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crédit dont il jouissait auprès de son sultan, il ne craignit pas de le quitter et de se rendre à la capitale pour traiter cette grave affaire. En l'an 705 (1305-6), il quitta Bougie et trouva à Tunis un accueil digne de son mérite et du haut rang de celui dont il tenait ses pouvoirs. Abou-Yahya-Zékérïa-Ibn-el-Lihyani, chef des Almohades et ministre de l'empire, le logea chez lui, le combla d'égards et lui accorda la faveur qu'il désirait tant obtenir.

L'absence du chambellan avait laissé le champ libre à l'intrigue les courtisans s'étaient empressés d'offrir leurs conseils à l'émir Abou-'l-Baca et de lui dépeindre Ibn-Abi-Djebbi comme un homme très-dangereux. Yacoub-Ibn-Ghamr l'emporta sur les autres par l'acharnement de ses délations et il trouva un bon second dans [Abou-Mohammed-] Abd-Allah-er-Rokhami, secrétaire et confident du chambellan. En agissant de cette façon, Er-Rokhami voulait se venger de la froideur qu'Ibn-Abi-Djebbi lui avait témoignée par suite des calomnies de son proche parent, Ibn-Tofeîl 1. Cet homme avait encouru la haine de tout le monde par sa fierté et par son insolence, et [par suite de son mauvais naturel] il avait travaillé à desservir Er-Rokhami. Les deux courtisans représentèrent au sultan que son ministre complotait avec le souverain de Tunis, auquel il voulait livrer Bougie et Constantine; ils lui firent aussi observer qu'Ali-Ibnel-Amîr, le gouverneur actuel de Constantine, tenait sa nomination du chambellan dont il était le gendre. Le sultan se laissa enfin pousser à la méfiance, de sorte qu'au retour d'Ibn-AbiDjebbi, il l'accueillit très-froidement. Dès lors, le souverain et son ministre se tinrent en garde l'un contre l'autre, jusqu'à ce que celui-ci demanda l'autorisation de se rendre à la Mecque. Parti de Bougie pour accomplir le pèlerinage, Ibn-Abi-Djebbi s'arrêta pendant quelque temps au milieu des tribus qui fréquentaient les campagnes de Constantine et de Bougie; ensuite, il se rendit à Tunis et resta dans cette ville jusqu'à la mort du sultan AbouAcîda et l'inauguration d'Abou-Bekr-es-Chehîd. Lors de la prise

Voy. p. 400 de ce volume.

de Tunis par Abou-'l-Baca, il profita de ce moment de confusion pour s'échapper et prendre la route de l'Orient. Quand il eut accompli le pèlerinage, il traversa l'Ifrîkïa, atteignit Tlemcen et poussa' le sultan Abou-Hammou à une expédition contre Bougie.

ABOU-ABD-ER-RAHMAN-IBN-GHAMR EST NOMMÉ CHAMBELLAN.
ANTÉCÉDENTS.

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Yacoub-Ibn-Abi-Bekr-Ibn-Mohammed-Ibn-Ghamr-es-Selmi portait le surnom d'Abou-Abd-er-Rahman. Les gens de sa maison m'ont assuré que son aïeul Mohammed avait été cadi de Xativa et qu'il vint à Tunis lors de l'émigration des musulmans espagnols qui fuyaient la domination chrétienne 2. Sous le règne d'Abou-Acîda, il habita le faubourg septentrional de la ville. Ses fils Abou-Bekr et Mohammed allèrent à Constantine où ils furent très-bien reçus par Ibn-Youkian, le cheikh almohade 3 qui gouvernait cette forteresse au nom de l'émir Abou-Zékérïa second. Abou-Bekr obtint alors la direction de la douane de Collo et sut mériter par sa bonne conduite la bienveillance de son patron. Comme il allait très-souvent à Bougie pour des affaires du service, il fit connaissance avec l'eunuque Merdjan, affranchi de l'émir Abou-'l-Baca-Khaled et officier du palais. Par l'entremise de cet ami, il trouva l'occasion de rendre plusieurs services à l'émir Abou-'l-Baça et à la mère de ce prince. Ayant ainsi gagné leurs bonnes graces, il jouit d'une haute faveur à la cour et obtint pour son fils Yacoub la main d'une de ces belles servantes que l'on éléve dans les palais des rois. A l'ombre

Dans l'arabe, il faut lire oua-aghra.

