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Période arabe, berbère et turque

En l'an 27 de l'hégire (647-8 de J.-C..), eut lieu la première expédition musulmane en Afrique. Les cavaliers arabes qui y prirent part en rapportèrent un butin tellement considérable, qu'ils conçurent le projet d'envahir le pays. Une armée, composée d'abord d'environ vingt mille hommes, se mit en marche, écrasant sur son passage tout ce qui tentait de lui résister; mais elle ne dépassa pas la contrée qui forme aujourd'hui la régence de Tunis.

La troisième invasion, dirigée par Okba-ben-Nafa en l'an 50 (670 de J.-C.), eut un caractère de conquête beaucoup plus caractérisé. Avant de l'entreprendre, Okba fonda la ville de Kairouan pour lui servir de base d'opération, puis s'élança vers l'occident, portant ses armes victorieuses jusqu'aux bords de l'Océan.

Le roman chevaleresque ayant pour titre Conquête de l'Afrique, raconte la prise de Setif par les armées musulmanes; mais cet ouvrage fantaisiste, composé longtemps après les événements, ne nous inspire pas une grande confiance. L'auteur rapporte un épisode dans le genre de celui où le patrice Grégoire promettait la main de sa fille au guerrier chrétien qui le délivrerait du général arabe. Les plus vaillants, de part et d'autre, descendent dans l'arène, des coups de lance homériques sont échan

gés, et les redoutables champions de l'islam font rouler tous leurs ennemis dans la poussière. La conclusion ne varie pas la ville ouvre ses portes aux vainqueurs, qui deviennent ainsi les heureux possesseurs des belles filles et des trésors des chrétiens.

L'historien Ibn-Khaldoun garde le silence, ce qui nous fait supposer que l'expédition d'Okba ne produisit, au début, que peu d'effet sur le pays qu'elle laissa au nord.

Mais toutes les populations berbères, répondant à l'appel de leur chef Koceila, puis de la Kahena, reine des monts Aurès, parvinrent à refouler les envahisseurs arabes et à vivre indépendantes pendant plusieurs années.

En l'an 74 (693), les Arabes revinrent en Afrique avec de nombreux renforts. A leur approche, la Kahena fit détruire toutes les villes et fermes du pays; aussi, dit Ibn-Khaldoun, cette vaste région qui, depuis Tripoli jusqu'à Tanger, avait offert l'aspect d'un immense bocage, à l'ombre duquel s'élevait une foule de villages touchant les uns aux autres, ne montra plus que des ruines. Voilà ce qui nous explique la ruine totale des nombreux établissements dont nous ne voyons plus aujourd'hui que les vestiges à fleur de terre. Les Berbères virent avec un déplaisir extrême la destruction de leurs propriétés, et abandonnèrent la Kahena pour faire leur soumission å Hassan. Ce général musulman profita d'un événement aussi heureux, et, ayant réussi à semer la désunion parmi les adhérents de la Kalena, il marcha contre ceux des Berbères qui obéissaient encore à cette fenime, et les mit en pleine déroute. L'offre d'une amnistic générale décida les vaincus à embrasser l'islamisme, et à reconnaître l'autorité du gouvernement arabe; mais leur conversion

n'était pas sincère, et, par la suite, ils apostasièrent jusqu'à douze fois.

Pendant plus d'un siècle, les princes aghlebides régnérent en Afrique au nom des khalifes de l'Orient. Ils avaient dompté les Berbères, lorsque la secte des kharedjites ou chiites, hérétiques musulmans, vint développer chez eux ses principes et ses doctrines. Les Berbères Ketama, organisés en sociétés secrètes par des émissaires très-ardents, prirent les armes les premiers, expulsèrent de l'Afrique le prince aghlebide, et reconnurent pour khalife un prince fatimite. Cette grande révolte prit naissance dans la région montagneuse qui sépare Setif de Gigelli (1).

Après la mort de Mahomet, son gendre et cousin, Ali, avait espéré obtenir le commandement temporel et spirituel des musulmans. De là, l'origine de rivalités et de luttes qui éclatèrent dans le sein de la nation arabe. On prit les armes de part et d'autres; mais les partisans d'Ali, nommés alides ou fatimites, ayant été battus dans plusieurs rencontres, se dispersèrent pour échapper à la mort. Quelques-uns de ces fuyards passèrent en Afrique, où ils trouvèrent les Berbères bien disposés à embrasser leurs doctrines. Ce peuple ne cherchait que des prétextes pour résister à la domination arabe; et si, dans les premiers temps, il ne savait pas entreprendre une révolte sans se jeter dans l'apostasie, il apprit alors à s'insurger sans cesser d'être musulman.

