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puis, on y exposa aussi la tête de son frère Abd-Allah. La famille Hamdoun, ayant été soupçonnée de favoriser Ibn-Ghanîa, fut déportée de Bougie à Salé, et, d'après l'ordre du khalife, le cîd Abou-Zeid fut rappelée à la capitale et remplacé, à Bougie, par son frère le cîd Abou-Abd-Allah.

Pendant que ces événements se passaient, on apprit qu'Ibn-ezZoborteir s'était rendu maître de Maïorque. [Nous avons déjà mentionné que'] sur la demande de Mohammed[-Ibn-Ishac]-IbnGhanta, l'émir Youçof, fils d'Abd-el-Moumen, avait envoyé Ibnez-Zoborteir dans cette île pour inviter tous les membres de la famille Ghania à se rallier aux Almohades. Les frères de Mohammed virent de mauvais œil l'arrivée de cet officier; ils l'emprisonnèrent ainsi que Mohammed, prirent pour chef leur frère Ali et s'embarquèrent pour Bougie. Ibn-ez-Zoborteir profita de leur départ pour se ménager des intelligences avec leurs esclaves chrétiens, auxquels il promit la permission de rentrer dans leur pays avec leurs femmes et leurs enfants, pourvu qu'ils l'aidassent à sortir de prison. Avec leur concours et leur appui, il surprit la citadelle, délivra Mohammed-Ibn-Ishac et partit avec lui pour la capitale de l'empire.

Ibn-Ghanîa apprit cette nouvelle à Tripoli et expédia aussitôt son frère Abd-Allah en Sicile. De là, ce chef fit voile pour Maïorque où il effectua son débarquement auprès d'un village, et réussit, par un stratagème, à s'emparer de la ville principale.

Le feu de la guerre brûla toujours en Ifrîkïa avec une grande intensité; Ali-Ibn-Ghanîa ayant assiégé et emporté d'assaut la plupart des villes situées dans le Djerîd. En l'an 582 (1186-7), lorsqu'on sut à Maroc qu'il avait pris Cafsa, le khalife El-Mansour marcha en personne pour étouffer la révolte. Arrivé à Fez, il y prit quelques jours de repos et, s'étant ensuite rendu au ribat de Tèza, il partit, de là, pour Tunis, à la tête d'une armée parfaitement équipée. Ibn-Ghanîa rassembla aussitôt ses Almoravides ainsi que les Arabes nomades qui avaient embrassé sa cause, et se mit en campagne avec Caracoch-el-Ghozzi, seigneur

↑ Ci-devant, p. 88.

de Tripoli. Arrivé à Ghomert, il rencontra un corps de troupes qu'El-Mansour avait expédié contre lui et dont le commandement fut exercé par le cîd Abou-Youçof, fils du cîd Abou-Hafs. Dans le combat qui s'ensuivit, les Almohades furent mis en déroute et Ali-Ibn-ez-Zoborteir perdit la vie ainsi qu'Abou-Ali-Ibn-Yaghmor. Le vizir Omar-Ibn-Abi-Zeid y succomba aussi, car il ne reparut plus. Une partie des fuyards fut poursuivie, l'épée dans les reins, jusqu'à Cafsa, mais le reste parvint à se réfugier dans

Tunis.

El-Mansour, voulant réparer cet échec, se rendit à Cairouan d'où il se porta rapidement jusqu'à El-Hamma. Les deux armées s'attaquèrent alors avec un acharnement extrême et la bataille se termina par la défaite des partisans d'Ibn-Ghanîa, lequel, ainsi que son allié, Caracoch, ne parvint à s'échapper qu'avec beaucoup de peine. Ayant exterminé presque tous ses adversaires, El-Mansour attaqua, le lendemain, la ville de Cabes et s'en empara. Il y trouva et embarqua pour Tunis une partie du harem d'Ibn-Ghanta et quelques-uns de ses enfants. Tournant ensuite ses armes contre la ville de Touzer, il la prit d'assaut, massacra tout ce qui s'y trouva et, se présentant ensuite devant Cafsa, il contraignit la garnison à se rendre à discrétion après un siége de quelques jours. Il fit grâce de la vie aux habitants et aux Ghozz qui avaient accompagné Caracoch, mais il passa au fil de l'épée tous les Almoravides et les contingents [arabes] qui s'y étaient enfermés. Il démolit les fortifications de cette ville et se rendit à Tunis d'où il partit pour le Maghreb, en l'an 584 (1488), après avoir installé le cîd Abcu-Zeid dans le gouvernement de l'Ifrîkïa. La route qu'il suivit le mena auprès d'ElMehdïa, d'où il traversa le Désert jusqu'à Tèhert, et il arriva heureusement à Tlemcen, grâce à l'habileté de l'émir toudjinite, El-Abbas-Ibn-Atïa, qui lui servit de guide. Avant de continuer sa route pour Maroc, il ôta le gouvernement de Tlemcen à son oncle, le cîd Abou-Ishac, sur le compte duquel il avait appris des choses qui ne lui plaisaient pas. Pendant qu'il se dirigeait vers sa capitale, on lui dénonça la conduite de son frère, le cîd AbouHafs-er-Rechîd, gouverneur de Murcie, et celle de son oncle, le

