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trer dans la place. Le bruit qui avait frappé leurs oreilles provenait d'un conflit qui avait lieu entre deux factions qui déchiraient la ville. Peu de jours avant l'arrivée des Francs, la dissension commença, et l'un des partis chassa la famille Matrouh et livra le commandement à un almoravide qui venait d'arriver avec une suite nombreuse et qui avait l'intention de se rendre en pèlerinage à la Mecque. Lorsque les Francs parurent, l'autre parti ramena la famille Matrouh et, pendant le désordre quit s'ensuivit, la ville fut prise d'assaut. Un grand nombre des habitants fut passé au fil de l'épée, leurs femmes furent prises et leurs biens livrés au pillage. Tous ceux qui pouvaient s'évader cherchèrent un asile parmi les populations berbères et arabes ; mais, une amnistie générale proclamée par les vainqueurs, eut pour résultat la rentrée des fuyards. Les Francs passèrent six mois à restaurer les murailles de la ville et à les entourer d'un fossé que l'on y voit encore. Ces travaux terminés, ils s'en retournèrent dans leur pays, emmenant avec eux plusieurs ôtages, au nombre desquels se trouvèrent le chef almoravide et les membres de la famille Matrouh. Plus tard, on rendit les ôtages à l'exception des Matrouh; voulant s'assurer ainsi la fidélité de l'un d'entre eux auquel on venait de confier le commandement de la ville. L'ordre se rétablit dans Tripoli; les Siciliens et les Roum (Italiens) y firent de fréquents voyages, la population s'accrut rapidement et parvint à une grande prospérité.

§ VI. CONQUÊTE DES AUTRES VILLES DE L'IFRÎKÏA PAR

LES FRANCS.

An 543 (1148-9). Quelque temps avant l'année dont nous donnons ici la date, eut lieu la mort de Rached, seigneur de Cabes. Il laissa deux fils dont l'aîné se nommait Mâmer et le cadet Mohammed. Son affranchi Youçof conçut alors le projet de s'emparer du pouvoir, et ayant expulsé Mâmer, il prit le commandement de la ville et gouverna au nom de Mohammed, prince trop jeune pour s'occuper d'affaires. Maitre de toute l'autorité,

il déshonora, dit-on, le harem de son ancien maître. L'une de ces femmes, appartenait à la tribu des Beni-Corra, et ses frères, sur la plainte qu'elle leur fit parvenir, vinrent à Cabes pour l'emmener chez eux. Comme Youçof refusa de la livrer, ils partirent avec Mâmer, fils de Rached, et dénoncèrent la conduite de l'usurpateur à El-Hacen [fils d'Ali], souverain de l'Ifrîkïa. Celui-ci écrivit à Youçof une lettre de reproche, et, n'ayant pas reçu de réponse, il équipa une armée pour se venger. Youçof ayant eu connaissance de ces préparatifs, fit avertir Roger le franc, seigneur de la Sicile, qu'il était prêt à le reconnaître pour souverain, à la condition de rester en possession de Cabes et d'y gouverner comme lieutenant de ce prince, ainsi que faisait Ibn-Matrouh à Tripoli. Peu de temps après, il reçut de Roger les pelisses d'honneur et la patente de sa nomination. Quand El-Hacen apprit que Youçof avait pris la livrée de Roger et fait lire au peuple assemblé le diplôme de sa nomination, il partit aussitôt à la tête de son armée et mit le siége devant Cabes. Les habitants se soulevèrent contre Youçof, parce qu'il avait osé reconnaître l'autorité des Francs, et livrèrent la ville à El-Hacen. Youçof se défendit quelque temps dans la citadelle, mais il ne put empêcher cet asile d'être emporté d'assaut. Étant tombé entre les mains de Mâmer-Ibn-Rached et des Beni-Corra, il eut à subir mille tourments on lui coupa même les parties. génitales et on les lui mit dans la bouche. Mâmer remplaça alors son frère dans le gouvernement de la ville, et les Beni-Corra emmenèrent leur sœur. Le fils de Youçof s'enfuit [en Sicile], avec son oncle paternel Eïça, et pria Roger de tirer vengeance d'El-Hacen. Le prince chrétien écouta leur plainte et, plein d'indignation, il résolut de rompre la trève qu'il avait faite avec le sultan ziride, trève qui ne devait expirer que deux années plus tard. D'ailleurs, l'Ifrîkïa était alors en proie à la famine et il savait qu'une occasion aussi favorable pour faire la conquête de ce pays ne se présenterait plus. La disette avait commencé en l'an 537 (1142-3); toute l'Afrique septentrionale en souffrit horriblement et, surtout, en l'an 542. A cette époque beaucoup de monde quitta les campagnes et les villes pour se réfugier en

