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Quand Khelef ben Es Smah apprit que l'Imâm (qu'Allah l'agrée), avait investi Abou 'Obeida du commandement dans le Djebel Nefous, son orgueil en fut vivement irrité, et il envoya secrètement des pillards et des espions parmi

des Maghzen, qu'ils devaient de conserver l'Algérie malgrė leurs rapines, leur despotisme et la faiblesse numérique de leurs troupes. Nous avons cru plus sage de passer le rouleau sur ces finesses; ce procédé dispensait aussi bien d'une longue étude; mais je crains que la suppression des petits centres religieux n'ait centralisé à notre détriment les aspirations toujours hostiles des Indigènes, et alimenté singulièrement ces grandes confréries qui nous paraissent maintenant si redoutables. J'ai déjà signalé ce fait dans la Revue africaine (vingtdeuxième année, no 129). Par exemple, au commencement de ce siècle, trois grandes influences se partageaient les populations fixées ou nomades de la région comprise entre Batna et Négrin celles de Bou Kahil, de Sidi 'Abid et d'Abd el 'Afid; la première dans l'Aouras proprement dit, la seconde dans le Mehmel, la troisième à Khenga Sidi Nadji. Or, nous avons réduit à l'impôt les Oulad bou Kahil, qui sont maintenus confondus dans la foule; nous avons presque anéanti récemment les Oulad Sidi 'Abid : tous les regards des Indigènes sont tournés vers Khenga Sidi Nadji, au milieu de laquelle s'élève la coupole basse du fondateur de la secte des Khouans. Au point de vue historique, il est absolument impossible de rendre compte d'une agglomération d'indigènes, si l'on ignore les traditions et les légendes maraboutiques. Ces traditions joueront un rôle très important dans l'exposé que nous donnerons plus tard, s'il plaît à Dieu, des commencements et du développement des villes mozabites; mais je veux citer par avance et à titre d'exemple, ce qu'elles m'ont appris de la formation de Ghardaïa. Des groupes ibâdites venus de Ouargla ou d'Isedraten, d'autres venus de l'Ouest, s'étaient déjà mêlés aux Mo'atazilites convertis par Mohammed Sèh, dans la plaine de Tizzért, au-dessus de Bou Noura, quand un saint personnage, qui se disait chérif pour échapper aux persécutions des Arabes Malėkites, arriva du Sous et s'arrêta dans l'Ouad Mezâb, un peu au-dessus du mamelon qui porte aujourd'hui Ghardaïa. Il se nommait Mohammed ben Iahia. Il creusa dans le lit de la rivière un puits qui existe encore, et qui se nomme Elf ou Saa,

les gens de la Doctrine fidèles au nouveau lieutenant d'Abd el Quahâb. Abou 'Obeïda lui fit défense d'inquiéter ses sujets par des attaques imprévues. L'ensemble des Musulmans n'était point responsable de son mécontente

