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Ces peuples sont tous frères des Sanhadja et demeurent entre l'Océan environnant (l'Atlantique), du côté de l'occident, et Ghadams, endroit situé au midi de Tripoli et Barca [du côté de l'orient].

Les Lemtouna se partageaient en un grand nombre de branches dont nous pouvons nommer les Beni-Ourtentac1, les BeniNïal, les Beni-Moulan et les Beni-Nasdja. Ils habitaient tous cette partie du Désert qu'on nomme Kakdem et, à l'instar des Berbères du Maghreb, ils professaient le magisme (l'idolatrie). Ils ne cessèrent de se tenir dans ce pays et de le parcourir avec leurs troupeaux jusqu'à ce qu'ils embrassèrent l'islamisme, quelque temps après la conquête de l'Espagne par les Arabes.

Le droit de leur commander appartenait aux Lemtouna. Déjà, à l'époque où la dynastie fondée par le prince oméïade, Abd-erRahman-Ibn-Moaoufa-ed-Dakhel, régnait en Espagne, ils formaient une nation puissante qui obéissait à des rois héréditaires, princes dont le souvenir s'est conservé jusqu'à nos jours. L'un de ces rois, Telagaguîn, fils d'Ourekkout ou Araken, fils d'Ourtentac, était aïeul d'Abou-Bekr-Ibn-Omar, celui qui commandait les Lemtouna lors du premier établissement de l'empire almoravide [en Maghreb].

Dans le pays habité par ce peuple, on vivait ordinairement jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans. Quand les Lemtouna eurent soumis les régions du Désert, ils portèrent la guerre chez les nations nègres pour les contraindre à devenir musulmans. Une grande partie des Noirs adopta alors l'islamisme, mais le reste s'en dispensa en payant la capitation.

Telagaguîn eut pour successeur Tiloutan. « Le premier des >> Lemtouna, dit Ibn-Abi-Zerâ 3, qui régna dans le Désert fut

1 Le nom de cette tribu se retrouve encore dans Portendic, localité à quarante lieues N. de l'embouchure du Sénégal.

• Voy. l'index géographique du tome 1.

3 Ibn-Abi-Zerâ est l'auteur de l'histoire de Fez et du Maghreb qui porte le titre de Cartas. Cet ouvrage a été traduit en portugais par le Fère Moura, en allemand par Dombay, et une nouvelle édition, en latin, avec le texte arabe, a été publiée par M. Tornberg, à Upsal. Le passage

T. II.

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>> Tiloutan. Il soumit les contrées de cette région et obligea les » Noirs à payer tribut. Il marchait entouré de cent mille cava>>liers montés sur des chameaux de belle race. Sa mort eut lieu » en 222 (837). Son successeur, Ilettan, mourut en 287 (900). » Temim, fils et successeur de celui-ci, régna jusqu'à l'an 306 » (918-9), quand il fut tué par les Sanhadja. Alors la division se » mit parmi les Lemtouna. >>

Selon un autre historien, un des plus illustres de leurs rois fut Tînezwa, fils de Ouachenîc, fils de Bezar. Ce personnage, nommé aussi Berouïan, fils de Oachenec, fils d'Izar, régna sur tout le Désert, et cela dans le quatrième siècle de l'hégire, à l'époque où les souverains oméïades, Abd-er-Rahman-en-Nacer et, ensuite, son fils El-Hakem-el-Mostancer, gouvernaient l'Espagne, et où les khalifes fatemides, Obeid-Allah et son fils Abou'l-Cacem, commandaient en Ifrîkïa. Il marchait à la tête de cent mille guerriers portés sur des chameaux de race. Sa domination s'étendait sur une région longue de deux mois de marche et large d'autant. Vingt rois nègres reconnaissaient son autorité et lui payaient la capitation. Ses fils régnèrent après lui, et, ensuite, l'unité de la nation se brisa, de sorte que chaque fraction et chaque tribu eut un roi.

« Après Temim, dit Ibn-Abi-Zerâ, la division se mit dans la >> nation et cet état de choses dura cent vingt ans. Abou-Abd» Allah, fils de Tifaout et généralement connu sous le nom de » Narecht, monta alors sur le trône et rallia tous les partis. Ce >> fut un homme plein de religion et de vertu; il fit le pelèrinage » de la Mecque et, après un règne de trois ans, il perdit la vie » dans une expédition militaire. Son gendre, Yahya, fils d'I» brahîm-el-Guedali, prit alors le commandement et eut pour » successeur Yahya, fils d'Omar et petit-fils de Telagaguîn.

cité ici d'une manière abrégée, par Ibn-Khaldoun, se trouve à la page 76 de l'édition arabe. On peut remarquer que les deux textes ne s'accordent nullement en ce qui regarde l'orthographe des noms propres. Ces différences proviennent évidemment de l'incurie et de l'ignorance des copistes, qui, dans le Cartas surtout, ont commis une foule d'erreurs. Variante: Izar.

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qui touchent à la religion. Mu par le désir de communiquer la connaissance du bien à des gens qui montraient une telle envie de s'instruire, Abou-Amran demanda à ses disciples s'il y en avait un parmi eux qui voulût accompagner ces voyageurs, et, les voyant effrayés de la perspective des privations qu'ils auraient à subir dans le Désert, il donna à ses visiteurs une lettre pour un autre jurisconsulte de ses élèves, nommé MohammedOu-Aggag1-Ibn-Zellou, membre de la tribu de Lamta et domicilié à Sidjilmessa. Dans cet écrit, il engagea son ancien disciple à leur procurer un homme d'une piété et d'un savoir éprouvés, qui serait capable de supporter les privations inséparables d'un séjour dans le pays des Lemtouna. Abd-Allah-Ibn-Yacîn -Ibn2 Meggou-el-Guezouli, la personne qu'Ou-Aggag fit partir avec eux, commença aussitôt à leur enseigner le Coran et les pratiques de la religion.

A la mort de Yahya-Ibn-Ibrahim, de nouvelles dissensions éclatèrent parmi les Lemtouna; on se révolta même contre IbnYaçîn à cause des devoirs pénibles que sa doctrine leur imposait. Repoussé par eux, il s'éloigna avec l'intention d'embrasser la vie ascétique. Ayant obtenu l'adhésion de deux frères, nommés, l'un, Abou-Bekr, et l'autre, Yahya-Ibn-Omar-Ibn-Telagaguîn, chefs lemtouniens, il les emmena loin de la société des hommes et s'établit avec eux sur une colline entourée des eaux du Nil 3. Pendant l'été, un courant peu profond séparait cet endroit du rivage, mais, dans la saison des pluies, quand les eaux se gonflaient, le même lieu formaient plusieurs îlots. Ils pénétrèrent

1 Quaggag en berbère paraît signifier fils d'Aggag.

La 36 sourate du Coran commence par un mot cabalistique composé des lettres ya et sin (is), et qui, pour cette raison, s'appelle la sourate du Yacin. L'emploi de ce mot comme nom propre d'homme est

assez rare.

3 L'on sait que les géographes arabes représentaient le Nîl des Noirs, ou Niger, comme se dirigeant de l'est à l'ouest pour se jeter dans l'Atlantique. Selon eux, le Sénégal était la partie inférieure du Nîl.

• Voici comment l'auteur du Cartas décrit cet endroit : « Une île dans la mer; lors de la basse marée, on pouvait y aller à pied, mais,

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