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de safer 609 (juillet-août 1212), les musulmans essuyèrent une défaite totale 2, après y avoir déployé la plus grande bravoure, et

1 Cette bataille se livra le 15 Safer (17 juillet), selon l'auteur du Cartas; le lundi, 45 Safer, selon El-Merrakchi; le 16 juillet, selon les auteurs chrétiens.

2 El-Merrakchi dit que la perte de cette bataille doit être attribuée au mécontentement des troupes almohades qui n'avaient pas touché leur solde pendant toute cette campagne, bien qu'elles y avaient droit tous les quatre mois. Plusieurs d'entre eux m'ont assuré, dit-il, que pas un » d'eux ne tira l'épée ni mit lance en arrêt; qu'ils ne firent aucun pré» paratif et qu'ils tournèrent tous le dos à la première charge des » Francs, et cela avec intention.»

Ibn-Abi-Zerà, l'auteur du Cartas, donne de longs détails sur celle campagne. Selon lui, En-Nacer entreprit d'abord le siége de Serbetera (Salvatierra), mit quarante catapultes ou mangonneaux (mendjanec) en batterie pour foudroyer la place, et il y resta si longtemps que des hirondelles firent leurs nids et élevèrent leurs petits dans son pavillon. L'hiver commença, le froid devint excessif, les approvisionnements du camp s'épuisèrent et le sultan ne bougea pas. Il s'était laissé diriger par son vizir Ibn-Djamê, homme de basse naissance, qui le tenait en une ignorance complète de tout ce qui se passait ailleurs et qui lui cacha surtout l'état dans lequel se trouvait la ville de Calatrava. IbnCadės, l'officier maure-espagnol qui y commandait, eut beau envoyer demander des secours, le vizir supprima ses lettres et permit aux chrétiens de se rendre maîtres de la place. Ibn-Cadès capitula, après avoir épuisé ses vivres et ses flèches, et se rendit au camp d'En-Nacer qui le fit mourir d'après le conseil d'Ibn-Djamê. Les troupes mauresespagnoles qui se trouvaient avec le sultan en furent indignées, et, comme Ibn-Djamê les avaient publiquement insultées, elles prirent la résolution de se venger au jour de la bataille d'El-Ocab, elles laissè-rent tailler en pièces le corps des volontaires qui avaient donné sur les chrétiens. Voyant alors l'ennemi s'avancer, elles reculèrent en désordre et opérèrent leur retraite. Les contingents arabes et les troupes almohades suivirent leur exemple. Les Almohades, surtout, évitèrent le combat parce qu'ils n'avaient pas touché leur solde pendant toute la campagne, eux qui avaient le droit d'être régulièrement payés tous les quatre mois. D'ailleurs, ils voulaient témoigner ainsi leur haine contre Ibn-Djamê dont les manières hautaines et le ton insolent les avaient profondément offensés. Le sultan resta sur le champ de bataille, assis sur son bouclier, devant la porte de sa tente, et il ne se décida à prendre un cheval et à se retirer qu'après avoir vu tuer plus de dix mille hommes du corps nègre et de sa maison militaire qui faisaient cercle autour de lui.

T. II.

45

En-Nacer s'en retourna à Maroc où il mourut, l'année suivante, dans le mois de châban (déc.-janv. 1213-4) 1.

Le fils d'Alphonse s'était concerté secrètement avec son cousin Bebboudj, roi de Léon, afin que celui-ci, après avoir pris le parti d'En-Nacer, l'abandonnât à l'improviste pour entraîner ainsi la déroute des musulmans. A la suite de cette bataille désastreuse, les vainqueurs envahirent l'Andalousie, avec l'intention de ravager le territoire musulman; mais le cîd Abou-Zékéria, fils d'Abou-Hafs et petit-fils d'Abd-el-Moumen, les attaqua aux environs de Séville et les força à s'éloigner. Ce succès releva, pour quelque temps, le courage des musulmans.

RÉVOLTE D'IBN-FERÈS.