cîd Abou-'r-Rebià, gouverneur de Tedla, qui avaient voulu usurper le trône du khalifat, en apprenant la nouvelle de la défaite essuyée par les Almohades à Ghomert. Ces princes étant venus le complimenter sur son retour, il les fit emprisonner à Ribat-el-Feth en attendant le résultat d'une enquête, et, quelque temps après, il ordonna leur mort.

Le cîd Abou-'l-Hacen, fils du cîd Abou-Hafs, reçut du khalife le gouvernement de Bougie, marcha de cette ville contre Yahya-Ibn-Ghanïa et occupa Constantine, forteresse dont son adversaire voulait s'emparer. Ibn-Ghanîa prit la fuite et se dirigea vers Biskera qu'il emporta d'assaut, après avoir abattu les dattiers des environs. Ensuite, il revint attaquer Constantine, et, ne pouvant s'en emparer, il alla faire le siége de Bougie. Nous raconterons plus loin de quelle manière il termina sa carrière de rapine et de dévastation.

YACOUB-EL-MANSOUR ENTREPREND LA GUERRE SAINTE.

Yacoub-el-Mansour, ayant appris par une dépêche du cîd Abou-Youçof le hafside, gouverneur de Séville, que les chrétiens s'étaient emparés de la ville de Silves, et qu'après avoir battu l'armée de Séville, ils avaient fait plusieurs incursions dans le territoire de cette ville et détruit quelques châteaux des environs, fit proclamer la guerre sainte, l'an 586 (1190), et se rendit à Casr-Masmouda. Après y avoir pris quelque repos, il traversa le Détroit et se dirigea, à marches forcées, de Tarifa à Silves. Les troupes andalousiennes opérèrent leur jonction avec lui sous les murs de cette place et restèrent pour la tenir bloquée, pendant qu'il alla lui-même s'emparer du château de Torrès (HisnTorrech).

L'année suivante, il quitta Séville pour reprendre le siége de Silves, et, quand il s'en fut rendu maître, il vit arriver la colonne d'Ibn-el-Ouézîr qui venait d'enlever plusieurs forteresses à l'ennemi. Le but de cette expédition ayant été atteint, il repartit pour la capitale de ses états, d'où il envoya à son fils,

En-Nacer, un acte par lequel il le constitua son successeur. En l'an 588 (1192), le cîd Abou-Zeid, gouverneur de l'Ifrîkïa, arriva à la cour avec les chefs des Beni-Hilal et des Beni-Soleim, tribus arabes. El-Mansour accueillit cette députation avec bienveillance et la congédia très-honorablement. L'an 590, il apprit qu'Ibn-Ghanîa était encore devenu redoutable en Ifrîkïa et qu'il y faisait des ravages affreux. Cette nouvelle le décida à marcher en personne contre les insurgés; mais, quand il fut parvenu à Miknaça (Mequinez), il reçut des renseignements très-inquiétants sur la situation de l'Espagne. S'étant dirigé, en conséquence vers ce pays; il arriva à Cordoue, l'an 591 (1195), où il se reposa trois [jours], pendant que les troupes lui arrivaient de tous les côtés; et, après avoir marché à la rencontre de l'ennemi, il prit position à El-Ark (Alarcos), dans le district de Badajos 1. Les forces chrétiennes s'avancèrent sous la conduite de trois chefs, Ibn-Adfounch, Ibn-er-Renk et El-Bebboudj. Alors, en un tel jour de l'an 591, se livra une bataille dans laquelle AbouMohammed, fils d'Abou-Hafs, commanda les corps des volontaires, et son frère, Abou-Yahya, les Almohades et les autres troupes. Dans cette journée célèbre, trente mille chrétiens furent taillés en pièces, le reste prit la fuite et cinq mille de leurs prin

