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fuite les troupes qu'Abou-Abd-Allah avait concentrées auprès de la ville de Melouça (1).

Le chiite abandonna aussitôt la forteresse de Tazrout et courut s'enfermer dans Ikdjan. Après avoir démantelé Tazrout (902), le général aghlebide marcha contre lui; mais, à mesure qu'il s'avançait dans le territoire des Ketama, les difficultés s'augmentaient et le découragement se mit alors dans son armée. Un détachement de troupes, envoyé en reconnaissance du côté de Mila, fut mis en déroute par les insurgés, et la position empira tellement, que les Aghlebides durent évacuer le pays des Ketama. Abou-Abd-Allah établit alors sa demeure à Ikdjan, où il fonda une ville qu'il appela Dar-el-Hidjra (maison de la retraite) (2). Quelque temps après, cet habile missionnaire, ayant rallié tous les Ketama autour de lui, mit le siége devant Setif; la place finit par capituler et fut ruinée de fond en comble (3). De victoire en victoire, il s'empara successivement des autres villes importantes de la province.

Pendant que les populations de l'Ifrikia souhaitaient le triomphe d'Abou-Abd-Allah, à cause de sa clémence

(1) La ville de Melouça existait sur le territoire actuel de la tribu des Oulad-Abd-en-Nour, à l'est du Djebel-Grous. Les ruines portent aujourd'hui le nom d'Aïn-Melouk. A quelques kilomètres plus au nord, sont les ruines de l'ancienne ville de Tazrout, qui ont conservé le même nom jusqu'à ce jour. En langue berbère, Tazrout signifie rocher; la ville était, en effet, bâtie contre la crète rocheuse qui domine ce canton.

(2) Nous avons indiqué dans une note ci-dessus la position de cette ville fondée à Ikdjan.

(3) Le géographe arabe El-Bekri dit que la muraille qui entourait Setif fut détruite par les Ketama, et cela, pour la raison que les Arabes leur avaient enlevé cette ville et les avaient obligés à payer la dime chaque fois qu'ils voulaient y entrer.

envers les vaincus et de son respect pour les traités, les Aghlebides recevaient à toute heure les nouvelles les plus fâcheuses et vidaient leurs trésors, afin d'organiser de nouvelles armées et de réparer les places fortes. Le mehdi Obeïd-Allah, en faveur duquel Abou-Abd-Allah faisait de la propagande, après une série d'aventures qu'il est inutile de rappeler ici, finit par arriver à Ikdjan où son précurseur, Abou-Abd-Allah, lui remit tous les trésors qu'il avait amassés. Ce prince étant ainsi parvenu au pouvoir, envoya des agents dans toutes les parties de l'empire, pour sommer les populations de reconnaître son autorité. Les principaux personnages parmi les Ketama qui avaient soutenu avec tant d'énergie la cause du mehdi Obeïd-Allah, reçurent, en récompense de leurs services, des sommes d'argent, de belles esclaves et des commandements importants.

Obeïd-Allah ayant obtenu le serment de fidélité de la majeure partie des populations, entre autres de celle de Kaïrouan, résidence habituelle des émirs africains, envoya des gouverneurs en Sicile et à Tripoli. Le nouveau souverain, devenu maître de l'Ifrikia, résista à l'influence d'Abou-Abd-Allah le chiite, et ne lui permit plus de se mêler de ses affaires. Celui-ci, profondément blessé, se mit alors à semer des germes de mécontentement parmi les Ketama et à les exciter contre le Mehdi, qui, disait-il, s'était approprié les trésors d'Ikdjan, sans leur en avoir accordé la moindre partie, et qui pouvait bien n'être ni l'imam impeccable, ni la personne de laquelle ils avaient tant travaillé à soutenir les droits. Cette déclaration troubla la confiance des Ketama, qui prirent la résolution d'assassiner le Mehdi. Pour déjouer cette conjuration,

celui-ci fit tuer Abou-Abd-Allah. Plusieurs tribus ketamiennes ayant pris les armes pour venger la mort du chiite, mirent à leur tête un enfant auquel ils donnèrent le titre de mehdi. Ils prétendirent même qu'il était prophète et que le chiite vivait encore. Le fils d'Obeïd-Allah marcha contre eux, les tailla en pièces, tua l'enfant et arrêta ainsi la défection des Ketama.

En 914, le fils du Mehdi, à la tête d'un corps de troupes ketamiennes, pénétra en Égypte et se rendit maître d'Alexandrie et de la province qui en dépend; mais, à la suite de quelques échecs que lui firent éprouver les troupes envoyées de Bagdad par le khalife abbacide, il se vit forcé d'abandonner l'Égypte et de rentrer dans le Moghreb.