Il y avait en Espagne un membre du corps des uléma, nommé Abd-er-Rahim-Ibn-Abd-er-Rahman-Ibn-Ferès (fils de jument) et surnommé El-Mohr (le poulain). Cet homme ayant un jour tenu des propos inconsidérés dans une assemblée présidée par El-Mansour, fut obligé de se cacher pour éviter les suites de son imprudence. Après la mort de ce monarque, il se montra dans le pays des Guezoula, où il prit le titre de grand imam des musulmans, en prétendant qu'il était le Cahtanide dont il est question dans cette parole du Prophète béni : La [dernière] heure [du monde] n'arrivera pas jusqu'à ce qu'un individu sorte de Cahtan pour conduire les hommes avec son bâton et pour rem

1 El-Merrakchi dit : « On nous a raconté la mort d'En-Nacer de >> plusieurs manières, mais je tiens pour certain qu'il mourut d'une » inflammation de cerveau. >> Selon l'auteur du Cartas, En-Nacer étant rentré à Maroc, resta enfermé dans son palais et s'abandonna aux plaisirs. Il mourut subitement, après avoir bu une coupe de vin em poisonné qu'une de ses concubines lui présenta. Cette femme avait été subornée par quelques vizirs dont la mort venait d'être décidée par le sultan.

Ce fait n'est pas indiqué par les auteurs chrétiens.

plir la terre] de justice autant qu'elle est maintenant remplie d'iniquités, etc.

On lui attribua aussi les vers suivants :

Va dire aux enfants d'Abd-el-Moumen-Ibn-Ali de s'attendre à une grande catastrophe.

Le seigneur, l'agent [de la tribu] de Cahtan, est venu ! lui qui est l'accomplissement de la prédiction, le vainqueur des dy

nasties.

Les hommes obéissent à son bâton, pendant que lui, cet océan de science et d'action, les pousse devant lui par le pouvoir de commandement et de prohibition.

Hátez-vous d'embrasser sa cause; Dieu le soutient; Dieu qui renverse les projets des hommes égarés et des impies!

Un corps de troupes, envoyé par En-Nacer pour étouffer ce mouvement, dispersa les partisans du rebelle et lui ôta la vie. Sa tête fut envoyée à Maroc et exposée aux regards du public.

le

REGNE D'EL-MOSTANCER, FILS D'EN-NAGER.

Au commencement de l'an 611 (1214), après la mort de Mohammed-en-Nacer, son fils Youçof fut proclamé souverain sous le titre d'El-Mostancer-Billah (qui compte sur le secours de Dieu). Comme il n'avait que seize ans, le vizir Ibn-Djamê et corps des cheikhs almohades prirent sur lui un tel ascendant qu'ils s'emparèrent de la direction des affaires publiques. AbouMohammed le hafside, gouverneur de l'Ifrîkïa, refusa d'envoyer ses hommages à un khalife trop jeune, selon lui, pour régner, mais il céda aux instances d'Ibn-Djamê et d'Abd-el-Azîz-IbnAbi-Zeid, ministre des finances, et transmit, enfin, à la cour de Maroc l'assurance de son dévouement.

Entraîné par l'ardeur de la jeunesse, El-Mostancer se livra aux plaisirs et négligea tout-à-fait l'administration de l'état. Il confia aux princes de la famille royale le commandement de ses provinces; au cîd Abou-Ibrahîm [-Ishac-] Ed-Daher (le victorieux), frère d'El-Mansour et père d'El-Morteda, il donna le gouverne

ment de Fez, et, à son oncle, le cîd Abou-Ishac-el-Ahouel (le louche), celui de Séville.

Le roi Alphonse, après avoir enlevé aux Almohades les forteresses dont ils s'étaient emparés et culbuté les troupes qui gardaient la frontière musulmane, chargea Ibn-el-Fakkhar d'une mission pour la cour de Maroc. L'arrivée de cet envoyé procura à Ibn-Djamê l'occasion de négocier et de conclure avec le monarque chrétien un traité de paix.

