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des chrétiens servant dans les armées des princes africains. Des facilités leur étaient données pour la libre pratique de leur culte au milieu des troupes et des populations musulmanes l'église et les gouvernements chrétiens en permettaient le recrutement en Europe (1).

Nous avons vu plus haut que Hammad, fondateur de la dynastie hammadite, froissé dans sa dignité, avait répu- ́ dié la souveraineté des khalifes fatimites pour se déclarer en faveur de leurs rivaux, les khalifes abbacides. Cette défection amena des guerres sanglantes et interminables, qui eurent pour conséquence l'entrée dans l'Afrique septentrionale d'une nouvelle invasion arabe. A cette époque, les tribus arabes nomades des Hilal étaient cantonnées dans la Haute-Égypte, où elles répandaient la dévastation, attaquant même les pélerins de la Mecque aux jours où l'on remplissait les grands devoirs de la religion. Afin de se débarrasser de leur présence d'une manière utile, le khalife résolut de les faire passer en Afrique et de les opposer aux princes sanhadjiens. En conséquence de la décision que l'on venait de prendre, le khalife El-Mostancer, en l'an 441 (1049-50 de J.-C.), envoya son visir auprès de ces Arabes. Ce ministre commença par faire des dons peu considérables aux chefs, une fourrure et une pièce d'or à chaque individu; ensuite, il les autorisa à passer le Nil en leur adressant ces paroles : « Je vous fais cadeau du Moghreb et du royaume sanhadjien, qui s'est soustrait à l'autorité de son maître. Ainsi, dorénavant, Vous ne serez plus dans le besoin! »

(1) Voir, pour d'autres détails à ce sujet, notre Histoire de Bougie (Documents de M. de Mas-Latrie).

Les Arabes, animés par l'espoir du butin, franchirent le Nil et allèrent occuper la province de Barca. Ayant pris et saccagé les villes de cette région, ils adressèrent à leurs frères, qu'ils avaient laissés sur la rive droite du Nil, une description attrayante du pays qu'ils venaient d'envahir. Les retardataires s'empressèrent d'acheter la permission de passer le fleuve. Ces envahisseurs se partagèrent alors le pays, et toutes les familles hilaliennes se précipitèrent sur l'Ifrikia comme une nuée de sauterelles, abimant et détruisant tout ce qui se trouvait sur leur passage. Ces événements, et les guerres acharnées qu'il fallut soutenir, ébranlèrent profondément la prospérité de l'Ifrikia; la dévastation s'étendit partout; plusieurs grandes villes furent détruites et une foule de brigands interceptaient les routes et dépouillaient les voyageurs.

Les Arabes, ayant enlevé au peuple sanhadjien toutes ses villes, établirent leur autorité sur les lieux que le khalife leur avait assignés. Le prince En-Nacer, réfugié dans sa Kalâa, se vit bientôt bloqué par l'ennemi. Les assiégeants, après avoir dévasté les jardins et coupé tous les bois qui entouraient la place, allèrent insulter les autres villes de la province. Ayant mis en ruines celles de Tobna et de Msila, dont ils avaient chassé les habitants, ils se jetèrent sur les caravansérails, les villages, les fermes et les villes, abattant tout à ras de terre et changeant ces lieux en une vaste solitude, après en avoir comblé les puits et coupé les arbres.

De cette manière, ils répandirent la désolation partout, obligèrent les princes sanhadjiens à s'enfermer dans les grandes villes, leur enlevant peu à peu le territoire qui leur restait. Toujours guettant les moments favorables

pour les surprendre, ils leur firent acheter, par un tribut, la permission de se servir de leurs propres terres. La peuplade berbère des Adjica, qui, depuis un temps immémorial, habitait la montagne voisine de la Kalâa, fut chassée de ce pays. Le territoire qu'elle possédait devint l'héritage des Aïad, peuple formé d'un mélange d'Arabes hilaliens, et la montagne prit le nom de DjebelAïad, qu'elle porte encore de nos jours.

Fidèles à leurs habitudes destructives, les Arabes ne cessèrent de se livrer à toute espèce de brigandage, au point qu'ils forcèrent En-Nacer d'abandonner la Kalaa et de se transporter à Bougie, qui devint sa nouvelle capitale. Les montagnes de Bougie étant d'un accès fort difficile et les chemins étant presque impraticables, mettaient son territoire à l'abri de toute insulte.

