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été admis dans la société du sultan comme auparavant, il reprit son habitude de lancer des sarcasmes contre son patron. Un soir qu'il y était question du jour de la naissance d'El-Ouathec [fils du sultan], le père, auquel on s'adressa pour le savoir, répondit qu'il n'en avait aucun souvenir. Ibn-el-Abbar saisit aussitôt l'occasion de vexer le sultan [en se montrant plus savant que lui]; il fit connaître non-seulement la date de cet événement mais aussi l'horoscope qu'il en avait tiré. Ce trait fut d'autant plus mal-adroit que, depuis quelque temps, ses ennemis l'avaient dépeint comme un homme qui se mêlait d'astrologie, afin d'attirer quelque malheur sur l'empire. Le sultan céda enfin à ses soupçons et le fit arrêter sur le champ. Tous les écrits que l'on put découvrir dans la maison du prisonnier furent apportés au palais, et parmi ces pièces se trouva dit-on, une feuille de papier sur laquelle était inscrit un poème qui commençait ainsi :

A Tunis domine un sot tyran,

Qu'à tort on intitule khalife.

Le sultan fut tellement courroucé à la lecture de ce morceau, qu'il en fit mettre l'auteur à la torture et achever à coups de lance. Ceci se passa vers le milieu de Moharrem 638 (janvier 1260). Le cadavre de ce malheureux, ses livres, ses poésies et ses recueils de notes écrites sous la dictée de ses professeurs furent brûlés ensemble sur le même bûcher.

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Abou-'l-Abbas-el-Lulîani naquit à El-Mehdïa, ville dont son père était gouverneur, mais sa famille habitait un village voisin, appelé Lulîana. S'étant appliqué à l'étude du texte coranique et à la transcription de livres, il devint très-habile dans les sciences philologiques, et, après avoir étudié la jurisprudence [musulmane] sous un natif de Barca nommé Abou-Zékérïa, il se livra à l'examen des doctrines enseignées par les [ anciens ] philosophes. Obligé d'accepter une place de collecteur d'impôts afin d'avoir

de quoi vivre, il s'exposa à être accusé de malversation, et ne put se tirer d'affaire qu'en payant une forte amende. Cet échec ne nuisit pas à son avancement, et il finit par devenir l'associé [et banquier] de tous les fonctionnaires que le gouvernement employait dans l'administration des provinces. Une grande habilité dans la conduite des affaires et un talent particulier de faire valoir l'argent lui avaient procuré cette position. 11 travailla ensuite à décréditer ses associés afin de s'emparer de leurs places; mais, comme la plupart d'entre eux étaient les créatures d'IbnAbi-'l-Hocein, il s'attira l'inimitié de ce ministre. Les affranchis du sultan et les intimes du palais furent endoctrinés par Ibn-'lHocein et se mirent à indisposer leur maître contre El-Luliani auquel ils attribuaient l'intention de soulever la ville d'El-Mehdïa. Ces insinuations avaient déjà produit un certain effet, quand le sultan dit un jour à Abou-'l-Abbas-el-Ghassani qui était venu le voir « Donne-moi un hémistiche pour appareiller celui-ci : C'est aujourd'hui un jour de pluie;

El-Ghassani répondit sur le champ :

Faisons que le mal s'enfuie.

Le sultan comprit l'allusion et lui dit de continuer. Alors ElGhassani prononça ces lignes :

Il y a neuf ans, cette année-ci,

Qu'eut lieu l'affaire de Djouheri ',

Et elle reparait aujourd'hui.

Par ces paroles il voulait porter le sultan à des mesures extrêmes contre El-Luliani, et il y réussit. On arrêta ce fonctionnaire ainsi que son ennemi déclaré Ibn-el-Attar, autre employé du gouvernement, et on confia leur interrogatoire à Abou-Zeid-Ibn-Yaghmor. Cet agent leur arracha de fortes sommes d'argent par l'emploi de la torture; mais il s'acharna surtout contre El-Luliani.

Voy., ci-devant, pag. 312.

Tant que cette enquête dura, El-Luliani continua à se rendre régulièrement à son bureau. Alors on fit répandre le bruit qu'il allait s'enfuir en Sicile, et sur l'aveu d'un de ses affidés, on décida sa mort. Livré à Hilal, chef du corps des affranchis européens, il mourut sous la bastonnade. Son cadavre fut exposé aux insultes de la populace qui finit par en détacher la tête. Les parents et amis de ce malheureux furent enveloppés dans la proscription et périrent tous par l'ordre du sultan.

ABOU-ALI-EL-MILIANI EST CHASSE DE MILIANA PAR L'EMIR
ABOU-HAFS.

