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grossiére, un bâton à la main et avec le seul titre de cheikh des vrais croyants, il avait commencé à prêcher l'insurrection. Plus tard, renonçant à ces habitudes simples, il adopta les habits de soie et ne monta plus que des chevaux de race. Il abandonnait à ses soldats les femmes des vaincus. Encouragés par l'exemple de sa cruauté, les Berbères de son armée massacraient sans pitié ceux qui tombaient en leur pouvoir. Ainsi, au blocus d'ElMahdia, tous les habitants qui, fuyant la famine, sortaient de la ville pour implorer la clémence des assiégeants, eurent le ventre fendu, et on fouilla jusque dans leurs entrailles vivantes pour y chercher l'or qu'ils avaient, disait-on, avalé. Les femmes enceintes subirent le même sort.

Abou-lezid avait attaqué avec succès les villes de Baghaïa, de Bedja, de Tebessa et de Kaïrouan après avoir remporté plusieurs victoires; mais la fortune finit par lui être défavorable, et il dut chercher son salut dans la fuite. Le khalife Ismaïl-el-Mansour, petit-fils d'Obeïd-Allah le melidi, se mit à sa poursuite vers le pays des Sanhadja, où il s'était retiré.

A cette époque, la grande famille berbère des Sanhadja était très-puissante. Leur pays renfermait les villes de Msila, Hamza, Médéa, Miliana. Au milieu des Sanhadja, vivaient plusieurs peuplades ayant la même origine qu'eux; c'étaient les Metennan, les Ouannougha et autres qui ont laissé leur nom dans le pays.

Malgré la chute constante des neiges, qui empêchait les soldats de planter leurs tentes, de se faire des abris et d'allumer des feux. Il fut accueilli avec de grands honneurs par le chef sanhadjien Ziri-Ibn-Menad, qui était

venu le rejoindre avec ses guerriers. El-Mansour les combla de tant de riches cadeaux, que leurs cœurs furent captivés; aussi lui jurèrent-ils soumission, dévouement et fidélité.

Abou-lezid, profitant de ce qu'une maladie contraignait El-Mansour à arrêter ses opérations, vint mettre le siége devant Msila; mais cette tentative échoua par suite de la marche rapide des troupes envoyées au secours de la ville attaquée, et il dut se jeter dans les montagnes de Kiana et des Adjica (la chaîne du Bou-Taleb). Le khalife El-Mansour établit alors le centre de ses opérations à Msila. Quoique bloqué dans un massif de montagnes, Abou-lezid tirait ses subsistances des Sodrata et de BenThious. Mais l'activité infatigable d'El-Mansour devait le priver de cette dernière ressource. Par son ordre, les Zenata firent irruption sur le pays des Sodrata, massacrèrent les hommes, enlevèrent les femmes et emportérent un immense butin, après avoir semé la destruction. Bloqué dans ses retranchements, Abou-Iezid en sorlit pour repousser les assaillants. Le combat s'engagea et coûta à Abou-lezid la perte d'environ dix mille hommes, tant fantassins que cavaliers, appartenant aux Benou-Kemlan et aux Mzata. Ce jour-là fut appelé la journée des têtes, ioum er-rous. Le chef des hérétiques éprouva une défaite signalée; il eut un cheval blessé sous lui et tomba sur les champ de bataille; ses compagnons d'armes lui en ayant procuré un second, il fut encore démonté, d'un coup de lance, par Ziri-Ibn-Menad. Au même instant, son fils, son neveu, ses parents et les officiers de son escorte mirent pied à terre pour lui faire un rempart de leur corps. Il avait reçu une large blessure dans les reins, el ce ne

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fut qu'à grande peine, et après une lutte meurtrière, qu'on parvint à le sauver. Parvenu ainsi à s'échapper, il occupa dans la montagne du Kiana une position tellement escarpée, qu'aucun moyen de retraite ne lui resta. El-Mansour, qui n'avait cessé de le poursuivre, sortit de Msila un vendredi, premier du mois de ramadhan de l'année 335 (de J.-C. 946-47), et vint planter ses tentes dans un lieu appelé par les uns En-Nadour, et par les autres Aroucène, sur le flanc d'un piton. Son dessein était de bloquer Abou-Iezid et, en effet, le lendemain, il escalada le mont Kiana. Après une ascension des plus périlleuses à travers les rochers, obligé le plus souvent de marcher à pied, il atteignit enfin son ennemi. La rencontre fut terrible. El-Mansour mit ses ennemis en déroute, s'empara de leurs bagages et les força à se réfugier sur les cimes de la montagne, où ils se défendirent encore en lançant des pierres. Bientôt, les combattants se trouvèrent tellement rapprochés, qu'ils purent se battre corps à corps. A l'entrée de la nuit, El-Mansour fit mettre le feu aux broussailles et à un grand nombre de gourbis, afin de mieux découvrir ceux qui voudraient s'évader. Ce combat fut, dès lors, nommé la journée des flammes, oukûat-el-harik. Les compagnons d'Abou-Iezid furent mis en déroute ou massacrés, leurs femmes et leurs enfants devinrent prisonniers du khalife, et le vainqueur ramassa un butin incalculable, tant en chevaux et en chameaux qu'en bétail de toute espèce.

