et s'était rendu si agréable à tous que tous s'empressaient de lui obéir. Il avait eu bientôt près de lui environ quatre cents jeunes gens des Ketama, qui suivaient ses leçons. Or, un jour, il les réunit et leur dit : « Je ne suis pas venu pour être votre précepteur, mais pour être votre roi. » Ils accédérent à son désir et le servirent comme des sujets. Quand l'ordre lui vint de se rendre à Sidjilmâssa, il leur dit qu'il avait trouvé dans sa science qu'il vaincrait l'émir de Sidjilmâssa et s'emparerait de son Etat. C'est ainsi qu'il entraina l'armée des Ketama.

On raconte que Doucer, fille de Yousef ben Mohammed ben Felah ben 'Abd el Ouahâb (qu'Allah les agrée), après que son père ent été victime de la ruse des fils de loqtân, sortit accompagnée d'un de ses frères et alla trouver ElHidjâni. Elle lui raconta la mort de son père, et lui remontra le triste rang auquel elle était réduite; mais El Hidjâni refusa d'abord de prendre parti. Elle insista; elle alla jusqu'à lui promettre de l'épouser s'il se chargeait de sa vengeance. El Hidjâni consentit, et se détourna de son chemin vers Tahèrt. Dès qu'il fut près de la ville, il vit venir au-devant de lui les principaux de tous les dissidents qui s'y trouvaient, Malekites, Ouacilites, Chiites, Çofrites. Cette députation se plaignit du gouvernement des Persans et promit de l'aider à combattre les Ros

temides. Ils n'avaient rien de plus cher que d'abaisser leur puissance. El Hidjâni députa vers loqtân et ses fils, les invitant à venir le trouver. Ils n'en firent point difficulté, et sortirent au-devant de lui. Ils se rencontrèrent à un mille environ de Tahèrt. Quand ils furent en sa présence, El Hidjâni demanda à Ioqtân comment il se nommait. Il répondit : « Ioqtàn. » El Hidjani répliqua : a Non, tu te nommes plutôt Hirân. Quoi ! vous avez tué votre émir, vous avez secoué le joug de la royauté, vous avez éteint la lumière de l'Islam, et vous venez à nous de vous-mêmes sans avoir livré de bataille ni soutenu de siége! » Il ordonna qu'ils fussent tous mis à mort sans exception. Cependant Doucer, dès qu'elle fut certaine de leur mort, s'éloigna et s'enfuit par crainte d'épouser El Hidjâni. Ce dernier la fit chercher sans cesse; mais il ne put la retrouver. Il entra dans la ville, la ruina de fond en comble, la dépouilla de sa gloire. Ce fut pour elle le jour suprême, et ses habitants devinrent ensuite aussi misérables qu'ils avaient été glorieux (1).

(1) Nous avons déjà pu remarquer plus haut avec quelle brièveté le Chroniqueur ibâdite rappelle les faits dont le récit porterait quelque préjudice à l'honneur de la secte. Il se conforme strictement en cela à un précepte dérivé du Koran, et formellement énoncé dans le Kitâb en Nil. Ce précepte, en vertu duquel le Fidèle doit s'abstenir de prêter à rire aux mécréants, nous explique la réserve de nos Mozabites. Cependant, en tenant compte justement de la brièveté du Chroniqueur, et en réunissant ces témoignages, que toute la puissance des Ibâdites purs était réduite au groupe des Nefousa vers la fin du neuvième siècle, que la ville de Tahèrt en était venue à contenir un grand nombre de Ouacilites, de Çofrites, de Chiites et de Malekites, et qu'un parti, probablement soutenu par ces dissidents, y faisait échec aux Rostemides, on voit que, depuis Felah ben 'Abd el Ouahâb, l'autorité de l'Imam diminua rapidement. Les successeurs de Felah composent des livres

El Hidjâni trouva dans Tahert un minaret rempli de livres. Il les fit transporter dehors, et en retira tous ceux qui traitaient de la science du gouvernement et

de théologie, pendant que les populations s'agitent autour d'eux, adoptant des doctrines subversives de leur autoritė. Tout semble se réduire à des disputes, et ce spectacle n'est pas sans analogie avec celui que nous offrent les villes actuelles de l'Ouâd Mezâb. Je puis renvoyer, concernant les Cofrites, les Ouacilites et les Chiites, à l'Introduction et aux notes précédentes. Quant aux Malekites, on sait que leur doctrine est une des quatre regardées comme orthodoxes; mais je dois dire que cette conception populaire en vertu de laquelle l'Islamisme pur est représenté par les quatre rites de Abou Hanifa, de Châfei, de Malek et de Hanbal, est loin d'être exacte. Ces quatre rites sont simplement aujourd'hui des rites officiels dans les pays mahometans qui reconnaissent la suprématie religieuse des sultans de Stamboul. Ils sont loin de suffire à expliquer tout le présent et surtout le passé du Mahométisme. On peut s'en convaincre en parcourant le livre de Chahrastani, qui étudie l'une après l'autre les soixante-treize sectes mahométanes. Les Ibadites actuels de l'Ouâd Mezâb admettent le même nombre de divergences principales, toutes dérivées des interprétations plus ou moins exactes de la parole d'Allah, et ils les rangent sous quatre chefs vingt-quatre sectes de Chiites, dix-sept de Mohakkam, vingt de Mordjites et douze de Mo'atazilites. Ils considèrent les Malekites comme des Mordjites, et eux-mêmes, les Ibâdites, comme des Mohakkam.