Après la prise de Tlemcen par Abou-Zékérïa et la soumission de Yahgmoracen, tout le Maghreb central, depuis la province de Tlemcen inclusivement jusqu'à Bougie, obéissait à la domination hafside. A peine, cependant, l'autorité du sultan eut-elle cessé de s'y faire sentir que les tribus d'origine zenatienne, populations fières et puissantes, commencèrent encore à se faire la guerre. Or, le sultan, en partageant les territoires du Maghreb centre ces nomades, avait donné Miliana aux Beni-Ourcîfan, peuplade maghraouienne. A cette époque le jurisconsulte et traditionniste Abou- 'l-Abbas-el-Miliani, homme aussi distingué par le savoir que par ses mœurs et sa piété, se trouvait dans cette ville. Les docteurs les plus habiles venaient de tous les côtés pour entendre ses leçons, et le conseil administratif de Miliana l'avait choisi pour son président. Abou-Ali, son fils, était d'un caractèré tout différent : rempli d'ambition, sans posséder une seule bonne qualité pour le lui faire pardonner, il se laissa entraîner par la fougue de la jeunesse et conçut l'espoir de se rendre indépendant. Cela lui semblait d'autant plus facile qu'il voyait l'autorité hafside en Maghreb s'affaiblir de jour en jour et la guerre se prolonger entre les Maghraoua et Yaghmoracen, leur voisin et adversaire déclaré. Cet état de choses le décida à répudier la souveraineté des Hafsides et à se faire proclamer seigneur de Miliana.

Le sultan, ayant appris la nouvelle de cette insurrection, plaça son frère, l'émir Abou-Hafs, à la tête d'une division de troupes composée des divers corps de la milice, et lui donna pour collègues l'émir Abou-Zeid-Ibn-Djamê et Don Henri, frère du roi Alphonse1. Cette armée quitta Tunis l'an 659 (1264), et, à la suite d'une marche très-rapide, elle arriva sous les murs de Miliana, y mit le siége et l'emporta d'assaut. Abou-Ali réussit à s'évader et à trouver un asile chez les Beni-Yacoub, fraction de la tribu d'Attaf, l'une des grandes branches de la tribu des Zoghba. Ses protecteurs le firent passer dans le Maghreb-elAcsa où il resta pendant quelque temps. Plus loin, nous aurons encore l'occasion de parler de lui 2.

Après avoir fait son entrée dans Miliana et rétabli l'ordre dans les pays voisins, Abou-Hafs donna le commandement de la ville à [Mohammed-]Ibn-Mendil, émir des Maghraoua. Cet officier y maintint l'influence des hafsides, et, de même que les autres chefs de sa tribu, auxquels le sultan avait accordé des commandements, il se conduisit en serviteur dévoué.

Abou-Hafs repartit alors pour Tunis et, pendant qu'il était en marche, reçut de son père le brevet de sa nomination au gouvernement de Bougie. Le plaisir d'être auprès du sultan l'emporta sur l'ambition, et, à force d'instances, cet émir parvint à s'y faire remplacer par le cheikh Abou-Hilal-Eïad-Ibn-Saîd-elHintati. Rentré dans la capitale en l'an 661 (1262-3), il monta, longtemps après, sur le trône. Le lendemain de son arrivée, il eut la douleur de perdre son frère germain, Abou-Bekr-IbnAbi-Zékérïa. La famille royale et le public furent vivement affligés de ce malheur, et le sultan lui-même présida aux obsèques du défunt.

Voy, ci-devant, p. 347.

Ici l'auteur renvoie au chapitre sur les Aulad-Mendil, qui se trouve dans le troisième volume de cette traduction. Il parle encore d'AbouAli daus le chapitre sur El-Milîani qui se trouve, ci-après, dans l'hiştoire des Mérinides, règne du sultan Abou-Yacoub-Youçof.

T. II.

23

EVASION D'ABOU-'L-CACEM-IBN-ABI-ZEID ET SA REVOLTE CHEZ

LES RIAH.

Abou-'l-Cacem', fils d'Abou-Zeid, fils du cheikh AbouMohammed, vivait dans la famille de son cousin, le khalife, et recevait de lui une pension pour son entretien. Son père AbouZeid fut celui qui exerça le commandement [de l'Ifrikïa] après la mort du cheikh Abou-Mohammed et qui rentra ensuite en Maghreb. Abou-'l-Cacem vint [en Ifrîkïa] avec l'émir AbouZékérïa auquel son père, en mourant, l'avait confié. Il ne le quitta plus jusqu'au moment de sa révolte, action à laquelle il s'était laissé porter en conséquence d'un bruit qui venait de circuler et dont il craignait les suites. Voici de quoi il s'agissait : le sultan avait fait frapper des monnaies de cuivre, semblables aux folous de l'Orient et dont la valeur intrinsèque égalait celle qu'elles representaient. En ceci, il avait eu pour but de rendre un service au public en lui donnant une monnaie dont l'emploi devait faciliter les achats et les ventes. Il s'y était décidé surtout en voyant les monnaies d'argent s'altérer de plus en plus par la cupidité des changeurs et des fondeurs juifs. Ces pièces de cuivre s'appelaient handous 3. Bientôt, les malfaiteurs se mirent à en frapper des quantités n'ayant pas le poids requis; aussi finirent-elles par devenir tout-à-fait mauvaises. Ce fut en vain que le sultan condamna à mort plusieurs des coupables; rien ne put arrêter le mal. A la fin, le peuple ne voulut plus recevoir la nouvelle monnaie et en demanda la suppression; des paroles on

1 Dans plusieurs endroits de cet ouvrage, on trouve Cacem et ElCacem à la place d'Abou-'l-Cacem.

Jusqu'alors, on se servait dans le petit commerce de coupures de monnaies d'argent, ainsi que cela se faisait chez plusieurs autres peuples musulmans. Dans le texte arabe, il faut lire bi-açouakihom à la place de bi-açrafiha.

3 Selon Es-Cherîchi, dans son commentaire sur les Séances d'ElHariri, les handous étaient des coupures de dirhems (monnaies d'argent).

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