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d'une paire de pistolets et porte un poignard à sa ceinture. Il est alors entouré de plusieurs chefs, tous armés comme lui, et revêtus de beaux burnous rouges avec des broderies d'or; leurs longs fusils sont derrière eux et à leur portée. Ce pavillon, dont l'intérieur est garni d'une tenture rose, et qui ressemble presque à une chapelle dans un jour de fête, ces hommes, qu'on distinguait vaguement au milieu de l'épaisse fumée qui s'échappait de leurs pipes, tout cela produisait un effet pittoresque et assez imposant.

Lorsque M. Fabre arriva au camp du bey, celui-ci venait de faire une tournée dans le Sud. Le déserteur italien avait rapporté de ce pays une brassée de plumes d'autruches. L'armée d'Ah'med ne se composait alors que de cent réguliers, d'une quinzaine de mamelouks, et de deux ou trois mille Arabes, qui le suivaient avec leurs familles et leurs troupeaux.

Il paraît que dès lors ces indigènes désiraient beaucoup voir leurs anciennes relations avec Constantine se rétablir. Le bey, pour leur faire prendre patience, parlait tantôt d'une intervention du Grand Seigneur, tantôt d'un arrangement avec la France. Il disait que, moyennant le remboursement des frais de la seconde expédition de Constantine, on lui rendrait cette ville; mais, comme rien ne paraissait devoir se réaliser, on commençait à se décourager, et il décourager, et il y avait beaucoup de déserteurs.

Le camp changeait fréquemment de place; et comme il s'avançait toujours vers l'Est, nos voyageurs le sui

vaient volontiers, afin de se rapprocher de Tunis, but vers lequel ils tendaient depuis longtemps. Enfin le bey vint planter ses tentes dans un beau pays, où l'on achevait alors de récolter de magnifiques moissons. Dans les endroits non cultivés croissaient spontanément des artichauts sauvages, aussi beaux que ceux que nous obtenons à force de soins et de travail dans nos jardins d'Europe. Il y avait beaucoup de ruines antiques dans ce canton, et quelques-unes s'élevaient encore au-dessus du sol. M. Fabre apprit que la ville de Kef, la première du royaume de Tunis, n'était qu'à vingt-quatre heures de marche de l'endroit où il se trouvait. La route qui y conduisait passait devant le camp, et on y voyait à chaque instant des caravanes aller et venir. La tentation était trop forte, aussi y succomba-t-il; et, profitant des conseils du déserteur italien, il parvint à s'évader avec quelques-uns de ses camarades. Il y avait alors dix jours qu'ils étaient dans camp d'Ah'med-bey.

le

38 ET 39 JOUR.

M. Fabre, feignant d'aller cueillir des artichauts sauvages, s'échappa avec deux de ses compagnons. Les autres n'ont pas osé le suivre, de peur de la colère d'Ah'med s'ils étaient rattrapés, et surtout par crainte des lions, dont ils avaient entendu faire des récits effrayants. Il était alors environ dix heures du matin. Les fugitifs s'enfoncent d'abord dans le plus épais d'un

fourré, pour ne pas être aperçus dans le cas où on fe

que

rait des recherches. La nuit venue, ils s'efforcent de gagner la route de Kef, et se jettent sur la gauche autant les difficultés du chemin le leur permettent. Ce ne fut que la nuit suivante qu'ils purent s'orienter un peu. Arrivés au bord d'une rivière, ils trouvent un chemin largement frayé, qui les conduit à Kef en huit heures. La rivière1 en question coule du Nord au Sud. Au delà, un enfant, disent les Arabes, peut voyager sans crainte avec une couronne d'or sur la tête et une chachïa garnie de sequins; il n'y a à redouter que les lions, dont ils ont souvent entendu les rugissements pendant la nuit.

Kef est une ancienne ville romaine bâtie au penchant d'une colline, ayant devant elle, au Sud et à l'Ouest, une plaine superbe. Elle a des remparts à l'européenne. Il s'y fait un très-grand commerce, qui est entre les mains des juifs. Ceux-ci se tiennent dans une rue couverte, qui est très-fréquentée. La ville, dominée par une forteresse, offre de remarquable, en fait de restes antiques, une forteresse, un beau portail et une voie romaine. Aux alentours sont de jolis jardins et des bois d'oliviers. L'eau y est bonne et abondante. Nos voyageurs sont souvent visités par des Maures, qui parlent la langue franque; et quelques juifs, qui sont allés à Alger pour le commerce, leur font un bon accueil.

'La Medjerda.

40o JOUR.

Le gouverneur propose à M. Fabre et à ses compagnons de les garder avec lui, et, sur leur refus, il les envoie à Tunis. Ils traversent, pour arriver à cette dernière ville, un pays magnifique, où ils trouvent des ponts, des restes d'aqueducs, des portions de voies romaines, des édifices dont quelques-uns presque entiers, des portes de villes, des espaces immenses couverts de matériaux antiques, semés d'inscriptions latines. Mais ce qui attira surtout leur attention, ce fut un magnifique péristyle, dont les colonnes cannelées, encore surmontées de leurs chapiteaux, s'élevaient au moins à six mètres au-dessus du sol. Ils virent ce beau monument dans un village où était alors le consul de Suède.

La route de Kef à Tunis n'était pas déserte comme celles qu'ils avaient parcourues jusqu'alors. On y voyait de nombreux voyageurs marchant isolément, ou par caravanes considérables. Celles-ci allaient généralement vers Constantine, ou en revenaient chargées de marchandises de toutes espèces.

Nous terminons ici l'analyse du récit de notre voyageur. Peu de temps après son arrivée à Tunis, il obtint, par l'entremise du consul français, de revenir à Alger.

FIN.

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