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qui avait perdu tout espoir de faire remettre en liberté son frère [Moulahem], s'était rallié au parti d'Abou-'l-Baca, sultan de Bougie, et n'avait cessé de pousser ce prince à s'emparer du royaume de Tunis; aussi, quand Abou-Ali-Ibn-Kethîr vint leur annoncer la vacance du trône, le sultan fit tous ses préparatifs et marcha sur la capitale. Cette démonstration inspira beaucoup d'inquiétude aux Almohades et les décida à proclamer la souveraineté de l'émir Abou-Bekr 2 [-Abd-er-Rahman], prince que l'on désigne ordinairement par le surnom d'Es-Chehîd (le martyr), parce qu'il fut mis à mort dix-sept jours après son avènement au trône. Le nouveau souverain conserva AbouAbd-Allah-Ibn-Irzîguen comme vizir, mais il destitua le chambellan, Mohammed-Ibn-ed-Debbagh, en le menacant de sa vengeance à cause du peu d'égards que ce fonctionnaire lui avait témoignés sous le règne du feu sultan. Dès lors, Ibn-ed-Debbagh ne cessa de travailler contre lui.

LE SULTAN ABOU-'L-BACA-KHALED OCCUPE LA CAPITALE ET DEVIENT LE SEUL REPRÉSENTANT DE LA SOUVERAINETÉ HAFSIDE.

Abou-l-Baca se trouvait à Bougie, capitale de ses états, quand il apprit la maladie du sultan Abou-Acîda, et, craignant que les gens de Tunis ne fussent tentés à rompre le traité qui assurait au dernier survivant des deux souverains le droit de succéder à l'autre, il résolut de se rapprocher de Tunis afin de veiller à ses intérêts et faire de valoir ses prétentions au trône. Cette démarche lui fut vivement conseillée par Hamza-Ibn-Omar, chef arabe qui avait abandonné le parti des Tunisiens. Ayant quitté Bougie sous le prétexte de faire une expédition contre Alger, où Ibn-Allan commandait encore en maître, il prit la route de Casr-Djaber, et, en y arrivant, il reçut la nouvelle

1 Tome 1, p. 146.

2 Dans le texte des manuscrits, on trouve ici Zékérïa à la place de Bekr, et, quelques lignes plus haut, ou y lit Kebir à la place de Kethir.

qu'Abou-Acîda venait de mourir et que les Almohades avaient proclamé souverain le prince Abou-Bekr-Abd-er-Rahman, fils d'Abou-Bekr, fils d'Abou-Zékérïa. Indigné de la mauvaise foi du gouvernement tunisien, il pressa sa marche et rallia sous ses drapeaux toutes les tribus commandées par les Aulad-Abi-'lLeil. Quant aux Aulad-Mohelhel, rivaux de ceux-ci, il allèrent joindre le sultan de Tunis.

Le ministre Abou-Yacoub-Ibn-Izdouten et le vizir Abou-AbdAllah-Ibn-Irzîguen prirent alors le commandement des troupes tunisiennes, avec la résolution de mourir pour la défense de leur maître. Devant la charge de l'armée d'Abou-'l-Baca, celle de Tunis recula en désordre et abandonna son camp; Ibn-Irziguen fut frappé à mort, et les Arabes Mohelhel prirent la fuite pour se jeter dans le Désert. Pendant l'agitation que la rentrée des fuyards avait excitée dans la ville, le sultan Abou-Bekr-Abder-Rahman alla se poster en dehors des remparts; mais, voyant ses troupes passer du côté d'Abou-'l-Baca, il prit la fuite et se réfugia dans une maison de campagne. Tiré bientôt de sa retraite, il fut conduit devant Abou-'l-Baca et emprisonné dans une tente par l'ordre de ce prince. Les cheikhs almohades, les hommes de loi et tous les autres notables de la ville sortirent alors au devant du vainqueur et lui prêtèrent le serment de fidélité. L'émir Abou-Bekr fut mis à mort, et, depuis lors, on l'a toujours désigné par le surnom d'Es-Chehîd (le martyr). Il fut tué par son cousin Abou-Zékérïa-Yahya-Ibn-Zékérïa, cheikh almohade. Le lendemain, Abou-'l-Baca fit son entrée dans la capitale et, devenu maître du khalifat, il prit le titre d'En-Nucer li-din Illah el Mansour (le champion de la religion de Dieu, le victorieux), auquel il ajouta plus tard le surnom d'El-Motewekkel (qui se confie à Dieu). Abou-Yacoub-Ibn-Izdouten garda sa position et fut déclaré chef des Almohades, mais il dut partager les fonctions de cet office avec Abou-Zékérïa-Yahya-Ibn-Abi-'l- Alam, chef des Almohades de Bougie. Abou- Abd-er-RahmanYacoub-Ibn-Ghamr continua à servir le sultan en qualité de chambellan. La perception des impôts fut confiée à MansourIbn-Fadl-Ibn-Mozni.