Après ce déplorable échec, Abou-lezid se jeta dans le fort de Tagarboust qui domine celui de Hammad. Pendant ce temps-là, El-Mansour redescendait vers En-Nadour et lançait son lieutenant Kaïçar et le chef des Sanhadja, Ziri

Ibn-Menad, avec un gros détachement, contre la tribu des R'edirouan, à quinze mille Est du fort de Hammad. Lorsqu'ils eurent passé au fil de l'épée les habitants de la localité, brûlé leurs maisons et emmené leurs enfants prisonniers dans le but de leur faire expier l'accueil qu'ils avaient fait aux rebelles, Kaïçar se porta sur Kalâat-elMri, qui est le fort de Kiana dans le massif bien connu de Kalâa. Cette citadelle, qui, d'ailleurs, fait l'effet d'un drapeau arboré, fut surnommée par les Berbères El-Mri, parce que, dans l'antiquité, elle était couronnée de miroirs destinés à faire des signaux. Mais il était à peine arrivé au pied de la montagne, que les tribus descendirent spontanément pour lui offrir leur soumission. Changeant alors de tactique, Kaïçar essaya une attaque contre Aousedjit, village qui s'appuie au nord sur la pente inférieure du pic de Kalâa et touche au pays des Adjica. Il était trop tard, car la population avait fui devant lui et s'était rendue à Abou-Iezid. Dans l'impossibilité de les atteindre, il se jeta sur les Aousdja, fraction des Adjica, et leur livra bataille sur un terrain très-accidenté et au milieu de montagnes inaccessibles. La victoire qu'il remporta sur eux fut complète. Maître du champ de bataille, il tourna ses opérations contre le fort de Tenaker, que les Berbères appellent aujourd'hui Chiker; mais la garnison capitula sans coup férir. De là, il vint occuper le versant occidental du Kiana et y commença une attaque vigoureuse, pendant que le khalife El-Mansour prenait l'en-/ nemi par la pente qui regarde le levant. Quand on fut au jour qui clôt le jeûne du ramadhan, le khalife prit ses mesures pour cerner Abou-lezid. In fossé fut creusé autour du camp, au pied du mont Kiana; on désigne

encore cette localité sous le nom de Khandek-ed-Dibadj, parce que le chef de l'armée s'y était abrité sous des tentes de soic. El-Mansour fit construire un immense fourneau au-dessus duquel fut fixée une poulie. Lorsqu'un Berbère révolté était pris, on le garrottait, on le hissait par les pieds au-dessus du foyer allumé, et on le maintenait dans une position où il pût être tourmenté par l'ardeur des flammes; mais, dès qu'il paraissait être sur le point d'expirer, on le relevait pour lui donner le temps de se ranimer; puis on répétait cet affreux supplice jusqu'à ce qu'il rendit l'àme.

Outre ces instruments de torture, le khalife fit fabriquer une cage en bois, où furent enfermés un singe et une guenon. « C'est là-dedans, dit-il à ses soldats, que je mettrai Abou-lezid et il aura pour société ces deux animaux. » La cage fut placée de manière à être aperçue par Abou-lezid. C'est à ce sujet qu'un poète de l'époque composa les vers suivants :

Mokhalled est perdu, Mokhalled et sa cohorte d'hérétiques!

Le voilà sur la terre de Kiana, loin de tout appui!

Il promène ses regards piteux, comme un homme bloqué regarde l'ennemi qui l'assiége.

Son œil découragé voit nos soldats aussi nombreux que le sable et les cailloux.

Hola! Mokhalled, fils de Sbika, la plus mauvaise engeance de toutes les tribus,

Viens goûter le fruit de tes forfaits et de tes crimes!

Viens expirer, dans les tourments, les cruautés que tu as commises et le meurtre des malheureux que tu as éventrés!

O toi! qui es la créature la plus monstrueuse du Kiana, comme le peuple du Kiana est le plus pervers de la Barbarie,

Vois cette cage où il faut que tu viennes gîter;

Vois quels liens y attendent tes mains et quels camarades on t'y réserve!· Ils s'impatientent tous deux après toi....

Accours donc leur faire visite, ô le plus exécrable des visiteurs !

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