Les Ketamiens prirent part à une nouvelle expédition contre l'Égypte, qui ne fut pas plus heureuse que la première; puis ils suivirent encore les généraux obeïdites dans leur campagne contre le Rif marocain. Quoi qu'il en soit, les Ketama, devenus les champions des fatimites, contribuèrent puissamment à la création de leur empire.

Le peuple ketamien, dit encore Ibn-Khaldoun, après avoir établi un empire dans l'Occident, devint très-puissant, et, par cette raison-là même, finit par s'éteindre. dans le luxe et dans la mollesse. Toutes les branches de celte peuplade, à l'exception de celles qui se sont retranchées dans les montagnes de leurs anciens territoires, comme les Beni-Zeldoui (Zoundaï), les Zouaoua et les habitants des montagnes de Gigelli, ont été obligées de se soumettre à l'impôt et de passer au rang des sujets de l'empire hafside.

De nos jours, ajoute Ibn-Khaldoun, l'appellation de

ketamien est employée chez toutes les tribus pour désigner un homme avili. La raison en est que, pendant les quatre siècles qui se sont écoulés depuis la chute de l'empire ketamien, les dynasties suivantes, se sont plu à leur reprocher l'attachement qu'ils avaient montré aux doctrines hérétiques et aux croyances infidèles. Il en résulta que la plupart des peuplades ketamiennes renoncèrent à ce surnom, à cause de l'idée de dégradation qu'il comportait, et se donnèrent pour membres de quelque autre tribu. Pour cette raison, beaucoup de gens ont eu de la répugnance à se reconnaître d'origine berbère. L'épithète de ketami est en grand usage dans la province de Constantine; c'est une expression outrageante, synonyme de proxénète, sodomisé, homme avili, renégat, qui renferme en elle tout le vocabulaire injurieux de la basse classe algérienne.

Ajoutons que les mœurs licencieuses des Ketama, qui répugnaient à la conscience des peuples, avaient fini par appeler sur leur nom la réprobation et le mépris. Certaines tribus bien connues ont, de nos jours encore, la triste réputation de faire commerce de leurs. femmes et de leurs filles en accordant à leurs hôtes l'hospitalité la plus complète.

Obeïd-Allah le mehdi mourut vers le mois de février 934 de notre ère, et dans la vingt-quatrième année de son khalifat. Il eut pour successeur son fils, Abou-el-Kacem, surnommé El-Kaïm-biamr-Allah (qui maintient l'ordre de Dieu).

C'est pendant le règne de ce dernier qu'apparut sur la scène politique un personnage nommé Abou-Iezid, qui

devait jouer un grand rôle. Sa curieuse histoire mérite d'être racontée en détail (1).

Mokhalled-Ibn-Keïdad, surnommé Abou-lezid, l'homme à l'âne, était originaire de la tribu berbère des Zenata. Keïdad, père d'Abou-Iezid, visitait souvent le pays des Noirs pour y faire le commerce. Son fils naquit d'une esclave qu'il avait achetée, nommée Sbika, et vit le jour à Kaokao, ville située dans cette région du Soudan. Cet enfant était boiteux et avait un signe sur la langue. Keïdad eut l'idée de le présenter à un devin du pays, qui, après l'avoir examiné, dit : « Voilà un enfant à qui..., à qui il arrivera de grandes choses; un jour, il sera roi. Fier de cette prédiction, Keïdad revint dans son pays. Le jeune Abou-lezid apprit le Koran à Touzer, et fréquenta les sectes hérétiques musulmanes. Séduit par leurs doctrines, il en devint le prosélyte. Entraîné par le fanatisme, il déclara infidèles les personnes qui professaient la religion orthodoxe, décidant que, par ce fait même, elles avaient encouru la peine de mort et la confiscation de leurs biens. Il posa aussi en principe l'obligation de se révolter contre le sultan.

En l'an 928 de notre ère, il se mit à faire la police des mœurs et travailla à supprimer les abus qui portaient scandale à la religion. De cette manière, il gagna tant de partisans, qu'il se vit bientôt assez fort pour lever l'étendard de la révolte. Ayant pris un âne gris pour monture, d'où lui vint le surnom de l'homme à l'âne, vêtu de laine

(1) Plusieurs historiens arabes ont écrit sur Abou-lezid. La chronique d'Ibn-Hammad, traduite par M. Cherbonneau, nous a paru fournir à ce sujet les renseignements les plus complets.

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