Images de page
PDF
ePub

SETIF

سطيـو

Description du pays

En 1837, le traité de la Tafna avait réservé à la France la province de Constantine. C'était l'époque où l'on discutait encore la nécessité de soumettre le peuple arabe, pensant que l'influence de notre civilisation et les avantages de nos relations parviendraient seuls à détruire peu à peu la haine et l'éloignement des Arabes pour nous. On croyait alors que du voisinage des deux peuples naitraient des rapports tels, que nous pourrions jouir en paix du territoire très-resserré que nous nous étions réservé.

Les traités Desmichels et de la Tafna nous rappellent cette époque d'illusions. Chacun se souvient ce qu'ont été les deux années qui suivirent le traité de la Tafna de notre côté, un respect scrupuleux de chaque clause; des avances faites à nos voisins, une protection pour tous leurs intérêts, des humiliations fréquentes à supporter, des craintes et un état de défensive continuelle à maintenir; de la part des Arabes, au contraire, interdiction absolue de leur territoire à nos nationaux; amendes el persécutions de toute espèce sur tous les indigènes fréquentant nos marchés; exploitation, en un mot, de notre bonne foi, et simple trève pour réparer les maux de la guerre et se préparer à la recommencer avec des moyens

mieux organisés jusqu'à notre entière expulsion de l'Algérie.

Les choses devaient en arriver à cette extrémité, pour nous éclairer sur le caractère du peuple contre lequel nous étions engagés. Les idées d'occupation restreinte tombèrent alors d'elles-mêmes, et furent abandonnées devant l'évidence des faits d'une situation si fréquemment compromise. Les murailles et les obstacles continus, dernières tentatives des partisans de l'occupation restreinte, trouvèrent sans foi ceux qui avaient appris à connaître notre ennemi, et l'armée s'ébranla pour conquérir en entier le pays. La lumière se fit et chacun comprit qu'il n'y avait plus à déposer les armes qu'après avoir abattu les Arabes, avoir acquis enfin cette influence morale qui, seule, devait être assez puissante pour contenir dans leur lit les passions haineuses soulevées, chez un peuple énergique, par les sentiments religieux et l'horreur du conquérant.

Le traité de la Tafna, avons-nous dit plus haut, avait réservé à la France la province de Constantine, et cependant, à la chute du dernier bey de cette province, Abd-elKader s'était empressé de donner le commandement du territoire qui forme aujourd'hui la subdivision de Setif à Ben Abd-es-Selam-el-Mokrani. L'émir avait déjà reçu, pour cette infraction au traité, plusieurs réclamations dont il n'avait pas tenu compte, et le gouverneur général, repoussant ses prétentions, avait nommé khalifa de la Medjana Si Ahmed, chef d'une autre branche de la famille. féodale des Mokrani, qui continua à se tenir à Galàa, ville fortifiée des Beni-Abbas, et dont les serviteurs ne pouvaient paraitre dans la plaine que furtivement et au risque d'être

pourchassés par les cavaliers de Ben Abd-es-Selam. Le gouverneur général résolut alors de faire acte de souveraineté sur les contrées dont la possession nous était contestée. A cet effet, deux colonnes expéditionnaires, partant d'Alger et de Constantine, durent se mettre en marche dans les premiers jours du mois de décembre 1838, pour se rencontrer du côté des Portes de fer, les Biban.

La colonne de Constantine, retenue à Mila pendant quatre jours par les pluies, arriva enfin le 15 décembre à Setif, la Silifis colonia des Romains. La splendeur passée de cette capitale mauritanienne se révélait par des ruines considérables, au milieu desquelles était encore debout une citadelle rectangulaire flanquée de dix tours, et dont les matériaux, réunis sans ordre, rappelaient une autre époque de l'histoire de la restauration byzantine. A l'angle nord-ouest, s'élevait un bâtiment soutenu par des colonnes retirées des ruines, qui avait servi à la réception et à l'emmagasinage des grains de l'impôt achour du temps des Turcs, et dont la toiture et les charpentes avaient été enlevées par les Arabes dans les dernières années d'anarchie du règne d'Ahmed bey. Au pied de la face sud de la citadelle, un seul arbre séculaire s'élevait au-dessus d'une source limpide, dont les eaux abondantes allaient arroser une vallée aboutissant à l'Oued-bou-Sellam, qui coule à trois kilomètres de Setif. Cet arbre, un antique peuplier blanc, connu sous le nom de tremble de Setif, semblait avoir été oublié dans une destruction générale, et n'être demeuré là que pour attester aux nouveaux conquérants que des plantations pouvaient prospérer sur ce sol dépourvu d'ombrage.