parce qu'il pouvait abreuver mille moutons à l'heure. Une légende veut qu'alors, dans le mamelon de la ville actuelle, une caverne fût habitée par une femme nommée Daïa, que le cheikh Mohammed ben Iahia aurait épousée; d'autres prétendent que le mot Ghar Daïa signifie, non pas la Caverne de Daïa, mais la Caverne des Corbeaux. Dieu seul le sait. Quand le cheikh Mohammed mourut, on lui bâtit un tombeau sur une colline voisine de son puits, et, comme on l'avait surnommé de son vivant Bab ou Djema'â, le Père de l'assemblée, cette colline est dite aujourd'hui Bougdema, par corruption. Quelques Ibadites s'étaient réunis autour de lui; un plus grand nombre se groupa autour de son fils Aïssa, et il en résulta la fraction devenue plus tard très considérable de nos Aoulâd Ammi Aïssa de Ghardaïa: cependant, les seuls qui soient reconnus comme leurs véritables descendants sont les Aoulâd ben Shaba, les Aoulad Ahmed ou Bou 'Azîz, et les Aoulåd el Hadj Mess'aoud. Peu de temps après, un autre dévot, Sliman ben Iahia, vint, probablement de Figuig, s'établir à Ghardaïa. Quelques-uns de ses descendants directs, fort peu nombreux, possèdent encore à Figuig, et feignent d'être Malékites. Il eut un fils, Ba el Hadj Daoud, dont la qoubba est au coin occidental de la ville. Autour d'eux se groupèrent des Aoulâd Ba Ahmed, venus du Djebel Amour, et des Aoulâd Bel Hadj, venus de Tamesna, dans le Maroc. On appelle communément ces deux fractions Aoulad Ba Sliman. Une tradition, destinée à concilier ces Aoulâd Ba Sliman et les Aoulâd Ammi Aïssa, veut que Sliman ben Iahia ait été frère de Mohammed ben Iahia. Après la ruine d'Isedraten (près de Ouargla), un certain Ba Aïssa ou Alouân vint aussi se réfugier à Ghardaïa, et fut la souche des Aoulâd Alouân; puis ce fut le tour du cheikh Iounės, du Djebel Nefous, auquel se rattachent les Aoulad Iounès. Enfin, Ghardaïa recueillit diverses fractions qui n'avaient pas de cheikh distinct: tels sont les Nechacheba, venus du Djebel Nefous, les Mahareza, venus de Tabelkouda, dans le Tidikelt, des Aoulad Mekis, émigrés de Bou Noura, des Afafra, émigrés de Berrian, des Nahalif, des Aoulad Bakha, etc.

ment. Khelef ne tint aucun compte des paroles d'Abou 'Obeïda, et ce dernier dut écrire à l'lmâm pour se plaindre des déprédations de ses gens. Il lui demandait la permission de le repousser par la force. L'Imâm répondit en conseillant la patience et la douceur, autant que possible. Ils ne devaient prendre les armes que si Khelef les attaquait directement. Ils restèrent en cet état pendant longtemps, et c'est alors que mourut l'Imâm (qu'Allah lui fasse miséricorde) (4).

Ces derniers groupes se rallièrent autour d'un cheikh récemment arrivé dans l'Ouâd Mezâb, originaire de Djerba, et qui se nomme Ammi Saïd. C'est autour de sa Qoubba qu'ils se font enterrer. Nous devons ajouter que des Arabes ont toujours été agrégés aux Mozabites de Ghardaïa: autrefois c'était des Aoulad Yagoub, qui, dit-on, bâtirent, de concert avec les Mozabites, le minaret dont la pointe paraît encore au pied du minaret actuel; maintenant, ce sont les Mdabih. Ces Mdabih se donnent pour ancêtre le marabout 'Ali ben Områn enseveli un peu au dessous de Mohammed ben Iahia; aussi sont-ils particulièrement amis des Aoulad Ammi Aïssa, et les aident dans toutes leurs querelles. Tels sont les éléments principaux en lesquels se décompose la population de Ghardaïa. Nos listes politiques ne nous donnent que trois divisions: Aoulad 'Ammi Aïssa, Aoulad Ba Sliman, Mdabih. Ces divisions sont trop générales : elles ne nous représentent que les Cof en cas de guerre civile.

(1) L'auteur de la Chronique ne nous donne pas la date de la mort d'Abd el Ouahâb; mais on peut la déterminer approximativement en suivant la série des dates précédentes. La ville de Kirouân est prise par l'Imâm Abou El Khottab en 141 (759), et ce même Imâm meurt deux ans après, en 143 (761). Talièrt est fondée, d'après la Chronique, en 160 (777), ou 162 (779), et, d'après Ibn Khaldoun, en 144 (761); la mort d'Abd er Rahman ben Roustem semble avoir suivi de près cette époque; et on peut lui assigner la date 163 (780). 'Abd el Ouahâb succéda immédiatement à son père. Ibn Khaldoun (t. 1, p. 224) nous apprend qu il demanda la paix au gouverneur de Kirouân, Rouh, fils de Hatem, en 787 de l'ère chrétienne et (ibid. p. 243)

GOUVERNEMENT DE FELAH BEN 'ABD EL OUAHAB
(Qu'Allah l'agrée).

