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Constantine pour se rendre à Bougie, siége de son gouvernement. Ibn-Quezîr évita d'aller à sa rencontre et lui fit porter ses excuses les plus humbles par une députation composée des dévots de la ville. Cette démarche eut le succès qu'il désirait; le prince s'en montra satisfait et continua sa route.

Quand Abou-Fares fut arrivé à Bougie, Ibn-Ouezîr crut avoir trouvé le moment opportun pour usurper le pouvoir, et il demanda par écrit au roi d'Aragon l'envoi d'un corps de troupes chrétiennes qui s'établirait à Constantine et ferait des incursions sur le territoire du sultan. On dit même que, moyennant ce secours, il s'engagea à servir les intérêts du roi en agent dévoué. Le monarque chrétien accueillit cette proposition et annonça l'envoi d'une flotte.

Vers la fin de l'an 680 (mars-avril 1282), Ibn-Ouezîr leva le masque et se fit proclamer souverain à Constantine. L'émir AbouFares partit aussitôt de Bougie à la tête de son armée, et, ayant rallié autour de lui une foule de guerriers arabes et de cavaliers fournis par les tribus, il alla camper à Mîla. Là il reçut une députation de cheikhs de Constantine chargés, par l'usurpateur, de lui présenter des souhaits, bien peu sincères, d'amitié et de réconciliation. Le prince refusa de les écouter et marcha sur Constantine où il arriva dans la matinée du premier jour du mois de Rebîa 684 (9 juin 1282). Ayant alors rassemblé des ouvriers, il commença le siége et dressa ses catapultes, pendant que ses archers occupaient des positions plus rapprochées de la ville. L'attaque avait duré à peu près un jour, quand un détachement sous les ordres de Mohammed, fils d'Abou-Bekr-Ibn-Khaldoun, escalada les murs et pénétra dans la place. Ibn-Ouezîr soutint l'assaut avec une bravoure extrême, mais, ayant eu la retraite coupée, il mourut ainsi que son frère et tous ses partisans. Leurs têtes furent plantées sur les murailles de la ville. Abou-Fares y fit alors son entrée et parcourut les rues afin de rétablir l'ordre et rassurer les esprits. Il fit ensuite réparer les murailles et les ponts. S'étant installé dans le palais, il expédia un courrier à la capitale pour annoncer cette victoire à son père. La flotte chrétienne arriva au port de Collo, lieu de rendez

T. II.

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vous qu'Ibn-Ouezir lui avait assigné, mais cette entreprise n'eut aucun résultat1.

Trois jours après la réduction de Constantine, Abou-Fares repartit pour Bougie où il arriva vers la fin du mois de Rebiâ.

LES FILS DU SULTAN MÊNENT DES EXPÉDITIONS DANS LES

PROVINCES.

L'affection que le sultan portait à ses fils, jointe à son désir de les habituer à l'exercice de pouvoir, le décida à leur donner une haute position dans l'état. Au mois de Redjeb 681 (octobre-novembre 1282) il confia à son fils Abou-Zékérïa le commandement d'un corps d'armée, composé de troupes almohades et de milices. Le jeune prince partit alors pour Cafsa afin d'examiner l'état des provinces méridionales de l'empire et d'en faire rentrer les impôts. Cette tâche accomplie, il revint à Tunis dans le mois de Ramadan (décembre) de la même année. Son frère, AbouMohammed-Abd-el-Ouahed, reçut ensuite le commandement d'une colonne et passa dans le pays des Hoouara afin d'y prélever les impôts, contributions, droits et amendes. Abd-elQuehhab-Ibn-Caïd-el-Kelaï accompagna cette expédition afin d'en diriger les opérations et servir d'intermédiaire entre le