La colonne d'Alger avait été arrêtée dans la Mitidja par une pluie continue, et s'était vue obligée de rentrer à Alger Celle de Constantine ne recevant pas de nouvelles, rétrograda et fut attaquée dans sa retraite, au défilé de Mons, par les tribus qui bordent la communication. Cette première reconnaissance avait eu pour résultat de faire comprendre la nécessité d'occuper la position de Setif, si on voulait faire respecter l'autorité de notre khalifa sur le territoire dont le commandement lui avait été confié. Ben Abd-es-Selam avait recommencé ses courses dans la plaine de Setif immédiatement après la rentrée de l'expédition, et notre khalifa, Ahmed-el-Mokrani, s'était encore trouvé dans la nécessité de lui abandonner le pays.

Une colonne revint à Setif en 1839 et y fit un séjour de six semaines; elle laissa, en se retirant, cinq compagnies d'infanterie qui s'installèrent dans la citadelle, s'appuyant sur les postes intermédiaires de Djemila, Mahalla et Mila, qui reliaient Setif à Constantine.

Dans les premiers mois de 1840, l'ancien magasin turc de l'achour avait été recouvert et converti en magasin des subsistances au rez-de-chaussée, et en hôpital au premier étage. Les brêches de la citadelle avaient été relevées à la hate, et seulement de manière à la mettre à l'abri d'un coup de main.

Pendant que l'armée promenait notre drapeau sur tous les points du territoire pour en chasser les lieutenants d'Abd-el-Kader, les travaux moins brillants, mais non moins utiles de la paix, entrepris d'abord avec peu de vigueur, par la raison que l'occupation permanente était trop souvent mise en question, avaient été poussés, dès

l'année 1842, avec une activité qui n'a fait que s'accroître jusqu'à ce jour. Setif commença donc à sortir de ses ruines.

En 1842, le 61e de ligne, qui avait passé deux hivers sous la tente, terminait une première caserne, dont un tiers avait été affecté au service de l'hôpital et les deux autres livrés aux troupes. Le génie militaire s'était fait dans le réduit quelques baraques qui lui servaient d'ateliers, de logement et de bureaux. Une tour du réduit était convertie en magasin à poudre; une manutention et que!ques locaux mis à la disposition de l'administration; un moulin, construit sur l'Oued-bou-Sellam, débitait des farines au-delà de ce qui était nécessaire à la garnison (1).

Le 19e léger, arrivé à Setif au mois d'octobre 1842 pour remplacer le 61 de ligne, éleva successivement deux autres casernes, dans lesquelles entrèrent les hommes qui étaient encore sous la tente. Un logement pour le commandant supérieur; un magnifique hôpital; un magasin à poudre; un parc aux boeufs avec abattoir; des écuries et un quartier de cavalerie; une prison militaire ; une prison pour les otages indigèncs; un magasin à fourrage; un magasin de campement; un bureau arabe; une

(1) Ce moulin fut construit par M. Lavie, à qui la province doit toutes les créations industrielles des premiers temps de la conquête. A cette époque, la seule route reliant Setif à Constantine était celle passant par Mila et Djemila, à travers un pays très-accidenté, coupé de nombreux ravins et, par conséquent, impraticable aux voitures. Il fallait cependant transporter les meules du nouveau moulin, et, dans ce but, M. Lavie se mit lui-même, avec quelques indigènes, à la recherche d'une voie plus commode, en suivant les plateaux des Ouled-Abd-en-Nour et des Eulma; son itinéraire servit de tracé à la route carrossable actuelle de Constantine à Setif.

« PrécédentContinuer »