Nous avons vu plus haut que, lors de la fondation de la Kalâa des Beni-Haminad, en l'an 1004 de notre ère, une colonie nombreuse de chrétiens était venue s'y fixer. Sous le règne du roi El-Aziz, descendant de En-Nacer, en 1114, disent les Documents européens (1), ces chrétiens, tous africains et berbères, avaient encore à la Kalâa une église dédiée à la Vierge Marie. Leur évêque habitait une maison voisine de l'église. C'est le dernier prélat indigène dont nous puissions constater l'existence; et déjà la population, peut-être ses propres fidèles, qu'envahissait, d'année en année, l'influence du langage et des habitudes, le désignaient sous le nom musulman de khalife.

Iahïa, dernier souverain de la dynastic sanhadjienne,

(1) De Mas-Latrie.

dominé par l'amour de la chasse, ne songea qu'à s'amuser pendant que l'empire tombait en dissolution et que les tribus sanhadjiennes s'éteignaient successivement autour de lui. Il se rendit de Bougie à la Kalâa pour y faire des perquisitions, et en emporta tous les objets de valeur qui y existaient encore.

Vers cette époque, 547 (1152-3 de J.-C.), Abd-el-Moumen, sorti du Maroc à la tête de ses Almohades, envahit le pays et s'empara du royaume de Bougie. Abd-el-Moumen était le disciple du mehdi Ibn-Toumert, qui, en prêchant des réformes dans les doctrines musulmanes, réussit à attirer à lui de nombreux adhérents, et fonda, dans le Moghreb, la dynastie des Almohades.

lahïa, roi de Bougie, voyant son territoire envahi par les armées du nouveau conquérant, eut à peine le temps. de s'embarquer avec ses trésors. Abd-el-Moumen plaça son fils, Abd-Allah, à la tête d'une armée et l'envoya contre la Kalâa. Cette place fut emportée d'assaut et livrée aux flammes; la garnison fut passée au fil de l'épée et dix-huit mille cadavres, dit-on, attestèrent la fureur des vainqueurs.

A cette nouvelle, les Arabes nomades, alliés aux princes sanhadjiens, se rendirent à Setif après avoir pris l'engagement de soutenir leur roi lahia. Les deux partis en vinrent aux mains près de cette ancienne ville, et continuèrent à se battre pendant trois jours; mais, enfin, les Arabes reculèrent en désordre, après avoir perdu beaucoup de monde, et ils laissèrent leurs troupeaux, leurs femmes et leurs enfants au pouvoir des Almohades. Lorsqu'éclata la révolte d'Ibn-Ghania, vers l'an 1185 de notre ère, la ville de Bougie tomba en son pouvoir par

surprise, et il est probable que toute la contrée environnante reconnut son autorité, puisqu'il fut assez puissant pour pénétrer dans la Kalâa des Beni-Hammad et aller, de là, mettre le siége devant Constantine. Mais l'autorité d'Ibn-Ghania ne fut qu'éphémère dans cette région; poursuivi à outrance par les Almohades, il dut s'éloigner vers le pays de Tripoli.

Cinquante ans après environ, l'émir Abou-Zakaria le hafsite, gouverneur de l'Ifrikia pour le compte des Almohades, mécontent de la conduite de son souverain, se rendait indépendant, faisait reconnaître partout son autorité et fondait la dynastie hafsite, qui, pendant plusieurs siècles, se maintint au pouvoir, malgré les révoltes qui éclatèrent souvent dans le sein même de ses états, et les attaques acharnées de ses puissants voisins, les Abd-elQuadites et les Merinites.

La famille royale hafsite régnait encore au seizième siècle, lorsque parurent sur la côte d'Afrique les frères Barberousse. Pendant cette longue période, les populations du pays de Setif, je ne parle pas de la ville même, puisque depuis longtemps elle avait été ruinée, - durent souvent épouser la querelle des princes hafsites, gouverneurs de Constantine et de Bougie, que la rivalité arma les uns contre les autres. Il est également probable que ces populations allèrent au secours d'Abdel-Aziz, dernier roi de Bougie, attaqué par les Espagnols, sous les ordres de Pierre de Navarre, en 1510.

On verra plus loin, dans la Biographie de la famille féodale des Mokrani, les événements qui marquèrent le début de la conquête turque. L'autorité des nouveaux dominateurs était plus nominale que réelle; dans la

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