En l'an 1248, lors de la prise de Séville.

3 En lisant l'histoire des Hafsides, on doit se rappeler que celle dynastie avait conservé la religion et l'organisation politique de l'ancien empire almohade. Pour plus de clarté, le traducteur a, quelquefois, substitué, dans les chapitres suivants, le mot hafside à celui d'almohade.

d'un si haut patronage la fortune de Yacoub ne cessa de grandir, et, comme sa famille avait cultivé l'amitié du haddj Fadl, intendant du palais et favori du sultan, il entra au service de cet officier et ne le quitta plus. El-Haddj-Fadl faisait de fréquents voyages en Espagne pour y acheter de belles étoffes de soie, et il se rendait quelquefois à Tunis afin d'y chercher de riches effets d'habillement. Lors de son dernier voyage en Andalousie, il emmena avec lui [son fils et] Ibn-Ghamr, et à peine débarqué, il cessa de vivre. Alors le sultan, au lieu d'adresser ses lettres au fils de Fadl, les envoya directement à Ibn-Ghamr en lui ordonnant de terminer promptement les achats et de revenir. A son retour, Ibn-Ghamr fut interrogé par le sultan, ainsi que le fils d'El-Haddj - Fadl, au sujet de leurs opérations, et comme le premier était doué d'une meilleure mémoire que son compagnon de voyage, il répondit mieux au prince et mérita, par son zèle et son activité l'honneur d'entrer au service de l'état. Favorisé par son maître, il monta d'un emploi à un autre et, après avoir rempli les fonctions de perceveur d'impôts, il obtint la place de ministre des finances. Cette position l'exposa à la jalousie d'Ibn-Abi-Djebbi et d'Abd-Allah-er-Rokkami qui virent en lui un rival dangereux, et, en conséquence de leurs calomnies, le sultan le fit déporter en Espagne. Quand Abou-l-Baca monta sur le trône, Ibn-Ghamr fit valoir les anciens services rendus ce prince et obtint son rappel à la cour. S'étant alors embarqué avec Ali et Horein, fils d'ErRendahi1, il entra au port de Bougie pendant l'absence d'lbnAbi-Djebbi et regut du sultan un très-bon accueil. Aussitôt arrivé, il travailla avec Merdjan pour renverser ce chambellan et parvint à ses fins ainsi que nous venons de le ranconter. La place qui vaqua ainsi lui fut donnée par le sultan, et l'administration des finances fut confiée à Er-Rokhami. Comme ce dernier s'était mis au courant des fonctions de chambellan pendant qu'il

• Notre auteur a déjà parlé de Hadj boun-er-Rendahi; voy. p. 334 de ce volume. Dans l'histoire des Mérinides, il fait encore mention de ce caid.

était au service d'Ibn-Abi-Djebbi, il devint le lieutenant d'IbnGhamr et chercha ensuite à le supplanter. Pour se venger de ce mauvais procédé, Ibn-Ghamr fit découvrir au sultan certains projets de trahison qu'Er-Rokhami nourrisait en secret. Cette révélation entraîna la chute du vice-chambellan qui fut déporté en Maïorque [chez les chrétiens] après avoir subi la torture et la confiscation de ses biens. Plus tard, le sultan merinide, YouçofIbn-Yacoub, disgracia Abd-Allah-Ibn-Abi-Medyen et racheta ErRokhami pour en faire son ministre des finances, ainsi que nous le raconterons ailleurs; mais la mort de ce souverain frustra les espérances du proscrit qui, depuis lors, ne quitta plus Tlemcen, et mourut dans cette ville. Yacoub-Ibn-Ghamr, ayant conservé la place de chambellan, la remplit avec tant d'habilité que le sultan lui confia l'administration de l'état. Les fonctionnaires de tous grades furent soumis à son contrôle, et rien ne se décida dans le conseil d'état sans son approbation. Le premier individu qui succomba sous les coups de sa puissance fut son ancien protecteur Merdjan : il réussit à indisposer le sultan contre lui; puis, il le fit arrêter et jeter à la mer pour servir de nourriture aux poissons. I'ayant plus alors de rival à craindre, 'il conserva l'entière direction des affaires jusqu'au jour où Abou-'lBaca s'empara de Tunis.

