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dans une peine cruelle.» « Et quelle est cette peine cruelle ? Le Berber dit : « Vous m'avez regardé hier avec insistance; j'ai craint que quelque verset d'Allah ne fût descendu sur vous à mon sujet. » Le Prophête lui dit : « En eflet, je t'ai regardé hier avec insistance, à cause de Gabriel (que sur lui soit le salut.) Gabriel est venu vers moi et m'a dit : « O Mohammed, je te recommande la crainte d'Allah et les Berbers. >> Je dis à Gabriel « Et ces Berbers, qui sont-ils ? » Il répondit : « C'est le peuple auquel appartient cet homme. » Il te désigna, et je te considérai. Je dis alors à Gabriel : « Quel sera leur rôle? » Il me répondit : « Ce peuple vivifiera la religion d'Allah quand elle sera morte et la renouvellera quand elle sera usée. » Gabriel ajouta : « O Mohammed, la religion d'Allah est une créature parmi les créatures. Sa patrie et le Hidjâz, elle a pris naissance à Médine. Née faible, elle se développera et grandira jusqu'à ce qu'elle soit puissante et glorieuse; elle donnera des fruits comme un arbre en donne; puis elle tombera. Or la tête de la religion du peuple d'Allah tombera dans le Maghreb ; et quand un arbre tombe, on ne le relève pas en le prenant par le milieu ou par les racines, mais par la tête. >> (1)

Nous avons appris que 'Omar ben el Khottâb (qu'Allah l'agrée) reçut un jour une députation de Berbers Louâta que lui envoyait 'Amr ben el 'Aci. Ils avaient la tête et le visage complètement rasés. 'Omar ben el Khottâb leur dit : « Qui êtes-vous? » Ils répondirent: « Nous sommes des Berbers Louâta. » 'Omar demanda aux assis

(1) On verra par la suite de ce récit que les Ibâdites se disent les plus purs des Musulmans, et même les seuls Musulmans.

tants : « Quelqu'un de vous connaît-il cette tribu parmi les tribus arabes? » -- << Non, dirent-ils, nous ne connaissons pas cette tribu. Alors, El 'Abbâs ben Merdås el Selmi, dit : « Emir des Croyants, je connais ces gens-là. Ce sont des fils de Berber Qis. Qis avait plusieurs enfants; un d'entre eux s'appelait Berber Qis. Ce Berber Qis avait un caractère difficile et emporté. Il commit plusieurs meurtres, et se retira dans le pays des Berbers (1). Sa postérité s'y multiplia, et les Arabes dirent « il berbé

(1) Cette tradition est mentionnée par Ibn Kaldoun, qui cite à ce propos le passage suivant d'El Bekri Moder avait deux fils, El Yas et Ghaïlan. Ghailan engendra Caïs et Dehman. Caïs engendra quatre fils: Berr, Såd, Amer, Tomader. La mère de Berr se nommait Tamsigh. Caïs avait épousé sa cousine El Beha. Craignant d'être tué par ses frères, il partit avec sa mère et son frère pour la terre des Berbers, peuple qui habitait alors la Palestine et les frontières de la Syrie. Berr ibn Caïs eut deux enfants: Alouan et Madghis. Le premier mourut en bas âge, mais Maghdis resta. Il portait le surnom d'El Abter et était père des Berbères-Botr. Toutes les tribus zenatiennes descendent de lui. » Le même Bekri s'accordant d'ailleurs, en cela, avec El Maçoudi, dit que les Berbères furent chassés de la Syrie par les Israélites, après la mort de Goliath. Ils avaient voulu rester en Egypte, mais ayant été contraints par les Coptes à quitter ce pays, ils allèrent à Barca en Ifrikia et en Magreb. Il serait très intéressant de comparer ce texte avec celui de Procope (Vandales). Je me contenterai de marquer ici que cette origine arabe de la race berbère était fort en honneur. Ibn Khaldoun en fournit des preuves nombreuses. C'est ainsi qu'il cite les vers suivants attribués à Tomader, frère de Berr :

« Toute femme qui pleure la mort d'un frère peut prendre exemple sur moi, qui pleure Berr, fils de Caïs.

Il quitta sa famille et se jeta dans le désert. Avant de le retrouver, la fatigue aura amaigri nos chameaux.

On reproche à Berr son idiôme étranger; à Berr qui parlait si purement quand il habitait le Nedj et le Hidjaz. »

Et ceux-ci, d'Obeïda ibn Caïs el Ocaïli : « Les enfants de

risent » pour dire « ils se multiplient (1). » 'Omar ben el Khottâb se tourna vers eux. Or, 'Amr ben el 'Acî avait envoyé avec eux un interprète chargé de traduire leurs paroles s'ils étaient interrogés par 'Omar ben Khottâb. Ce dernier leur demanda pourquoi leurs tétes et leurs

Berr, fils de Caïs, sont une noble troupe de la race de Moder; ils se tiennent sur la cîme de la gloire que s'est acquise cette illustre famille.

La tribu de Caïs est partout le soutien de la foi.............................

Et encore ce fragment de Yezid ibn Khaled: « Caïs, CaïsGhaïlan est la source du vrai honneur et notre guide vers la vertu.

En fait de bonté (Berr), que le Berr de notre peuple te suffise; ils ont subjugué la terre avec la pointe de la lance, et avec des épées, qui, dans les mains de nos guerriers ardents, abattent les têtes de ceux qui méconnaissent le bon droit. »

Il est à noter que ces Berbers, qui se vantent d'une origine arabe, sont en même temps présentés par Ibn Khaldoun comme des ennemis acharnés de la domination arabe. Suivant leur illustre historien, ils n'auraient adopté les hérésies des Kharedjites que pour s'y soustraire. Cette contradiction peut être éclaircie si l'on s'élève à un autre point de vue que celui d'Ibn Khaldoun. Cf. Préface.

