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exposés sur les murs de Tripoli. Cette exécution obtint l'approbation générale et donna aux poètes l'occasion d'adresser au sultan des vers de félicitation.

Au nombre de ceux qui périrent avec El-Herghi se trouva Mohammed-Ibn-Abi-Amran-Ibn-Amran, fils du grand cadi de Maroc. Arrivé à Tunis sans emploi, il était allé à Tripoli où il s'était attaché au service d'El-Herghi, et, comme le bruit s'était répandu qu'il avait composé un discours pour l'inauguration de son patron, cette circonstance lui coûta la vie.

Il y avait aussi à El-Mehdïa un agent politique du gouvernement almohade, nommé Abou-Hamra 1, qui s'était distingué par sa bravoure dans les expéditions maritimes. Il avait exercé le commandement de la flotte et, par de fréquentes courses, il était parvenu à inspirer un tel effroi aux guerriers des nations infidèles qu'il avait mis les côtes du territoire musulman à l'abri de leurs attaques. La renommée venait de répandre au loin le bruit de ses exploits, quand la rumeur publique l'accusa d'avoir eu des intelligences secrètes avec El-Djouheri et El-Herghi. L'on disait aussi que le cadi d'El-Mehdïa, Abou-Zékérïa-el-Barki (natif de Barca), avait eu connaissance de leurs machinations. Un mandat impérial fut donc expédié à Abou-Ali-Ibn-Abi-Mouça le hafside, lui ordonnant de faire mourir Ibn-Abi-'l-Ahmer et d'envoyer le cadi prisonnier à la capitale. Quand El-Barki y fut arrivé, le sultan soumit sa conduite à une enquête et, reconnaissant son innocence, il le fit mettre en liberté et le renvoya à El-Mehdïa.

On fit aussi mourir à Tunis un soldat que l'on soupçonnait avoir trempé dans la conspiration d'El-Herghi et fait des démarches pour soulever les milices. Comme cet homme était l'ami intime de Rehab-Ibn - Mahmoud, émir des Debbab, le sultan [voulut éviter l'éclat d'une condamnation publique et] le fit assassiner par quelques misérables appartenant à la race des Zenata. Jamais on ne rechercha les auteurs de ce crime. Le sultan continua à poursuivre et à faire exécuter tous les

1 Quelques lignes plus loin, ce nom est écrit Ibn-Abi-'l-Ahmer.

T. II.

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individus qui s'étaient mêlés dans cette conjuration, et il ne s'arrêta qu'après avoir effacé jusqu'aux derniers vestiges de trahison.

VALENCE, MURCIE ET L'ESPAGNE ORIENTALE RECONNAISSENT LA SOUVERAINETE D'ABOU-ZÉKÉRÏA ET LUI ENVOIENT UNE DÉPUTATION.

:

A l'époque où Ibn-Merdenîch-Abou-Djemîl-Zian, fils d'AbouHamlat-Modafê, fils d'Abou-'l-Haddjadj, fils de Sad, enleva la ville de Valence au cîd Abou-Zeid, fils du cîd Abou-Hafs, l'influence que la dynastie d'Abd-el-Moumen avait exercée en Espagne venait de s'éteindre. Après la révolte d'Ibn-Houd contre ElMamoun [le souverain almohade] et la guerre qui en fut la suite, Ibn-el-Ahmer s'empara d'Arjona; ensuite, de toute part, le tumulte des combats retentit dans ce malheureux pays. Le roi chrétien [Saint-Ferdinand] attaqua, de plusieurs côtés, les frontières musulmanes, et le roi d'Aragon établit le blocus autour de Valence. Pendant l'année 633 (1 235-6), les musulmans eurent à soutenir sept siéges contre les chrétiens deux à Valence, un à l'île de Xucar et Xativa, un à Jaen, un à Tavira, un à Murcie et un à Niebla. D'un autre côté, la flotte génoise menaça la ville de Ceuta. Le roi de Castille se rendit maître de Cordoue; celui d'Aragon occupa Xucar et plusieurs autres forteresses de la province de Valence. Pour faciliter le blocus de cette dernière ville, le roi d'Aragon fit élever le château d'Enessa' et s'éloigna ensuite, après y avoir installé une garnison. Zian-Ibn-Merdenich forma alors le projet d'attaquer les troupes établies dans cette place forte, et rassembla sous ses drapeaux les populations de Xativa et de Xucar, afin de marcher contre les chrétiens. Dans la rencontre qui s'ensuivit, les musulmans furent mis en déroute, la plupart d'entre eux furent blessés ou tués, et Abou-'rRebia-Ibn-Salem, le plus savant traditioniste de l'Espagne, y

En arabe Anicha. Cette forteresse, appelée aussi le château de Puche, etait située à deux lieues de Valence. Herreras en parle aux années 1236, 1237.

trouva le martyre. Cette journée funeste présagea la chute de Valence. La cavalerie chrétienne commença alors à inquiéter la ville par des incursions sans cesse renouvelées; puis, dans le mois de Ramadan 635 (avril-mai 1238), le roi d'Aragon vint y mettre le siége et la réduisit presque à la dernière extrêmité.