Quand l'Imam 'Abd el Ouahâb mourut, les Musulmans de Tahért étaient étroitement pressés par leurs ennemis aux environs de la ville. Ils élurent le fils de l'Imâm, Felah, et ce choix fut heureux pour le peuple. Dieu ramena la paix dans le pays, et le préserva du désordre. Abou 'Obeïda ayant appris que 'Abd el Ouâhab était mort, et que son fils lui avait succédé, écrivit au nouvel Imâm pour le consulter touchant les agissements de Khelef, et demanda la permission de le repousser par la force. Felah, suivant l'exemple de son père, recommanda les bons procédés, la patience et la douceur, tant que les partisans de Khelef n'useraient pas de la force ouvertement (1). Au contraire, Khelef s'était réjoui en appre

qu'il fit un traité avantageux devant Trablès avec Abd Allah, fils d'Ibrahim ben el Aghleb, en 811. D'autre part, son fils Felah lui avait succédé comme nous le verrons plus loin dans la Chronique, quand le gouverneur Ibâdite du Djebel Nefous, Abou 'Obeïda, combattit, à Temti, Khelef ben es Smah, gouverneur Ibadite de la banlieue de Trablės, révolté contre l'Imâm. Or, ce combat de Temti eut lieu en l'an de l'hégire 221 (836 de l'ère chrétienne). C'est donc entre les années 811 et 836 qu'il faut placer la mort d'Abd el Ouahâb. Les Tolba mozabites actuels différent touchant la durée de son règne: les uns, comme le Cheikh Amhammed Atfièch, la restreignent à vingt ans; mais cela n'est point admissible, car on doit compter beaucoup plus entre la mort d'Abd er Kahman et le siége de Trables par 'Abd el Ouahâb; les autres disent qu'il régna quarante ans : il serait mort, suivant eux, vers l'an 820 de notre ère. Je pense que l'on peut s'arrêter à cette date.

(1) Il est dit dans le Koran: « Combattez dans la voie d'Allah contre ceux qui vous feront la guerre; mais ne commettez point d'injustice en les attaquant les premiers, car Allah n'aime

nant qu'Abd el Ouahâb était mort et que son fils Felah lui succédait, et il avait ordonné à ses gens de se réunir en un lieu nommé Temti. Il excita ses pillards contre tous les Ibâdites fidèles à l'Imâm, et ils se mirent à ravager les biens, à piller les maisons, à tuer les personnes. Un bon nombre des siens trouvèrent la mort dans cette lutte confuse; mais il attribua tous les morts indistinctement à l'armée d'Abou 'Obeïda (qu'Allah lui fasse miséricorde). Certes, il n'avait avec soi que des gens cupides, désireux des biens de ce monde, exécuteurs de ses volontés et de toutes ses innovations. Il réunit enfin son armée et marcha contre Abou 'Obeïda et les Musulmans qui lui étaient fidèles. Il considérait qu'ils étaient en petit nombre, comparés aux siens. Quand Abou 'Obeïda apprit cette attaque, il ordonna à ses par

point les injustes... Combattez-les jusqu'à ce que vous n'ayez point à craindre de tentation, et que tout culte soit celui d'Allah unique. S'ils mettent un terme à leurs actions, alors plus d'hostilités, si ce n'est contre les méchants. » (II, 186, 189) Mais il est dit aussi plus loin, dans le même livre (VIII, 39-40): « Dis aux infidèles que s'ils mettent fin à leur impiété, Allah leur pardonnera le passé; mais s'ils y retombent, ils ont devant eux l'exemple des peuples d'autrefois. Combattez-les jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de tentation. » Les Ibadîtes se conforment ici strictement à l'ordre contenu dans le premier de ces versets. Ils attendent qu'on les attaque. Ce trait leur est particulier et les distingue, avec plusieurs autres, des Ouahbites Cofrites. Comme il est facile de tirer deux conséquences contraires du Livre d'Allah, je suppose que les Cofrites invoquaient de leur côté quelque verset du Koran pour excuser leur violence, et on peut admettre que ce verset était le trente-neuvième de la huitième Soura: « Dis aux infidèles... » Tout se réduit à savoir qui sont les Infidèles. J'ai déjà marqué que les Ibâdites se montraient moins rigoureux que les Çofrites. On en voit ici la preuve évidente. La patience et la douceur recommandées ar l'Imam ne dépareraient pas un héros chrétien.

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