En l'an 1282, le roi Pierre d'Aragon se trouvait, avec sa flotte, à Collo où il s'était rendu sur l'invitation de Bolboquer (Abou-Bekr-IbnQuezir), afin de faire la guerre à Mirabusac (l'émir Abou-Ishac), quand il apprit la nouvelle des Vêpres siciliennes. Il partit aussitôt pour Palerme où il se fit couronner roi de Sicile. Pour l'histoire de cette expédition africaine, on peut consulter l'Histoire de Catalogne, par Bernard d'Esclot, texte catalan, publié par M. Buchon; Chroniques étrangères; Paris, 1840. Chap. 77 à 89. 2. Chroniques de Ramon Muntaner, version française, par M. Buchon, chap. 44 à 85.- 3° Sabæ Malaspina hist. Sicilia, apud Gregorio, Bibloth. Script. qui res in Sicilâ gestas sub Aragon. imperio retulere. Panormi, 1791, in-fol. t. 1, p. 361 à 1099. Je dois ces indications à l'obligeance de M. Amari, le savant historien des Vêpres siciliennes, ouvrage dont on peut aussi consulter l'édition de Florence, 1851. Parmi les appendices de ce volume, nous espérons pouvoir donner quelques extraits de Malaspina.

prince et les gens du pays. Arrivés à Cairouan, ils apprirent qu'un prétendant au trône avait paru chez les Debbab de la province de Tripoli. Le prince expédia un courrier à son père pour lui annoncer cette nouvelle et continua sa marche, mais, voyant le progrès rapide que faisait la cause du prétendant, il reprit le

chemin de Tunis.

LE SULTAN ALLIE SA FAMILLE A CELLE D'OTHMAN-IBN

YAGHMORACEN.

Quand Abou-Ishac quitta l'Espagne pour chercher un trône, il alla descendre chez Yaghmoracen-Ibn-Zian, à Tlemcen. Cet émir avait fait de grands préparatifs pour le recevoir, et quand il le vit arriver, entouré des cavaliers abd-el-ouadites qu'il avait envoyés à sa rencontre, il le reconnut pour souverain légitime de l'empire hafside. Se conformant alors à son usage invariable envers le chef de cette dynastie, il lui prêta le serment de fidélité et prit l'engagement de lui servir de lieutenant et de le soutenir contre tous ses ennemis. Il demanda ensuite pour son fils Othman l'insigne honneur d'obtenir la main d'une des filles de son hôte, princesses élevées à l'ombre de la tente impériale. Le sultan accueillit cette demande avec faveur et partit pour conquérir sa capitale.

Il venait d'établir son autorité dans tout le royaume des Hafsides quand Abou-Amer-Ibrahîm, fils de Yaghmoracen, arriva avec plusieurs autres chefs abd-el-ouadites, et lui représenta qu'il venait de la part de son père pour faire dresser l'acte de mariage. Le sultan les reçut avec une bonté extrême et agréa leur demande. Ils passèrent quelques jours à Tunis et se distinguèrent ensuite par leur bravoure dans plusieurs rencontres avec les troupes du prétendant; puis, en l'an 681, ils repartirent tous, comblés de faveurs et charmés de pouvoir emmener la princesse dans leur caravane1. Arrivée à Tlemcen, cette jeune per

Dans le texte arabe, lisez bi-dhaïnetihim.

sonne épousa Othman et devint la perle de leur palais, l'illustration de leur maison et un sujet de gloire pour eux et pour leur

nation'.

APPARITION DU PRÉTENDANT IBN-ABI-OMARA.

SES AVENTURES

EXTRAORDINAIRES.