IBN-EL-AMÎR PROCLAME ABOU-ACIDA A CONSTANTINE.

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LA VILLE PAR ABOU-'L-BACA E HÖRT DU CHEF RÉVOLTĚ.

Nous aurons à raconter, dans l'histoire des Mérinides, comment Youçof-Ibn-el-Amîr 3 el-Hemdani fut tué à Tanger par les

1 La disgrâce d'El-Rokhani eut lieu quelque temps après la révolte d'Ibn-el-Amir à Constantine. Voy., ci-après, p. 425.

Dans l'histoire de Youçof-Ibn-Yacoub, on cherche vainement le passage auquel l'auteur renvoie ici son lecteur.

• Variante: Amin.

[petit-] fils d'Abou-Yahya-Ibn-Abd-el-Hack. Ses enfants passèrent à Tunis afin d'obtenir du sultan El-Mostancer la juste récompense du zèle que leur famille avait déployé en faveur de la dynastie hafside, depuis le temps où Abou-Ali-Ibn-Khalas gouvernait à Ceuta jusqu'au moment où El-Azéfi usurpa le commandement de cette ville. On trouvera dans notre chapitre sur El-Azéfi les détails de ces événements 1. Accueillis à Tunis de la manière la plus bienveillante, ils reçurent du gouvernement des pensions et des grâces qui suffirent pour leur procurer tous les agréments de la vie. L'aîné de ces frères s'y fit bientôt remarquer par sa hauteur et son insolence; et, plus d'une fois, il aurait attiré sur sa famille la sévérité du gouvernement, si l'indulgence du sultan n'eût pas emporté sur le mécontentement général. Leurs enfants furent élevés dans l'opulence, et l'un d'entre eux, Abou-'l-Hacen-Ali, se retira à Bougie lors des troubles et changements qui suivirent la mort du sultan [ElMostancer]. Pendant son séjour dans cette ville, il gagna l'amitié d'Ibn-Abi-Djebbi et, pour s'attacher à lui par les liens les plus solides, il en épousa la fille. Cet homme d'état ayant obtenu de l'émir Abou-Zékérïa la place de chambellan, n'épargna aucune démarche pour faire admettre son gendre au partage de la puissance et des honneurs. Le succès répondit à ses efforts, et Abou'l-Hacen-Ibn-el-Amîr monta rapidement aux plus hauts emplois jusqu'à se faire nommer gouverneur de Constantine et chambellan du prince Abou- Bekr[-Abou-Yahya]2, fils de l'émir AbouZékérïa. Dans cette position, il montra beaucoup de talent et de prudence; mais, voyant que la chute de son beau-père l'exposait aussi à la vengeance du sultan, il fit proclamer à Constantine. l'autorité du souverain de Tunis. Avec l'acte d'hommage qu'il

Voy. aussi p 334 de ce volume.

2 Le onzième souverain hafside se nommait Abou-Bekr et portait le surnom d'Abou-Yahya. Dans cette traduction, les deux appellations sont constamment employées ensemble pour éviter la confusion à laquelle une étrange fantaisie de notre historien peut donner lieu dans le premier volume du texte arabe, il appelle presque toujours ce sultan Abou-Bekr et, dans le second, il le nomme Abou-Yahya.

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