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sahariennes ont l'habitude de venir, avec leurs troupeaux et leurs familles, sur les plateaux du Tell, pendant la saison des chaleurs. Ceux de ces nomades, pénétrant dans la subdivision de Setif, arrivent généralement au mois de juin, campent en masse auprès de Sokhna. Ils restent dans les pâturages voisins jusqu'à ce qu'ils aient trouvé à conclure des conventions amiables avec les habitants des tribus du Tell. Ils vont alors se placer chez eux comme moissonneurs, et leurs troupeaux sont reçus également dans leurs pâturages. Ils apportent des dattes et des laines qu'ils échangent pour des grains, de l'huile et d'autres produits de la zone maritime. Ils restent ainsi jusqu'au mois de septembre ou d'octobre, époque à laquelle ils émigrent de nouveau pour rentrer dans le Sahara, à cause des froids de la région septentrionale et aussi parce que leurs affaires les rappellent vers le Sud. Pendant le séjour des nomades dans le Tell, il résulte inévitablement des liens d'intérêt et des alliances de famille entre la population sédentaire et celle qui vit à l'état nomade; de là, des croisements à l'infini. Voilà ce qui explique que certains groupes soient arabes sous un aspect et sous l'autre berbère.

La population des tribus kabiles a conservé un caractère beaucoup plus tranché. A aucune époque, le flot des envahisseurs n'a pu se répandre que dans les plaines et les vallées, où il ne rencontrait pas des difficultés bien sérieuses. La race dépossédée trouva un asile inexpugnable dans les hautes montagnes, où elle se fondit au milieu de la race berbère primitive qui l'absorba dans son sein. De ce mélange de Berbères, de Romains, de Vandales, d'Arabes et peut-être d'autres gens d'origine

inconnue, formant un groupe qui a ses traditions, sa langue, et chez lequel se sont développées des mœurs particulières, est résulté le peuple kabile de nos jours. Malgré l'action des siècles et une communauté de croyances religieuses, le Kabile n'en a pas moins conservé une antipathie naturelle contre l'Arabe, à cause des ressentiments héréditaires nés du souvenir de la conquête. Le caractère belliqueux de ces montagnards tient à la nature du pays, à leurs luttes continuelles entre tribus, aux éternelles guerres de village à village. A l'époque romaine, les Kabiles, chrétiens de religion, se jetèrent avec ardeur dans l'hérésie et le schisme, parce que, en protestant contre l'église dominante, ils donnaient satisfaction, autant que les circonstances le permettaient, à la haine invétérée que leur inspire toute domination étrangère. La révolte religieuse et l'insurrection politique avaient si bien une cause identique et se confondaient tellement, que, lors des guerres de Firmus, le mot Firmiani devint l'équivalent de donatistes.

Après l'invasion arabe, ils embrassèrent encore l'hérésie des chiites après s'être faits musulmans, et, au dire d'Ibn-Khaldoun, ils apostasièrent jusqu'à douze fois.

Les marabouts musulmans, vraisemblablement installés d'abord à mi-côte, où ils servaient comme de trait d'union entre l'Arabe de la plaine et le Berbère de la montagne, pénétrèrent peu à peu dans le cœur du pays, où on accueillit les apôtres de la religion nouvelle qui séduisait les instincts matérialistes de gens au caractère primitif. L'islamisme fut, dès lors, accepté dans la forme plutôt que dans l'esprit; de sorte qu'aujourd'hui le Kabile est plus superstitueux que religieux; il ne pratique, à

proprement parler, aucune espèce de culte, et se borne à quelques pratiques extérieures que lui enseignent les marabouts de son pays. Mais les ordres religieux, notamment celui de Ben-Abd-er-Rahman, à la tête duquel est aujourd'hui le cheïkh El-Haddad, du village de Seddouk, ont fait d'immenses progrès depuis ces dernières années, et comptent dans leurs rangs un nombre prodigieux d'affiliés arabes et kabiles, dont le fanatisme, sommeillant en apparence, est une menace continuelle contre notre domination;

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Le pays de Setif faisait partie du royaume des Massesyliens. Strabon est celui des géographes anciens qui a déterminé, de la manière la plus précise, les bornes de cette région. Il nous dit que les deux royaumes des Massyliens et des Massesyliens étaient séparés par l'Amsaga, sur les bords duquel s'élevait Cirta ou Constantine. Une inscription très-curieuse, découverte par M. Cherbonneau auprès des sources du Bou-Merzoug, affluent du Roumel, qui porte ces mots CAPVT AMSAGE, fixe définitivement cette question géographique. Les Massyliens étaient à l'est et les Massesyliens à l'ouest de l'Amsaga. Le territoire de ces derniers, dans lequel était enclavé Setif, s'étendait depuis les bords de l'Amsaga jusqu'à la Malva (la Moulouïa de nos jours).

Les deux peuples portaient un nom qui leur était commun, celui de Numides, parce qu'ils se plaisaient, dit Strabon, à mener une vie errante, sans fixer leur demeure. nulle part. L'incertitude la plus vague règne sur l'origine des Numides. Salluste, qui traite cette question, les fait descendre des Perses alliés aux Gétules. Il dit aussi qu'on les appela Numides, c'est-à-dire pasteurs, parce qu'ils vivaient à l'état nomade, allant sans cesse çà et là à la recherche des meilleurs pâturages. Quoi qu'il en

soit, les Numides, comme les Mauritaniens, prirent une part très-active aux différentes guerres puniques.

C'est dans les vastes plaines voisines de Setif, entre le Djebel-Tenoutit et le Stita, que dut avoir lieu plus tard la sanglante bataille de Marius contre les rois africains. Jugurtha et Bocchus (1).

Après la victoire de Thapsus, c'est-à-dire quarante-six ans avant notre ère, la Numidie fut réduite en province. romaine. A la suite de la nouvelle division territoriale, la région située à l'ouest de l'Amsaga fut comprise dans la Mauritanie sitifienne, ayant Setif pour capitale.

Sous Septime Sévère, qui affectionnait beaucoup l'Afrique où il était né, le pays atteignait l'apogée de sa splendeur. Les auteurs anciens rapportent qu'à cette époque, la Numidie et la Mauritanie présentaient partout l'aspect d'une terre civilisée. Des routes nombreuses et sûres sillonnaient cette contrée en tous sens, soit sur le littoral, soit dans l'intérieur, reliant entre elles les villes les plus importantes (an 216 de notre ère). Chaque jour, la langue et les mœurs romaines prenaient plus d'empire. Les colonies militaires, civiles ou commerçantes, placées au milieu des Numides, des Maures et des Gétules, avaient fait goûter à ces peuples les mœurs et la civilisation romaines, avaient déjà créé des intérêts de commerce et d'échange. Les rois alliés de la Numidie, mariés à des Romaines, élevés à la cour des empereurs, n'étaient déjà plus que de simples préfets, reges inservientes, obéissant aux moindres signes du prince. Enfin la conquête était tellement consolidée, la fusion des peuples était si com

(1) Voir, sur la Mauritanie sitifienne, le remarquable travail de M. Poulle, notre ami.

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