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plète, qu'il suffisait d'une légion, avec le corps d'auxiliaires qui lui était attaché, pour maintenir l'ordre et la tranquillité dans toute la vaste contrée qui s'étend depuis le bord de l'Atlantique jusqu'à l'Égypte et depuis la Méditerranée jusqu'aux dernières chaînes du grand Atlas (1).

L'Afrique, sous Tibère, vivait ainsi paisiblement depuis longues années, quand le Numide Tacfarinas souleva et entraîna les populations dans une grande révolte contre la domination romaine. Ce chef de bande, disent les historiens de l'époque, était Numide et avait d'abord servi comme auxiliaire dans les armées romaines. Il avait ensuite déserté. Il rassembla quelques troupes de brigands et de vagabonds qu'il mena au pillage. Battu à plusieurs reprises par les proconsuls, il recommença la guerre peu de temps après; ce n'étaient d'abord que de simples excursions dont la promptitude assurait le succès; bientôt, il saccagea les bourgades, et se chargea de proie et de butin. Tacfarinas avait semé le bruit que la puissance romaine, entamée déjà par d'autres nations, retirait peu à peu ses troupes de l'Afrique, et qu'on envelopperait facilement les dominateurs, si tous ceux qui préféraient la liberté à l'esclavage voulaient fondre sur eux. Avec de tels arguments, il rencontra de nombreux contingents, et se vit en état d'attaquer la place de Tubusuctus (Tiklat) située sur les bords de la Nasava, vallée de la Soumam près de Bougie.

Le proconsul Dolabella rassemble aussitôt ce qu'il a sous la main de soldats. Au premier bruit de sa marche,

(1) Dureau de la Malle, Algérie.

les Numides se dispersent. La seule terreur du nom romain, l'impossibilité de soutenir le choc d'une infanterie régulière leur fait lever le siége. Delabella fortifie les postes avantageux et fait trancher la tête à quelques chefs musulans qui préparaient une défection; puis, comme l'expérience de plusieurs campagnes avait appris qu'un seul corps d'armée trop pesant échouait contre des ennemis vagabonds, aussitôt qu'il a reçu des renforts, il forme quatre divisions qui opèrent isolément.

Peu de temps après, on lui donne avis que les Numides s'étaient réunis près d'Auzia, sur l'emplacement duquel nous avons créé notre ville d'Aumale, alors forteresse à demi ruinée, jadis brûlée par eux-mêmes. Il apprend qu'ils y avaient dressé leurs huttes, se fiant sur la bonté de cette position qu'enfermaient de tous côtés de vastes forêts. Sur le champ, avec son infanterie légère et sa cavalerie, il fait une marche forcée; tous ignorent où il les mène. Au point du jour, les Romains, avec des cris terribles, au son des trompettes, l'infanterie serréc, les escadrons déployés, tout disposé pour le combat, fondent sur les Barbares à moitié endormis, dont les chevaux étaient attachés ou erraient dans les pâturages; ils n'avaient aucune connaissance de ce qui se passait, point d'armes, point d'ordre, point de plan: ils se laissèrent chasser, enlever, égorger comme des troupeaux. Le soldat romain, irrité par le souvenir de ses fatigues, jouissant enfin d'une bataille désirée si longtemps et si longtemps éludée, s'enivrait de vengeance, se baignait dans le sang. On fit dire dans les rangs de s'attacher à Tacfarinas, qu'après tant de combats, ils devaient connaître tous; que la mort seule du chef serait la fin de la guerre.

Mais lui, voyant ses gardes dispersés, son fils prisonnier, les Romains perçant de toutes parts, se jette au milieu des traits, et, vendant chèrement sa vie, se dérobe par la mort à la captivité. Avec lui finit cette guerre (1).

Une inscription recueillie à Aumale, l'ancienne Auzia, et datée du 8 des calendes d'avril, an 221 de la province (25 mars 260 de J.-C.), constate que Q. Gargilius, chef de la cohorte des cavaliers maures campés sur le territoire d'Auzia, avait pris et mis à mort le rebelle Faraxen; qu'il avait dispersé sa bande, et qu'il périt victime des embûches des Babares (gens du Babor).