L'Imam Malek ben Anas, d'où les Malékites tirent leur nom, était né à Médine en 94 de l'hégire, et il y mourut en 179 (795), sous le Khalifat de Haroun en Rechid. Il était disciple des Tabi'aïn, et s'était rendu célèbre par sa connaissance profonde des lois. Il condensa les résultats de ses études et de ses réflexions, dans un ouvrage qu'il appela le Mouatta, ou l'aplani. D'autre part, les leçons qu'il fit pendant si longtemps sur la jurisprudence, furent recueillies par ses disciples, dont quelques-uns les commentèrent, ou construisirent sur ces bases des digestes spéciaux, qui furent les codes d'un grand nombre de tribunaux jusqu'au quatorzième siècle de notre ère, époque à laquelle Khelil, si connu dans tout le Maghreb et dans tout le Soudan musulman, sous la dénomination de Sidi Khelil, composa son précis de jurisprudence d'après le rite de l'imâm Ma

des mathématiques, puis il mit le feu dans le reste. On rapporte que Yagoub ben Felah était sorti de Tahert en apprenant l'arrivée d'El Hidjâni. Il se dirigea vers Ouar

lek (Perron, Aperçu préliminaire). Les doctrines de l'imâm Malek ne répugnaient pas moins aux Ibâdites que celles des Chiïtes ou des Mo'atazilites, et les Malekites avaient le désavantage de ne s'appuyer sur aucun groupe berber distinct. Cependant, nous les voyons ici pénétrer jusque dans la capitale de l'ibadisme, et ce fait mérite d'être remarqué. Il s'explique par cette considération que les Omméïades d'Espagne, les Idricites du Maroc, enfin les Aghlebites de Kirouân avaient adopté le rite malekite.

L'Espagne surtout était malekite Tandis que le Khalife 'Abbasside Haroun er Rechid imposait à tous ses tribunaux la doctrine orthodoxe d'Abou Hànifa, l'Omméïade El Hakem abandonnait le choix de tous les magistrats de son royaume au jurisconsulte malekite Iahia, et propageait activement la connaissance du Moudaouéna, recueil de jurisprudence du malekite Sehnoun. Deux des plus célèbres jurisconsultes du rite malekite enseignèrent à Cordoue, l'un Mohammed Ibn Abd el Aziz el Otbi, auteur de l'Otbîâ, l'autre Abou Merouân Abd el Melik Ibn Habib es Selemi, auteur de l'Ouâdiha. Il s'était établi des rapports assez fréquents, et peut-être même une alliance entre les Imâms de Tahèrt et les Omméïades d'Espagne, à cause de l'hostilité commune des Aghlebites.

Les Idricites de Fez, bien qu'ils fussent Zeïdites, c'est-à-dire ennemis mortels des Omméiades et des Abbassides au point de vue politique, n'avaient pas innové en matière de législation. Ils avaient apporté d'Orient les principes que nous qualifions d'orthodoxes, et le voisinage de l'Espagne n'avait pas peu contribué à les développer. Nous avons vu que leur hostilité à l'endroit des Ibadites de Tahert se réduit à peu de chose, et que bon nombre de nos Mozabites ne répugnent pas à se dire descendants d'Idris, bien au contraire.

Il est moins probable que l'introduction du rite malekite parmi les Ibâdites soit due au voisinage des Aghlebites, ennemis si cruels des Nefousa. Cependant les Aghlebites regardaient le Zab et le Bellezma comme leurs provinces, et sur cette limite incertaine les docteurs malekites devaient livrer aux ibâdites des batailles théologiques.

Les différences qui distinguent le rite malekite de l'ibâdisme

gla; mais nous lui consacrerons un long chapitre quand nous en parlerons en son lieu, s'il plait à Allah. Nous parlerons aussi de son fils Soulimân et de la scission dont il fut l'auteur. Quant à El Hidjâni, il continua de se diriger vers son maître 'Obeïd Allah. De son côté 'Obeïd Allah était sorti à sa rencontre avec tous ses soldats. Ils échangèrent des lettres, et quand ils ne furent plus séparés que par une très-courte distance, El Hidjâni écrivit à son maître : « Nous nous rencontrerons demain. » En effet, le lendemain les deux armées étaient en présence. El Hidjâni sortit des rangs, s'avança au-devant d'Obeïd Allah, mit pied à terre, le salua, et lui baisa les mains et les étriers. Les Ketama s'en indignèrent; mais El Hidjâni leur dit « Voici mon maître et mon Sultan qui est le vôtre. Il est de la postérité d'Ali ben Abi Tâlib et de Fatma, fille de l'Envoyé d'Allah (qu'Allah répande sur lui ses bénédictions.) » Il répondirent: « Nous ne reconnaissons pas d'autre Sultan que toi. » Il répéta : « Voici mon Sultan et mon maître. » Ils finirent par céder, et dociles aux ordres d'El Hidjâni, ils se confondirent avec les soldats d'Obeïd Allah.

'Obeïd Allah se hâta de composer une troupe avec les plus robustes, les plus braves, les mieux équipés et les mieux armés de ses soldats; il la plaça sous le comman

sont extrêmement nombreuses. Outre que les Ibâdites sont loin d'admettre, comme nous le savons, la série des Khalifes des Orthodoxes, ils leur reprochent d'enseigner que les Fidèles verront Dieu dans le Paradis, et que le Prophète intercédera en leur faveur. Ils leur reprochent aussi de se contenter d'un formalisme grossier, au lieu d'exiger du croyant, qu'il comprenne le sens de ses paroles et la valeur de ses actes. Cette comparaison nous entraînerait trop loin, et nous la réservons pour un ouvrage spécial.

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