La ville d'Alarcos n'existe plus, à moins qu'elle n'ait changé de nom. Il y a bien, en Espagne, quelques villes d'Arcos, mais elles sont différentes de celles dont il s'agit ici. (Audiffret, dans la Continuation de l'Art de vérifier les dates, t. 1, p. 40, de l'édit. in-8°.)

2. Abd-el-Ouahed-el-Merrakchi dit (p. 235 du texte arabe) que, de son temps (1224 de J.-C.), quatre rois chrétiens régnaient en Espagne : « El-Adfounch (Alphonse), roi du grand royaume appelé Cachetal » (Castille); El-Bebboudj, c'est-à-dire le baveux, roi de Léon; Ibn-er» Renk (le fils d'Henriquez), roi de l'Espagne occidentale, et le roi » d'Aragon. » Le même historien nous fait observer que le mot bebboudj n'appartient pas à la langue arabe, mais il ne nous apprend pas pourquoi un tel terme était devenu le sobriquet du roi de Léon.— Ajoutons ici que les musulmans désiguaient le roi d'Aragon par le titre de seigneur de Barcelone.

• Cette bataille fut livrée le 18 juillet 4495 (8 Châban 591). —(Cartas ; Ferreras.)

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cipaux guerriers, qui s'étaient réfugiés dans le château d'ElArk, se rendirent à discrétion. El-Mansour les échangea plus tard contre un nombre égal de musulmans. Abou - Yahya[Abou-Bekr], fils d'Abou-Hafs, gagna le martyre dans cette bataille, après y avoir déployé la plus grande bravoure, et, pour cette raison, on donna à ses descendants le nom de Beni-'sChehid (les enfants du martyr).

A la suite de cette victoire, El-Mansour rentra à Séville d'où il sortit, l'année suivante, pour faire une expédition vers les pays du nord. Il y détruisit plusieurs villes et châteaux, notamment Truxillo et Talavera; puis, ayant insulté Tolède, dont il ravagea les campagnes et enleva les troupeaux, il reprit le che

min de Séville.

ren

L'an 593 (1196-7), quand il fut de retour dans cette ville, il fit emprisonner le cadi Abou-'l-Ouélîd-Ibn-Rochd1 que l'on accusait d'entretenir des opinions peu orthodoxes et d'en avoir consigné une partie dans ses écrits; mais, plus tard, il lui dit la liberté et le fit venir à la capitale [Maroc] où il mourut. Voulant alors envahir les états du roi de Castille, il quitta encore Séville; mais, au moment où il avait établi son camp auprès de Tolède, on vint le prévenir que le seigneur de Barcelone avait marché pour soutenir le fils d'Alphonse et que l'armée combinée

1 Il s'agit ici du célèbre médecin, philosophe et légiste appelé Averroës par les Européens. Il mourut à Maroc en 594 ou 595 (1198-9). Sa vie se trouve dans l'Histoire des Médecins d'Ibn-Abi-Osaïbïa et a été traduite en Anglais par M. de Gayangos. Voy. sa traduction d'El-Makkari, v. 1, Appendice, p. xvII.

• El-Merrakchi, qui raconte plusieurs anecdotes d'Averroës, nous apprend, au sujet de son arrestation, que ses ennemis avaient fait voir au sultan une note écrite de la main du philosophe et renfermant les mots suivants : Il parait donc que Vénus était une des divinités. Ce passage, dit notre auteur, se rapportait à la doctrine de quelque ancien philosophe. Le sultan en fut tellement scandalisé qu'il fit chasser Averroës de sa présence et défendit l'étude des sciences philosophiques. Plus tard, cependant, il changea d'idée, et, s'étant lui-même adonné à ce genre d'études, il fit venir Averroës à Maroc et le traita avec une grande bienveillance.

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