Une autre inscription de Lambèse nous dit, en outre, que Macrinus, propriétaire dans la province de Numidie, avait taillé en pièces et mis en fuite les Babares, qui, aidés par quatre rois, avaient fait irruption d'abord dans le canton de Mila, puis sur les frontières de la Numidie et de la Mauritanie. Ces deux documents épigraphiques se rapportent à la même révolte, qui dut être menaçante pour le pays, si nous en jugeons par l'étendue du territoire qu'elle embrassa. L'insurrection grondait dans tout cet immense pâté montagneux qui s'étend du Roumel jusqu'aux derniers contre-forts de la grande Kabilie. Les Babares se soulèvent les premiers et vont, par la vallée de l'Oued-Endja, déboucher au pied de Mila dont ils dévastent les campagnes. Au premier signal du mouvement des troupes romaines, ils viennent se mettre sous la protection de leurs forteresses naturelles; mais le feu de la révolte gagne les Quinquegentiens, peuplades turbulentes et guerrières de la grande Kabilie. A l'abri de leurs mon

(1) Tacite, Annales, 19, 25.

tagnes et de celles des Babors, qui défient le peu de forces dont peuvent disposer les commandants romains, ils se réunissent aux Babares, se précipitent sur les confins de la Mauritanie et de la Numidie, en remontant la vallée de l'Oued-Deheb, et portent le pillage jusque dans la plaine des Eulma, pendant que les tribus fraxiniennes (qui semblent avoir légué leur nom aux Beni-Fraoucen du Jurjura), qui, pour diviser les forces des Romains, n'ont pas rejoint le gros de l'insurrection, se répandent dans les montagnes d'Aumale et dans la Medjana, se font battre par Gargilius et laissent Faraxen, leur chef, entre ses mains.

Après avoir balayé les bandes fraxiniennes, Gargilius se remet en marche, à travers la Sitifienne, pour joindre ses troupes à celles du légat accouru de Lambèse avec la troisième légion Auguste et tous les corps auxiliaires disponibles. Les Babares tentent d'empêcher la jonction de Gargilius avec Macrinus; ils le font tomber dans une embuscade et lui ôtent la vie. Il ne put donc prendre part aux succès du légat contre les Quinquegentiens et les Babares.

En l'année 292, la région sitifienne venait d'être détachée de la Mauritanie césarienne et constituée en province distincte. On avait voulu concentrer l'administration et la force presque au milieu du foyer de la sédition, afin d'en avoir raison plus promptement.

Les Babares, surveillés de plus près, n'osèrent peutêtre pas éclater en révolte ouverte; mais les Quinquegentiens, fidèles à leurs habitudes d'insubordination, et qui avaient mieux conservé l'esprit de nationalité et d'indépendance, renouvelèrent, si toutefois ils les avaient.

interrompus, leurs actes de brigandage sur les terres des colons romains et parvinrent à pousser au loin le feu de l'insurrection.

Cette fois, les gouverneurs et les forces dont ils disposaient furent impuissants pour dompter le mouvement. Maximilien Hercule fut obligé de venir, en 297, combattre en personne ces fiers montagnards. Les panégyristes et les chroniqueurs ne nous fournissent aucun détail sur ces événements, qui durent cependant agiter très-vivement la frontière occidentale de la Mauritanie sitifienne (1).

En l'an 371, sous le règne de l'empereur Valentinien, une nouvelle révolte éclatait dans le pays compris entre Setif et Bougie. Firmus, chef puissant des tribus mauritaniennes, poussé par des motifs de haine personnelle contre le comte Romanus, qui avait cherché à le perdre dans l'esprit de l'empereur, se révolta et entraîna dans son parti de nombreuses tribus. D'après quelques écrivains, on soupçonne même que Firmus prit la pourpre et se fit proclamer empereur, après avoir livré au pillage la ville opulente de Césarée (Cherchel).

Ces hardis commencements inspirèrent à Valentinien une vive inquiétude, et il envoya, pour châtier le rebelle, le meilleur de ses généraux, le comte Théodose.

Théodose partit sans bruit de la ville d'Arles, avec une petite flotte, et vint aborder à Igilgili, où il trouva le comte Romanus. De là, il se porte sur Setif dont il fait son premier centre d'opérations. L'aspect du pays et de l'ennemi le préoccupe, et, l'esprit rempli d'incertitude, il

(1) Voir le travail de M. Poulle: A travers la Mauritanie silifienne (Recueil archéologique de Constantine, année 1863).

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