Dans l'empire de Maroc, la dynastie d'Abd-el-Mouren était sans force; mais, en Ifrîkïa, venait de s'élever un nouveau royaume, celui des Hafsides. Ibn-Merdenîch et les musulmans de l'Espagne orientale fixèrent donc leur espoir sur AbouZékérïa, et, croyant pouvoir ramener la fortune avec le concours de ce prince, ils lui envoyèrent un écrit par lequel ils le reconnaissaient pour leur souverain. Ibn-Merdenîch chargea son secrétaire, le jurisconsulte Abou-Abd-Allah-Ibn-el-Abbar, de s'y rendre aussi et de solliciter des secours. Ce fut un jour bien solennel que celui dans lequel cette députation parut à la cour pour remplir sa mission. Dans cette brillante assemblée, Ibn-elAbbar récita son poème dont la rime est formée par la lettre s' et dans lequel il implore le prince hasside de porter secours aux musulmans. Nous reproduisons ici cette pièce remarquable :

Que tu cavalerie, la cavalerie de Dieu, entre dans l'Andalousie! pour délivrer ce pays; la route est frayée devant

toi 2.

Porte à l'Espagne suppliante un généreux secours; les opprimés ont toujours invoqué ton puissant secours!

Accablé par ses douleurs, ce pays rend le dernier soupir ! de combien de maux ne l'a-t-on pas abreuvé depuis le matin jusqu'au soir !

Malheureuse péninsule! tes habitants succombent, en victimes, sous les coups de l'adversité, et ton bonheur d'autrefois a fini par s'anéantir.

Dans les poèmes arabes, la rime du premier couplet se reproduit à la fin de tous les vers suivants.

2 Il est impossible de conserver, dans une traduction, toutes les beautés de style et d'expression qui rendent cette pièce un chefd'œuvre.

Avec chaque aurore survient une nouvelle calamité qui est pour toi un sujet de deuil, pour l'ennemi une fête.

Avec chaque soir arrive un nouveau désastre qui change la sécurité en crainte et la joie en tristesse.

Les chrétiens ont juré que le sort partagera entre eux tes trésors les plus précieux, [ces étres] charmants que le voile [dn harem] dérobe aux regards.

En Valence et en Cordoue se passent des choses qui nous arrachent, non-seulement des soupirs, mais l'âme !

Dans plusieurs villes, l'infidélité est entrée, joyeuse et triomphante, pendant que la foi en est sortie tout éplorée.

Par suite des invasions, elles nous offrent un spectacle qui attriste la vue autant qu'il l'avait réjouie.

Que sont devenues leurs mosquées?— L'ennemi les a changées en couvents! Et leurs lieux d'assemblée? - On y entend le son de la cloche!

-

Comment, hélas! rendre à l'Espagne ce qu'elle a perdu? Ces écoles où l'on étudiait le texte sacré et dont il ne reste que des ruines!

Où sont ces maisons de campagne où la main du zéphir butinait, à volonté, sur des robes [de verdure] et des manteaux brodés [de fleurs]?

Là se trouvaient des bocages qui charmaient nos regards; mais leur fraicheur a disparu, leur feuillage s'est desséché. L'aspect des paysages qui les entourent produit maintenant un effet étrange : il force le voyageur à s'arrêter [pour répandre des larmes] et l'habitant du sol à s'enfuir.

Comme les infidèles y ont promptement répandu la désolation! Quelle ruine! Semblables aux sauterelles, ils envahissent nos séjours pour les ravager.

Ils ont dépouillé Valence de sa parure en insultant ses frontières, ainsi que le lion chasseur accule sa proie.

Où est la vie heureuse dont nous recueillions naguères les fruits savoureux? Où est la tige flexible [la belle à taille élancée] que nous faisions plier [vers notre sein]?

Un tyran, né pour perdre l'Espagne, on a effacé les charmes;

pour la ruiner, jamais il ne dort, jamais il ne sommeille. Les environs frisonnèrent d'horreur quand il vint les occuper et mutiler leurs monuments superbes.

Le champ lui est resté libre, et ses mains s'étendent pour saisir [un prix] auquel, à pas furtifs, il n'avait jamais pu atteindre [autrefois].

Resté sans rival, il a vanté la doctrine de la trinité; mais si les unitaires déployaient leur étendard, il n'oserait dire une parole.

Prince miséricordieux! renoue le cable du [navire espagnol] auquel une guerre acharnée n'a laissé ni cáble, ni mouillage. Fais revivre ce que l'ennemi y a détruit, de même que tu as remis en vie la doctrine du Mehdi.

Dans ces jours-là, tu fus le premier à courir au secours de la vérité, et, chaque nuit, tu t'éclairais à la lumière de cette loi directrice.

Tu fus alors le champion de la cause de Dieu; [on t'y voyait agir] comme l'épée tranchante et comme le nuage qui verse ses eaux [bienfaisantes].

Tu as dissipé les ténèbres répandues par la doctrine almoravide, ainsi que les rayons du matin chassent la nuit ob

scure.

Voici des lettres, messagers qui invoquent ton aide; car tu es le meilleur de ceux en qui l'homme réduit au désespoir puisse placer sa confiance.

Un navire, heureusement dirigé, est venu te trouver; il espère reconnaitre en toi le seigneur bien-aimé, le maitre intelligent.

Porté sur l'Océan et ballotté par les vagues, il a essuyé également de légères et de rudes [épreuves].

'Malgré le texte et les manuscrits, je lis ardjaoha au nominatif. ? Ou Almohades.

:

Le texte dit les ténèbres écrites par l'incorporation; c'est-à-dire la doctrine de l'anthropomorphisme. Voy. ci-devant pp. 257, 258

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