IBN-MOZNI PROCLAME LA SOUVERAINETÉ DE YAHYA

IBN-KHALED.

Yahya-Ibn-Khaled, petit-fils du sultan Abou-Ishac, vivait à la cour d'Abou-l-Baca; mais, étant tombé en disgrâce à cause de sa conduite imprudente, il crut éviter la colère du sultan en se réfugiant auprès de Mansour-Ibn-[Fadl-Ibn-]Mozni, [à Biskera]. Mansour, étant alors en mauvaise intelligence avec Ibn-Ghamr, consentit à soutenir les prétentions de son hôte et à lui servir de ministre; puis, ayant rassemblé ses.Arabes, il alla faire des courses sur le territoire de Constantine, ville qui était alors gouvernée par Ibn-Tofeil. Une foule de vagabonds se mirent alors aux ordres de Yahya et captèrent sa confiance au point d'obtenir de lui la promesse qu'aussitôt maître du trône, il les débarasserait de Mansour. Celui-ci ayant découvert les mauvaises intentions du prince et des gens qui l'entouraient, cessa de le soutenir et rentra dans Biskera. Les bandes de Yahya se dispersèrent, et Mansour, ayant fait sa soumission, reprit sa place à côté du chambellan [tbn-Ghamr] et des favoris du sultan.

Yahya se rendit à Tlemcen pour y chercher des secours et descendit chez le sultan Abou-Zian-Mohammed, fils d'Othman et petit-fils de Yaghmoracen. Quelques jours après son arrivée, Abou-Zian mourut et son frère, Abou-Hammou, monta sur le trône. Avec les troupes fournies par ce prince, Yahya-IbnKhaled alla assiéger Constantine, mais il y trouva une résistance qui déjoua tous ses efforts. S'étant ensuite rendu à Biskera, sur l'invitation d'Ibn-Mozni, il se fixa chez cet émir qui lui assigna une forte pension et une garde pour le surveiller. [Plus tard,] Ibn-el-Libyani, sultan de Tunis, envoya un riche cadeau à Ibn-Mozni dans le but de s'assurer les bonnes dispositions d'un chef qui, à chaque instant, pouvait lui susciter un rival. Il lui concéda même plusieurs villages aux environs de Tunis, lesquels appartiennent encore à la famille Mozni. Yahya-Ibn-Khaled passa le reste de ses jours en détention chez Ibn-Mozni et mourut ea l'an 721 (1321).

LE CHAMBELLAN IBN-GĦamr proclame la souveraineté D'ABOU-YAHYAABOU-BEKR A CONSTANTINE.

Au moment de partir pour Tunis, le sultan Abou-'l-Baca confia le gouvernement de Bougie à Abd-er-Rahman-Ibn-Yacoub1Ibn-Khalouf, surnommé El-Mizouar, en lui conservant aussi le commandement des Sanhadja. En ceci, il se conforma à l'usage établi par ses prédécesseurs qui laissaient toujours le père d'Abd-er-Rahman à Bougie comme leur lieutenant, chaque fois qu'ils se mettaient en campagne. Abd-er-Rahman, qui était alors à Constantine, où le sultan l'avait envoyé pour remplir les fonctions de chambellan auprès de l'émir Abou-Yahya-Abou-Bekr, quitta aussitôt cette ville et se rendit à Bougie.

