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Poussé par la tempele, il a déployé ses derniers efforts, à l'instar du coursier auquel tu fais déployer (ce qui lui reste de forces) pour atteindre le bout de la carrière.

Il est venu trouver (Abou Zékérïa -] Yahya, fils d'Abd-elOuahed, fils d'Abou-Hafs, afin de baiser le sol que sa présence a sanctifié.

Ce prince auquel bien des royaumes obéissent comme seigneur spirituel et temporel; maintenant qu'ils ont revélu la robe de sa bienveillance.

[il est venu trouver un prince] dont chaque voyageur s'empresse de baiser la main, et vers lequel chaque malheureux accourt pour obtenir des bienfaits.

[Un prince] favorisé de Dieu, dont les flèches frapperaient les étoiles, s'il lui plaisait d'y viser, et auquel la limite du monde dirait, sans hésiter : « Me voici à ton service, » s'il lui ordonnait d'approcher.

(A lui appartient] un émirat dont le drapeau est porté par la main du deslin, et un empire dont la puissunce entraine tous les obstacles !

Chez lui, la lumière du jour provient de l'éclat de ses dents, et la couleur foncée de ses lèvres fournit des ténèbres à la nuit.

On le croirait lu lune, entouré, comme il l'est, d'un halo de gloire et d'une garde de lances qui étincellent (comme les étoiles].

A lui, appartiennent deus stations : la terre et les pléiades; stations auxquelles ce qui est exalté (les planètes) et ce qui est enraciné dans la terre [les montagnes) doivent céder en sublimité.

Roi favorisé de Dieu! tu seras pour l'Espagne un [siyne de] majesté devant lequel les ennemis de la foi tomberont renversés.

· Le mot el-caaça paraît tirer sa significalion du verbe dérivé tacaaca.

2 Dans la poésie arabe, on dit que les dents d'une belle personne ré pandent une clarté comme celle du jour et que l'incarnat de ses lèvres. est lellement foncé qu'il ressemble aux lénèbres de la nuit.

1

On regarde comme une nouvelle certaine que tu dois rendre la vie à co pays en donnant la mort aux rois des Francs 1.

Purife (par le sang] ton pays [l'Espagne) de la souillure que lui imprime la présence de l'ennemi; lu pureté ne s'obtient qu'en lavant les souillures.

Qu'une armée invincible foule le sol espagnol, jusqu'à ce que la tête de chaque chef s'abaisse (devant toi].

Porte secours à tes serviteurs qui, au fond de l'Espagne orientale, ont les yeux remplis de larmes ?.

Ils se sont dévoués à ton service; mais leur séjour, miné par une maladie, vu s'écrouler, à moins que tu n'y porles remède.

Jouis d'avance du bonheur que tu goûteras en dotant l'Andalousie de chevaux sveltes et de lances effilés.

Indique lui l'époque de la victoire qu'elle s'attend à remporter; espérons que le (dernier] jour de l'ennemi va bientot arriver/

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L'émir Abou-Zékérïa exauca celle prière et fit partir pour l'Espagne une flotte chargée de vivres, d'armes et d'argent, le tout évalué à cent mille pièces d'or. Abou-Yahya, fils de YahyaIbn-es-Chehîd le hafside, qui commandait cette expédition, parut devant Valence et, trouvant la ville étroitement bloquée [ainsi que nous l'avons dit], il alla débarquer ces munitions à Dénia. Comme personne ne s'y présenta au nom d'Ibn-Merdenich pour les recevoir, il prit le parti de tout vendre et d'en rapporter le prix. Valence souffrait alors à un tel degré par suite du blocus qu'un grand nombre des habitants mourut de faim; aussi, dans le mois de Safer 636 (sept.-oct. 1238), la gar

! Littéralement : aus rois des jaunes. Les emperears romains, après Vespasieo, adoplèrent le surnom de Flavius, et les rois Goths d'Espagne en fireol de même. C'est probablement pour celle raison que les musulmans donnent aux peuples chréliens les ooms de Beni-l-Asfer (enfant du jaune) et Beni-'s-Sofr (enfants des jaunes). Ils auront pris Flavius pour pavus.

• Le poète ajoule ici : qui coulent par pair et impair; c'est-à-dire avec abondance.

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nison entra en pourparlers et livra la place à Djacma (Jayme), roi d'Aragon. Ibn-Merdenîch quitta la ville lors de cette capitulation et passa dans l'île de Xucar où il fit proclamer la souveraineté d'Abou-Zékérïa. Quant à Ibn-el-Abbar, il repartit pour Tunis et entra au service du sultan.

Ibn-Merdensch ayant été expulsé de Xucar par l'ennemi qui était venu l'y assiéger, se rendit à Denia, dans le mois de Redjeb (février-mars 1239) de la même année, et fit prêter aux habitants le serment de fidélité envers Abou-Zékérïa. Ensuite, il pratiqua des intelligences avec les habitants de Murcie qui, vers le commencement de l'année, avaient reconnu pour souverain Abou-Bekr-Aziz-Ibn-Abd-el-Mélek-Ibn-Khattab. Secondé par eux, il força les portes de la ville, dans le mois de Ramadan (avril-mai 1239), ôla la vie à ce chef, envoya à l'émir AbouZékérïa l'adhésion des habitants et rangea sous son obéissance l'Andalousie orientale. En 637 (1239-40), ses ambassadeurs lui rapportèrent de Tunis un acte qui le confirmait dans le gouvernement de ce pays. Il s'y maintint encore un an; mais, s'étant laissé enlever la ville de Murcie par Ibn-Houd, il dut. se retirer dans la forteresse de Lecant-el-Hosoun (Luchente). En l'an 644 (1246), quand le roi de Barcelonne lui enleva cette place?, il se rendit à Tupis.