:

Sicile; une foule de malheureux mourut de faim, et on en vint à manger de la chair humaine. Roger s'empressa, en conséquence, de mettre en mer environ cent cinquante galères, remplies d'hommes et d'armes. Arrivée à Cossura, île située entre ElMehdïa et la Sicile, cette flotte s'empara d'un navire qui venait d'El-Mehdia. On conduisit l'équipage devant George, commandant de l'expédition, et on interrogea les prisonniers sur l'état de l'Afrique. Comme il y avait parmi eux un homme porteur d'une cage de pigeons messagers, on le força d'écrire la note suivante: Arrivés à Cossura, nous y avons trouvé quelques navires siciliens, dont les équipages nous ont assuré que la flotte maudite vient de faire voile pour les iles de Constantinople. On lâcha ensuite un des pigeons avec ce billet attaché au cou. L'émir El-Hacen reçut bientôt cette communication et en éprouva une vive satisfaction. George, voulant se montrer inopinément devant El-Mehdïa et cerner la place avant que les habitants eussent le temps de s'en éloigner, régla la marche de sa flotte de manière à pouvoir y arriver au point du jour, mais il eessuya un vent contraire et fut obligé de faire marcher ses vaisseaux à la rame. Dans la matinée du 2 Safer (22 jnin), les musulmans virent approcher l'ennemi, et George, ayant reconnu que son coup était manqué, écrivit en ces termes à l'émir El-Hacen: «Nous sommes venus pour venger Mohammed, fils » de Rached, et pour le rétablir dans le gouvernement de Cabes. » Vous n'avez rien à craindre de nous, vu que notre traité de >> paix n'est pas encore prêt à expirer. Il faut cependant nous » fournir un corps de troupes pour cette expédition. » El-Hacen convoqua aussitôt les jurisconsultes et les notables afin de les consulter, et, dans cette réunion, il leur tint le discours suivant: « Vous me conseillez de combattre l'ennemi, car, dites-vous, >> notre ville est assez forte pour lui résister. Sachez qu'il pourra » débarquer des troupes et nous bloquer par terre et par mer; >> en ce cas, nous ne pourrions soutenir un long siége, car il nous >> reste à peine un mois de vivres. Il me demande un corps d'ar» mée pour attaquer Cabes; chose à laquelle je ne saurais con» sentir, puisqu'il n'est pas permis d'aider des infidèles contre

