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franchirent les défilés et les cols, et ayant débouché dans les plaines de la France, ils soumirent ces régions et y répandirent la dévastation. Ensuite, d'autres bandes continuèrent à y pénétrer, se conformant ainsi aux ordres des Oméïades d'Espagne. Les Aghlébites, à l'instar de leurs prédécesseurs dans le gouvernement de l'Afrique, avaient l'habitude d'envoyer des armées et des flottes musulmanes contre les Francs. Ils leur enlevèrent ainsi la possession des îles de la Méditerranée, et ils allèrent les attaquer même dans le sein de leur pays. Dès lors, le désir de la vengeance et l'espoir de recouvrer ce qu'ils avaient perdu ne cessèrent d'animer les Francs. De tous ces peuples, les Grecs étaient les plus voisins des côtes de la Syrie et les plus ardents à reprendre ces contrées. La puissance des Grecs s'étant ensuite affaiblie, tant à Constantinople qu'à Rome, celle du royaume des Francs devint formidable. Ceci eut lieu bientôt après la chute du khalifat de l'Orient. Alors, les Francs aspirèrent à conquérir les citadelles et les fortereses de la Syrie.

Dans une expédition qu'ils dirigèrent contre ce pays, ils en occupèrent la plus grande partie; et, s'étant emparés de Jérusalem, ils y bâtirent la grande église qui remplaça la mosquée d'El-Acsa. A plusieurs reprises, ils attaquèrent l'Egypte et le Caire; mais, enfin, vers le milieu du vio siècle de l'hégire, Dieu donna à l'Islamisme un bouclier puissant dans la personne de Salah-el-Din (Saladin) Ibn-Aïoub-el-Kordi, et permit aux torrents du châtiment céleste de déborder sur les infidèles. Salahel-Dîn déploya une grande vigueur dans cette guerre : il enleva aux Francs les places qu'ils avaient conquises, purifia la mosquée El-Acsa des souillures laissées par les fausses doctrines de l'infidélité, et ayant soutenu la guerre sainte jusqu'à l'heure de sa mort, il remplit ainsi le meilleur des devoirs.

Dans le vn° siècle, pendant le règne d'El-Mélek-es-Saleh, souverain de l'Egypte et de la Syrie, les Francs arrivèrent de

Le khalifat de Baghdad fut renversé par les Tartars, en 1258 de J.-C.

* Il faut lire nazelou, à la troisième forme.

nouveau dans le premier de ces pays. L'émir Abou-Zékérïa régnait alors à Tunis. Ils campèrent auprès de Damiette, et s'en étant rendus maîtres, ils envahirent successivement les villages de l'Egypte. Sur ces entrefaites, El-Mélek-es-Saleh mourut, et son fils El-Moaddem lui succéda. Les musulmans profitèrent alors de la crue du Nil pour ouvrir les écluses, rompre les digues et enfermer l'armée ennemie. Une foule d'infidèles y perdit la vie, et leur sultan [St-Louis] fut pris sur le champ de bataille et amené devant le sultan d'Egypte. On l'emprisonna à Alexandrie; mais, plus tard, le sultan lui accorda la liberté, moyennant la reddition de Damiette et l'engagement de ne plus faire la guerre aux musulmans.

Peu de temps après, le chef des Francs rompit le traité et se décida à mener une expédition contre Tunis. L'on dit qu'il motiva sa conduite sur le fait suivant : des marchands de son pays. avaient prêté de l'argent à Lulîani. Après la catastrophe qui ferma la carrière de ce fonctionnaire, les marchands réclamèrent du sultan le remboursement de la somme prêtée, et qui se montait à trois cent mille dinars. Comme ils ne produisirent aucune pièce à l'appui de leur demande, le sultan repoussa leurs prétentions. Alors, ils allèrent s'en plaindre à leur roi. Ce prince prit parti pour eux et se laissa pousser à entreprendre une expédition contre Tunis, « ville, disaient-ils, très-facile à prendre, vu la famine et la grande mortalité qui la désolent. >>

Alors le Français, roi des Francs, Louis, fils de Louis, et surnommé dans leur langage Réda-Frans, c'est-à-dire : Roi de France, envoya chez tous les rois chrétiens, pour les inviter à faire partie de cette expédition. Il transmit aussi un message au pape, personnage que les chrétiens regardent comme le vicaire du Messie, et ce dignitaire encouragea tous les autres rois à seconder les efforts du roi de France. Il lui permit même d'enlever aux églises l'argent dont il pourrait avoir besoin3. Ces nouvelles

1 Voy., ci-devant, p. 350.

Près de trois millions de francs.

Ce fait est confirmé par les historiens de Saint-Louis.

s'étant répandues dans toute la Chrétienté, plusieurs de leurs princes répondirent à l'appel. Dans le nombre se trouvèrent le prince d'Angleterre (Edouard, fils de Henri III)1, le prince d'Ecosse (Jean de Bailleul), le prince (duc) de Luxembourg' et le roi de Barcelone, Réd Ragon (roi d'Aragon)3. C'est Ibnel-Athir qui nous fournit ces détails.

Ces préparatifs répandirent l'inquiétude par toutes les frontières de l'Islamisme, et (El-Mostancer), le sultan de Tunis, fit amasser des vivres dans les provinces de son empire, afin d'approvisionner les ports de mer. D'après ses ordres, on répara les murailles des villes, on forma des dépôts de grains et on empêcha les marchands chrétiens de pénétrer dans le territoire musulman. Il envoya aussi des ambassadeurs auprès du roi des Français, afin de connaître ses intentions et de lui proposer des conditions de paix assez avantageuses pour arrêter son ardeur guerrière. Pour appuyer leurs négociations, ces envoyés, dit-on, emportèrent avec eux une somme de quatre-vingt mille pièces d'or. Le roi accepta l'argent et leur déclara ensuite que l'expédition serait dirigée contre leur pays. Quand ils redemandèrent l'argent, le roi répondit qu'il ne l'avait pas reçu 5. Pendant qu'ils

Édouard arriva avec les croisés d'Ecosse et d'Angleterre, peu de jours après la signature de la paix.