(1) Il n'est point de radical arabe ber signifiantse multiplier. Le cheikh mozabite Amhammed Atfiech m'a donné une autre explication. Il fait dériver Berber du radical berr signifiant terre, continent, et donne au verbe qui en provient, le sens de aller de pays en pays, émigrer. a Les Berbers seraient donc les Emigrants. Ils vinrent, en effet, suivant une tradition fort accréditée, par une suite de stations, du fond de la Palestine jusqu'à l'extrémité du Magreb. Telle n'est point, on le sait, l'explication d'Ibn Khaldoun (trad. de Slane, t. I, p. 168) Ifrikos ayant envahi le pays qui fut nommé de son nom Ifrikia, s'étonna des dialectes qu'on y parlait, et dit: « Quelle berbera est la vôtre? De là vint le nom des Berbères. Le mot berbera signifie, en arabe, un mélange de cris inintelligibles. » D'autres écrivains et particulièrement M. Vivien de St-Martin, ont rapproché le nom des Berbères de celui d'une population de l'Indoustan, les Varvara.

visages étaient rasés. Ils répondirent: « Notre poil avait poussé quand nous étions incrédules; nous avons voulu le changer en entrant dans l'islamisme. » (1) Omar leur dit: « Avez-vous des villes dans lesquelles vous habitiez? » lls dirent: « Non. »« Avez-vous des lieux fortifiés dans lesquels vous gardiez vos biens? » Ils dirent: << Non. »>«< Avez-vous des marchés sur lesquels vous fassiez des échanges? » Ils dirent: « Non. » (2) Alors 'Omar ben el Khottâb se prit à pleurer, et l'assistance lui dit : « Quelle est la cause de tes larmes, Emir des Croyants? » Il répondit : « Ce qui me fait pleurer est une parole que j'ai entendue de la bouche de l'Envoyé d'Allah (que le salut soit sur lui), le jour du combat de Honîn. Les Croyants pliaient. Je me tournai vers lui, et je me pris à pleurer. Il me dit : « Pourquoi pleures-tu, ô Omar. » Je répondis : « Je pleure, ô Prophète d'Allah, à cause du petit nombre de ces Musulmans et de la multitude des infidèles réunis contre eux. » Alors l'Envoyé d'Allah dit : « Ne pleure pas (3) ô Omar; Allah ouvrira une porte à l'Islam du côté de Maghreb; il lui suscitera un peuple qui le glorifiera et humiliera les infidèles,

(1) Tous les nouveaux convertis à l'islam doivent se raser complètement le jour de leur conversion définitive.

(2) Cette tradition, fort répandue, nous montre bien qu'au lendemain même de l'occupation romaine, les Berbères s'étaient hâtés de revenir à leurs habitudes barbares. Ibn Khaldoun nous les présente sans cesse comme nomades. Les sédentaires, parmi les Berbers, étaient les pauvres ou les vaincus.

(3) Comme je m'étonnais de ces pleurs d'un des plus fermes guerriers de l'Islam, mon interprète mozabite me dit: Vous autres, qui avez peu de foi, vous ignorez la douceur des larmes. >

peuple de gens craignant Allah et Voyants (1), qui mourront pour ce qu'ils auront vu. Ils n'ont pas de villes qu'ils habitent, ni de lieux fortifiés dans lesquels ils se gardent, ni de marchés sur lesquels ils vendent. » C'est pourquoi je viens de pleurer, car je me suis rappelé la parole de l'Envoyé d'Allah, et les mérites qu'il a attribués à ces Berbers. >> 'Omar les renvoya à 'Amr ben el Acî, et lui recommanda de leur donner les premiers rangs dans son armée, et de les traiter avec honneur. En effet, 'Amr ben el 'Acî les honora (2), et toujours ils prétendirent à être favorisés et placés aux premiers rangs de l'armée, et ils demeurèrent avec 'Amr ben el 'Acî jusqu'à la mort de 'Ots

(1) Ce mot Voyants que nous retrouvons dans nos sectes protestantes, est la traduction exacte de l'expression ibadite

اهل بصاير يموتون على ما ابصروا

(2) Ces Louata, que notre chronique met en scène, sont probablement les Ilouaten ou Ilaguaten de Corippus (Johannide). Ils sont fils de Loua le jeune, frère de Nefzao et fils de Loua l'aîné, fils de Zahhik. Suivant Ibn Hazm citant des généalogistes berbères. ils appartiennent à la race Copte. Nombreux dans la Basse-Egypte et dans les oasis du désert Lybien, ils occupaient les environs de Barca, et formaient un groupe dans l'Aouras. On en trouvait aussi au midi de Tahèrt. La plupart d'entre eux était nomade. Partisans dévoués de l'ibadisme, ils soutinrent, dans l'Aouras, les doctrines radicales d'Abou Yezid pour lutter contre les Fatimites. - 'Amr Ibn ben el Aci qui envoya la députation des Louata à Omar est le premier général arabe qui se soit avancé dans l'Ouest. Il alla d'abord jnsqu'à Barca chez les Berbers-Louata auxquels ils dit durement : « Pour acquitter la capitation, vendez vos femmes et vos filles. » Puis (642), il enleva Trablès aux Grecs et Sabra aux Nefouça. C'est alors qu'il demanda à Omar la permission d'envahir l'Ifrikia « qui n'est qu'à sept journées de Trablès. » Omar répondit: Ce pays ne doit pas s'appeler Ifrikia, mais El Moferreku el Radira (le lointain perfide): « Je défends qu'on en approche tant que l'eau de mes paupières humectera mes yeux. › (1bn Abd el Hakem).

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