Abou-'l-Baca, après avoir établi le siége de son autorité à Tunis, s'abandonna aux plaisirs et se laissa emporter par son caractère violent et sanguinaire. Adouan-Ibn-Mehdi, personnage marquant de la tribu des Sedouîkich, fut mis à mort par son ordre et le même sort atteignit Daar-Ibn-Djerîr de la tribu des Athbedj. Les grands officiers de l'empire, effrayés pour euxmêmes, se communiquèrent leurs appréhensions, et deux d'entre eux, le chambellan [Abou-Abd-er-Rahman-]Ibn-Ghamr et son collègue Mansour-Ibn-Fadl-Ibn-Mozni, gouverneur du Zab, concertèrent un plan pour se soustraire au pouvoir du sultan.

Pour effectuer leur projet, il fallut commencer par donner quelque sujet de mécontentement à Rached-Ibn-Mohammed, émir maghraouien [afin de l'éloigner de la cour]. Ce chef s'était attaché au service des princes de Bougie depuis la conquête de son pays par les Beni-Abd-el-Ouad, et, comme on le traitait avec les plus grands égards, il les accompagnait dans leurs expéditions militaires et, à la tête des Maghraouiens qui s'étaient attachés à sa fortune, il avait presque toujours eu l'occasion d'y soutenir tout le poids de la guerre. Quand le sultan se rendit à Tunis, il le suivit en qualité d'émir des Zénata.

1 Ailleurs, ce nom est écrit Abou-Abd-er-Rahman-Yacoub.

* Variante: Hariz.

T. H.

28

Un de ses gens, ayant été cité devant le tribunal du chambellan sur la plainte d'un domestique du palais, fut puni de mort, séance tenante, par l'ordre de ce fonctionnaire. Rached fut tellement indigné de ce manque d'égards qu'il fit ployer ses tentes à l'instant même et s'en alla. Ce fut ainsi que le chambellan s'y prit pour faire réussir son projet. Le résultat fut tel qu'il l'avait espéré le sultan, sachant que Rached était intimement lié avec Abd-er-Rahman-Ibn-Khalouf, conçut des inquiétudes pour la sûreté de la ville et de la province de Bougie. Le chambellan, qu'il consulta à ce sujet, fut d'avis d'y dépêcher Mansour-Ibn-Mozni, et celui-ci, de son côté, proposa le chambellan pour cette mission. Pendant plusieurs jours, ils se renvoyèrent mutuellement la tâche que le sultan voulait leur confier, jusqu'à ce qu'enfin ce prince prit le parti de les y envoyer tous les deux. Le chambellan obtint alors qu'Abou-Yahya-Abou-Bekr, frère du sultan, fût nommé gouverneur de Constantine et qu'il eût lui-même pour lieutenant, à Tunis, son propre cousin, Ali-Ibn-Ghamr. Ayant alors quitté la capitale, il se rendit à Constantine, pendant que Mansour-IbnMozni s'en alla chez lui, dans le Zab. Plus loin, nous parlerons de la révolte de celui-ci.

Ibn-Ghamr, étant entré au service du prince Abou-YahyaAbou-Bekr, en qualité de chambellan, lui proposa de se révolter contre le sultan, son frère. Quelques indices de leurs intentions éveillèrent les soupçons d'Abou-'l-Baca et lui donnèrent tant d'inquiétudes que le vice-chambellan, Ali-Ibn-Ghamr, s'en aperçut et courut se réfugier dans Constantine. Alors, le sultan plaça son affranchi, Dafer-el-Kebîr, à la tête d'une armée et l'envoya contre cette ville. Nous raconterons plus loin comment ce général s'arrêta à Bédja et ce qui lui arriva.

Quant à Ibn-Ghamr, le chambellan, il se mit en révolte ouverte, et, ayant fait appeler notre seigneur, le prince Abou-Yahya-AbouBekr, il le présenta au peuple et le fit proclamer souverain. Ceci se passa en l'an 744 (4314-2). Le nouveau sultan prit le titre d'ElMotewekkel (qui met sa confiance en Dieu) et dressa son camp en dehors de la ville de Constantine. Il y était encore, quand on vint lui annoncer qu'Ibn-Khalouf s'était déclaré contre lui.

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