Les manuscrits portent Lourek ou Tourk, altération du mot Lousembourk que les copistes ont mal lu.

3 Jacques, roi d'Aragon, prit la croix; mais le mauvais temps empêcha sa flotte se de rendre à Tunis,

Ibn-el-Athîr est l'auteur des Annales de l'Islamisme, grand ouvrage en plusieurs volumes, renfermant les détails les plus précieux sur tout ce qui se rapporte aux dynasties musulmanes. Les chapitres qui traitent des croisades sont de la plus haute importance. A la suite de ma mission littéraire à Constantinople, en 1846, je fus assez heureux de pouvoir rapporter au ministère de l'instruction publique la liste des manuscrits orientaux qui se trouvent dans les grandes bibliothèques de cette ville, et un exemplaire très-ancien de l'ouvrage d'Ibn-el-Athîr. C'en est peut-être le seul complet qui existe. Il est maintenant déposé dans la Bibliothèque impériale de Paris.

5 Ibn-Khaldoun rapporte cette anecdote comme un on dit, preuve, de sa part, qu'il avait de la peine à y

croire.

.

étaient avec lui, il arriva un ambassadeur envoyé par le souverain d'Egypte. On le présenta au roi des Français, qui l'invita à s'asseoir. L'ambassadeur refusa, et, debout comme il l'était, il récita les vers suivants, d'Ibn-Matrouh, poète du sultan d'Egypte1:

<< Va dire au Français ces paroles d'un moniteur sincère :

» Que Dieu te rétribue d'avoir fait mourir tant de chrétiens, >> adorateurs du Messie!

»Tu vins en Egypte, espérant la subjuguer; tu pensais alors, » tambour bruyant! que le son de nos trompettes ne serait >> que du vent.

>> Le destin te poussa vers une catastrophe qui rendit la terre » trop étroite pour cacher ton désespoir;

» Et, par ta mauvaise politique, il te fallut déposer tous tes >> compagnons dans le sein du tombeau.

>> De soixante-dix mille qu'ils étaient, on n'en voyait plus que >> des morts et des prisonniers criblés de blessures.

>> C'est Dieu qui t'inspira un pareil projet, afin de délivrer le » Messie de vos importunités.

» Si le pape y donna son approbation,

»seils d'un ami portent malheur,

et souvent les con

» Garde-le pour être ton oracle! il sera pour toi un meilleur » devin que Chick ou Satih 2.

>> Annonce aux Français, s'ils se décident à y retourner pour venger leur affront ou commettre des actes indignes,

>> Que la maison de Locman est encore prête; que les chaînes

» et le taouachi Sabîh s'y trouvent encore! >>

La maison de Locman était le nom d'un endroit, à Alexandrie, dans lequel on emprisonna le roi de France, et Sabîh était la personne chargée de le garder. Le mot taouachi est employé par les habitants de l'Egypte dans le sens d'eunuque.

1 Cette anecdote est racontée par plusieurs historiens musulmans; mais, présentée de la manière qu'lhn-Khaldoun la rapporte, elle est indigne de foi.

* Deux devins qui prédirent, dit-on, la naissance de Mahomet.

La récitation de ce morceau ne servit qu'à accroître l'arrogance du roi il ne donna aucune satisfaction aux ambassadeurs et leur déclara même son intention de rompre le traité et d'atta quer Tunis, parce qu'il venait de reconnaître que le gouvernement de cet état avait plusieurs fois violé ses engagements.

Le même jour, les ambassadeurs des diverses nations reçurent leur congé, et ceux du sultan de Tunis partirent pour informer leur maître de la position des choses.

Le roi, ayant rassemblé ses troupes, s'embarqua avec elles et mit à la voile le dernier jour de Dou'l-Câda 6681. Il rallia le reste de la flotte en Sicile, dit-on, ou en Sardaigne. En partant de là, il indiqua pour rendez-vous la rade de Tunis.

Le sultan, de son côté, ordonna à ses sujets de se préparer pour recevoir l'ennemi, et de prendre position dans tous les endroits de leur voisinage où un débarquement pourrait s'effectuer. Les galères qu'il envoya à la découverte ne rapportèrent aucune nouvelle, et plusieurs jours s'étaient écoulés quand la flotte ennemie se montra et vint mouiller au port de Carthage. Le sultan réunit aussitôt plusieurs hommes d'expérience, tant almohades qu'andalousiens, et délibéra avec eux sur la question de savoir s'il serait mieux de laisser l'ennemi effectuer son déharquement ou de s'y opposer. Les uns émirent l'avis qu'il fallait l'en empêcher; qu'alors, après avoir épuisé ses vivres et son eau, il se verrait dans la nécessité de mettre à la voile et de s'en aller. Les autres repoussèrent cet avis, par la considération que ce serait éloigner l'ennemi d'un mouillage voisin d'une grande capitale, ayant une forte garnison et bien approvisionnée, et lui permettre d'aller surprendre et occuper quelqu'autre ville

1 Cette date répond 22 juillet 1270; mais il est certain que la flotte de Saint-Louis mit à la voile le 4 juillet de cette année.

Ce fut en Sardaigne, dans la rade de Cagliari, que la flotte jeta l'ancre.

3 Dans le texte arabe, il faut lire ainoho feraraho (son aspect fut l'indication de son caractère). Expression proverbiale qui se trouve indiquée dans les dictionnaires sous la racine ferr.

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