» des vrais croyants. Si je lui refuse ma coopération, il s'em>> pressera de rompre le traité de paix afin de nous investir, car » il sait bien que nous ne pouvons pas lui résister. Mon avis est » donc d'évacuer la ville et d'emmener nos familles avec nous. » Hâtons-nous et partons de suite. » Ils suivirent ce conseil, à l'instant même, et partirent avec leurs familles et leurs effets les plus faciles à transporter. Le reste des habitants se réfugia dans les maisons des chrétiens et dans les églises. Pendant près de deux tiers de la journée, la flotte se tint au large à cause du vent qui lui était contraire; mais, vers le soir, elle aborda et la ville fut prise sans coup férir. Georges se rendit au palais où il trouva toute chose à sa place; El-Hacen n'ayant emporté que les objets les plus légers; aussi, les chambres renfermant les trésors des rois zirides restaient encore pleines de richesses, et d'objets rares et précieux. Il y fit mettre les scellés et s'empara de plusieurs concubines qu'El-Hacen avait laissées derrière lui. Quelques officiers de l'armée musulmane restèrent encore dans la ville, ayant eu la précaution de se faire envoyer d'avance des lettres de protection pour eux et leurs familles. Le pillage de la ville dura deux heures, mais George y mit un terme et fit proclamer une amnistie générale. Ceux des habitants qui s'étaient cachés sortirent alors de leurs retraites et l'ordre s'y rétablit. Le lendemain, le chef chrétien fit venir les Arabes des environs et leur donna des sommes considérables. Quelques solda ts de la milice qui n'avaient pas quitté la ville, sortirent à la recherche des habitants qui s'étaient enfuis et leur portèrent des lettres de grâce. Ils emmenèrent aussi des montures pour les femmes et les enfants. Ces malheureux furent ainsi arrachés à une mort certaine et eurent le bonheur de retrouver intactes les choses précieuses qu'ils avaient cachées chez eux. Une semaine s'était à peine écoulée que la plus grande partie de la population se retrouva dans la ville. Quand tout ce monde fut rentré, George expédia un détachement de sa flotte contre Sfax et un autre contre Souça. Ali, fils de l'émir El-Hacen et gouverneur de cette dernière ville, l'avait déjà quitté en apprenant la chute d'El-Mehdia. Son intention était d'aller joindre son père. Les habitants, le voyant

s'en aller, suivirent son exemple, de sorte que les Francs purent occuper la ville sans éprouver de résistance. Souça fut pris le 42 du mois de Safer (2 juillet). La ville de Sfax avait une forte population arabe; aussi elle ne succomba pas sans combat. Quand l'ennemi s'approcha dans le dessein de s'en emparer, les habitants sortirent pour lui livrer bataille. Les Francs simulèrent une retraite, et, quand ils eurent attiré leurs adversaires loin de la ville, ils se retournèrent contre eux et les mirent en pleine déroute. Une partie des musulmans réussit à rentrer dans Sfax, et le reste se jeta dans les déserts qui l'avoisinent. Les Francs s'emparèrent de la place après avoir livré un assaut qui leur coûta beaucoup de monde. Le vainqueur ayant ensuite fait proclamer une amnistie, ramena les fuyards, leur rendit leurs femmes et leurs enfants et les traita avec autant de douceur qu'il avait montré envers ceux de Souça et d'El-Mehdïa. La prise de Sfax eut lieu le 23 du mois de Safer. Quelque temps après. on reçut des lettres du roi Roger, adressées à tous les habitants de l'Ifrikïa et renfermant les plus belles promesses avec l'assurance de sa haute protection. George ayant rétabli l'ordre dans les villes conquises, conduisit sa flotte contre le château-fort appelé Iclîbia [l'ancienne Clypea]. A son approche les Arabes se jetèrent dans la place et la défendirent si vigoureusement que les Francs durent se rembarquer et faire voile pour El-Mehdïa, après avoir perdu un grand nombre de soldats. Malgré cet échec, l'ennemi se trouva maître de tout le pays qui s'étend depuis Tripoli jusqu'aux environs de Tunis, et depuis la mer jusqu'au voisinage de Cairouan.

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GUERRE ENTRE LE SEIGNEUR DE LA SICILE ET LE ROI DES
ROUM.

En l'an 544 (1149-50), une guerre éclata entre Roger, seigneur de la Sicile, et le roi de Constantinople. Elle dura deux anuées et empêcha ces princes de rien entreprendre, pendant ec temps, contre les musulmans. Sans cet événement, Roger se

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