Des missionnaires, partis de l'Orient, travaillaient à gagner des prosélytes à la cause d'Obeïd-Allah, qui aspi

(1) Nous sommes obligés de répéter ici quelques passages de notre Histoire de Gigelli.

rait à l'imamat, c'est-à-dire à l'héritage de l'autorité temporelle et spirituelle de Mahomet, dont il se prétendait le descendant. L'un de ces missionnaires s'établit près de l'embouchure de l'Oued-Roumel, dans le pays des Ketama. Dès lors, l'appel en faveur de l'islam se fit entendre dans toute cette contrée. Un autre agent, nommé Abou-Abd-Allah, se rendit à La Mecque, où il rencontra plusieurs notables de la tribu des Ketama, venus en pélerinage. Parmi ces Ketamiens, il fit la connaissance de Moussa, chef des Sekian de Djemila, et de Mâsoud, de la tribu des Messalta, non loin de Setif. Après avoir gagné leur amitié, il se mit à les entretenir des doctrines professées par les chiites, c'est-à-dire les sectaires fatimites, et, comme il montra une piété extrême et une grande abnégation de soi-même, il fit sur leurs esprits une profonde impression.

Les fréquentes visites qu'il rendit à ces chefs, dans leur camp, furent aussi agréables pour lui que pour eux. Quand ils se disposèrent à partir pour leur pays, ils l'invitèrent à les y accompagner. Les voyageurs s'étant mis en route arrivèrent dans le pays des Ketama en l'an 893 de notre ère, et s'arrêtèrent à Ikdjan, ville située dans le territoire de la tribu de Djemila (1). Une foule de

(1) D'après des renseignements que j'ai recueillis sur les lieux mêmes, Ikdjan, qu'il ne faut point confondre avec Guidjal, était le nom de tout un canton situé à l'est du Babor, occupé aujourd'hui par la tribu des Beni-Aziz. On voit là une série de montagnes escarpées et boisées et, entre autres, le pic de Serdj-el-R'oul, la selle de l'ogre ou du vampire, nom qui lui a été donné à cause de sa forme bizarre. Près de la djemâa de Sidi-Abbassi, on voit, sur un espace très-étendu, des ruines que les Kabiles nomment encore Kherbat-lkdjan. Ce sont, à ne pas en douter, les vestiges de la ville qui devint le centre d'action des Obeïdites.

Ketamiens se joignit à Abou-Abd-Allah; leurs docteurs eurent des conférences avec lui et devinrent ses amis dévoués. Alors, il leur déclara que l'imamat appartenait à un membre de la famille de Mahomet, et i les invita à soutenir la cause d'Obeïd-Allah. Les Ketamiens, en grand nombre, embrassèrent les doctrines du missionnaire.

L'émir Aghlebide d'Ifrikia envoya à Abou-Abd-Allah une lettre menaçante, à laquelle celui-ci fit une réponse conçue en des termes outrageants. Alors ses préfets, les gouverneurs de Messila, de Setif et de Belezma, portèrent la guerre chez les Ketama. Quatre chefs de cette nation, craignant la sévérité du souverain aghlebide, se réunirent alors en conseil, et prirent la résolution d'exiger de Baïan, chef de Djemila, l'extradition d'Abou-Abd-Allah, qui se trouvait encore au mont Ikdjan. Mais la tribu de Djemila prit la défense de son hôte, et chassa ceux qui voulaient lui nuire. Abou-Abd-Allah et ses partisans, s'apercevant du danger qu'ils couraient, se réfugièrent à Tazrout. Les familles ketamiennes qui avaient prêté le serment de fidélité au missionnaire, s'empressèrent d'aller le rejoindre dans la ville de Tazrout, de sorte que l'autorité de cet aventurier prit un grand accroissement.

Après avoir repoussé avec pertes les troupes lancées contre lui, Abou-Abd-Allah réunit sous ses drapeaux les Adjica, les Zouaoua et toutes les fractions de la grande tribu des Ketama. Pendant que les populations de la province faisaient leur soumission, les unes de bon gré, les autres contraintes par la force des armes, un corps de troupes aghlebides quitta Tunis et pénétra chez les Kelama. Cette expédition se dirigea sur Tazrout, et mit en

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