La mort d'[Abd-el-Azîz-] Ibn-Abi-Zeid offrit à Abou-Zeid-IbnYouwoddjan le moyen de faire enlever le vizirat à Ibn-Djamê; on confia les fonctions de cet office à Abou-Yahya-el-Hezerdji, et on transféra l'administration des finances à Abou-Ali - IbnAchrefi. Quelque temps après, Ibn-Djamê rentra en faveur et recouvra sa place. Abou-Saîd, fils d'El-Mansour, reçut le commandement de Tlemcen en remplacement d'Abou-Zeid-IbnYouwoddjan, qui fut envoyé à Murcie pour y rester prisonnier.

Les jours d'El-Mostancer se passèrent dans la paix et la tranquillité jusqu'en l'an 613 (1216), quand les Beni-Merîn se montrèrent, aux environs de Fez, pour la première fois. Le cîd Abou-Ibrahim, gouverneur de cette ville, marcha contre eux, à la tête d'un corps almohade, et essuya une défaite. Il tomba luimême au pouvoir de ces nomades; mais, en ayant été reconnu, il fut remis en liberté.

On reçut ensuite la nouvelle qu'Abou-Mohammed le hafside, gouverneur de l'Ifrikïa, avait cessé de vivre. Le cîd Abou-'lOla, frère d'El-Mansour, ex-gouverneur de Séville, dut alors aux efforts d'Ibn-Mothenna, favori du sultan, son rappel de l'Espagne et sa nomination au gouvernement de l'Ifrîkïa. Il se rendit à sa nouvelle destination, ainsi que nous le raconterons dans l'histoire des Hafsides.

[Vers cette époque], un membre de la famille d'Obeid-Allah [le fatemide], descendant d'El-Aded [le dernier khalife de cette dynastie], prit le titre de Mehdi et se montra dans la province de Fez; mais, ayant été trahi par ses partisans, auxquels le cîd Abou-Ibrahim, frère d'El-Mansour, avait fait passer de l'argent, il fut livré à ce prince et mis à mort.

En l'an 619 (1222), El-Mostancer transféra son oncle AbouMohammed-el-Adel du gouvernement de Grenade à celui de

Murcie.

Nous allons maintenant faire le récit des troubles qui eurent lieu dans l'empire des Almohades, après la mort d'El-Mostancer.

REGNE D'ABD-EL-OUAHED-EL-MAKHLOUE [LE DÉPOSÉ], FRÈRE

D'EL-MANSOur.

Le 10 de dou-'l-hiddja 620 (janvier 1224) eut lieu la mort d'El-Mostancer. L'assemblée des cheikhs almohades, présidée par Ibn-Djamê, annonça alors l'avènement du cîd Abou-Mohammed-Abd-el-Ouahed, frère d'El-Mansour, et lui prêta le serment de fidélité.

Le nouveau souverain commença son règne par faire rendre gorge à Ibn-Achrefi et par adresser à son frère, Abou-'l-Ola, un brevet de confirmation dans le gouvernement de l'Ifrîkïa, charge qu'El-Mostancer avait donné l'ordre de lui enlever. Quand ce document arriva à son adresse, Abou-l-Ola venait de mourir, et ce fut son fils, Abou-Zeid-el-Mochemmer, qui prit le commandement. Nous parlerons encore de ceci dans la notice [des Hafsides] de l'Ifrikïa.

Le sultan expédia ensuite à Murcie l'ordre de mettre en liberté Ibn-Youwoddjan, et quand Ibn-Djamê chercha à le détourner

1 Selon l'auteur du Cartas, El-Mostancer fut tué par une vache qui lui donna un coup de corne. Il se plaisait à élever des bœufs de race espagnole et des chevaux qu'il faisait paître dans une vaste prairie aux environs de Maroc. Ce fut en parcourant ce lieu que lui arriva l'accident dont il mourut.

Au commencement de son règne, il laissa gouverner l'état par ses parents et par les grands chefs almohades; mais, ensuite, il les remplaça par des gens qui ne jouissaient d'aucune considération, et s'abandonna entièrement aux plaisirs. Dès lors, chaque gouverneur de ville et de province agissait à sa fantaisie, sans avoir égard aux ordres du ministre, preuve évidente que la dynastie almohade entrait dans son déclin.

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