Ahmed-Ibn-Merzouc-Ibn-Abi-Omara appartenait à une famille d'El-Mecîla qui était allé s'établir à Bougie. Il passa ses premières années dans cette dernière ville et prit, en grandissant, une figure assez distingué. Esprit inculte et sans instruction, il dut exercer le métier de tailleur pour avoir de quoi vivre. Malgré l'infériorité de sa position sociale, il nourrissait l'espoir de monter sur un trône, destin qu'il prétendait lui avoir été annoncé par les devins les plus habiles et dont la certitude lui paraissait assuré par la géomancie, art qu'il savait pratiquer lui-même. Ayant quitté sa ville natale, il passa dans le désert de Sidjilmessa et se présenta aux Arabes makiliens comme un descendant du Prophète, comme ce fatemide dont l'apparition est attendue par les gens grossiers et ignorants3. Il les assurait même que, par sa connaissance du grand-œuvre, il pouvait convertir toute espèce de minéral en or. Ces Arabes l'entourèrent avec empressement et, pendant quelque temps, il fut le sujet de tous leurs entretiens.

Talha-Ibn-Modaffer, cheikh des Amarna, l'une des branches de la tribu de Makil, m'a raconté qu'il avait vu cet aventurier arriver chez les Makil et tomber ensuite dans l'abandon et le mépris, quand on s'aperçut qu'il ne pouvait justifier ses grandes prétentions.

Dans l'histoire des Beni-Abd-el-Ouad, t. In de cette traduction, l'auteur parle encore de ce mariage. Abou - Zian - Mohammed, fils d'Othman-Ibn-Yaghmoracen et de la princesse hafside, succéda au trône lors de la mort de son père.

Pour bi-khatt, lisez yakhatt.

3 Voy. l'Appendice, no 1.

• Dans le texte arabe, on a imprimé, par erreur, Amaria.

Ibn-Abi-Omara se mit alors à courir les pays et, étant passé dans la province de Tripoli, il s'arrêta chez les Debbab. Ce fut là qu'il fit la rencontre d'un affranchi d'El-Ouathec appelé ElFeta-Nacir (le garçon Nacir), et surnommé Noubi (le Nubien). Cet homme, frappé de l'aspect d'Ibn-Abi-Omara, qui ressemblait beaucoup à El-Fadl, fils d'El-Ouathec, se mit à pleurer et à lui embrasser les pieds. L'autre lui demanda pourquoi il agissait ainsi, et, sur sa réponse, il lui dit : « Soutiens-moi dans » mes prétentions et tu me verras tirer vengeance de celui qui » tua vos jeunes princes. » Nacîr courut aussitôt chez les chefs arabes en poussant des cris de joie et leur annonça qu'il venait de trouver le fils de son ancien maître. Ayant réussi à leur en imposer, il les trompa complètement en leur faisant répéter par Ibn-Abi-Omara une leçon qu'il lui avait apprise et qui se rapportait à certaines conversations qui eurent lieu entre ces Arabes et El-Ouathec. Parfaitement convaincus alors que c'était le prince El-Fadl, ils lui prêtèrent le serment de fidélité 1.

Morghem-Ibn-Saber-Ibn-Asker, émir des Debbab, entreprit de faire valoir les droits de ce prétendant, rassembla ses Arabes, et alla mettre le siége devant Tripoli, ville où commandait Mohammed-Ibn-Eïça-el-Hintati, surnommé populairement Onk-el-Fidda (cou d'argent). Ne pouvant s'en emparer, les insurgés allèrent à Zenzour et tombèrent sur les Medjris, population hoouarite qui demeurait dans le voisinage de cette ville. Ils parcoururent alors toute cette partie du pays et prélevèrent l'impôt chez les Lemaïa, les Zouaza et les Zouagha. Quant aux Nefouça, aux Gharîan et aux Maggher, tribus hoouarites, le prétendant les frappa d'une contribution extraordinaire. Il marcha ensuite sur Cabes où il reçut, en Redjeb 681 (oct. 1282), les hommages empressés d'Abd-el-Mélek-Ibn-Mekki, qui lui prêta le serment de fidélité « afin, disait-il, d'acquitter les » obligations que je dois à vos aïeux, » mais, en réalité, pour frayer le chemin à l'indépendance qu'il ambitionnait pour lui

1 Dans le texte arabe, lisez bîatéhom.

Les manuscrits et le texte arabe imprimé portent Zouara.

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