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ÉLÉVATION ET CAUTE D'EL-DJOUBERI.

Mohammed, fils de Mohammed-el-Djouheri (le joailler), s'était acquis une haute réputation par les talents qu'il déploya au service d'Ibn-Agmazîr-el-Hintati, gouverneur de Ceuta et du pays

des Ghomara, mais son habileté dans les affaires était encore moins grande que son ambition. Ayant obtenu une place, à Tunis, dans les bureaux du gouvernement, il rechercha toutes les occasions qui pourraient contribuer à lui gagner la faveur du souverain et à se faire donner de l'avancement. Les impôts

1 Le château de Luchenle fut pris en 1268, selon Ferreras.

fournis par les peuplades berbères qui campaient au milieu des Arabes nornades, n'étaient pas encore fixés d'une manière précise, on ne les enregistrait même pas dans les bureaux. Cette circonstance ayant amené El-Djouheri à conclure que les percepleurs et les gouverneurs des provinces en détournaient une bonne partie à leur profit, il obtint la direction de cette branche des contributions et en fit rentrer et enregistrer pour une valeur considérable. L'emploi qu’on venait de lui accorder forma une administration à part sous le nom de bureau des nomades". La réputation qu'il sut acquérir dans l'exercice de ses nouvelles fonctions le fit remarquer par tous les fouctionnaires publics et lui attira la faveur et la confiance du souverain. La mort d'Abou'r-Rebiâ-Ibn-el-Ghoreigher-el-Guenficeni?, directeur général des contributions à Tunis, eut lieu vers cette époque, et El-Djouberi réussit à obtenir sa nomination à la place vacante, bien que, jusqu'alors, elle n'avait jamais été confiée qu'à l'un ou à l'autre des grands cheikhs almohades ; mais il avait tellement plu au sultan par son zèle et son habileté, que celte nomination n'éprouva aucune difficulté. Parvenu enfin à la position qu'il avait si ardemment recherchée, El-Djouheri crut faire servir son élévation au profit de son ambition : il adopla l'habillement militaire, équipa à ses frais un corps de cavalerie et, toutes les fois

à qu'il allait guerroyer contre les bédouins, il s'entourait des emblèmes de la royauté.

Pendant qu'il poursuivait ainsi sa carrière, Abou-Ali-Ibn-enNôman et Abou-Obeid-Allah-Ibn-Abi-'l-Hacen travaillaient à le perdre. Mécontents du peu d'égards qu'il leur avait témoigné, ils cherchaient à le desservir auprès du sultan, auquel ils représentèrent qu'un tel homme était fort à craindre et qu'il pourrait se mettre en révolte au moment où l'on s'y attendrait le moins. Il est vrai qu'El-Djouheri donnait beau jeu à ses ennemis par sa forfanterie : l'on rapporte qu'un jour il dit au sultan, qui le consultait sur la manière de mettre à la raison quelques révoltés : « J'ai ici, à votre porte, mille cavaliers avec lesquels je me fais » fort d’écraser autant que vous voudriez de gens de cette es» pèce. » Ces paroles firent une très-mauvaise impression sur l'esprit du prince; il tourna le dos au fonctionnaire trop présomptueux et demeura parfaitement convaincu de la vérité des accusations

* Bn arabe : aml el-Omoud (administration de l'omoud). L'omoud est le bâton ou mal qui soutient la leole des nomades.

2 Variedlc : el-Guenfiti.

que l'on avait dirigées contre lui. Quand Abd-el-Hack-Ibn-Youçof-Ibn-Yacîn fut envoyé à Bougie avec (Abou-Yahya-]Zékérïa, fils du sultan, pour y remplir, auprès de cet émir, les fonctions de ministre des finances, EIDjouberi lui adressa ces paroles : « Vous devez cette nouvelle » position aux démarches que j'ai faites en votre faveur; aussi, » vous aurez, dorénavant, à me montrer un dévouement à toute » épreuve et à vous conduire uniquement d'après les ordres que » je vous adresserai par écrit. » L'émir Zékérïa, à qui Abd-elHack rapporta ce discours, en fut extrêmement irrité, et il s'indigna surtout de ce qu'un homme tel qu'El-Djouheri prétendit lui enlever le droit de commandement.

Le sultan continua à recevoir d'autres dénonciations de la même nature que les précédentes et il en garda le souvenir en attendant le moment d'agir. Un délit, légalement constaté, lui procura enfin l'occasion de punir El-Djouberi et, en l'an 639 1 (1241-2)", ce ministre fut arrêté et livré à la vengeance de ses ennemis Ibn-Berân et En-Nedromi . Pendant plusieurs jours, il supporta avec une fermeté extraordinaire les tortures auxquelles on le soumit; mais, un matin, il fut trouvé mort dans sa prison. L'on rapporte qu'il s'était étranglé de sa propre main. Son cadavre, jeté dans la rue, resta exposé à toutes les insultes que ses ennemis purent imaginer.

Le texte et les manuscrits portent 689. Celle date est fausse.

2 Ces deux individus sont probablement les mêmes que notre auleur a désignés plus haut par les noms d'Ibo -en-Noman et d'Abou-ObeidAllah.

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